MISE À JOUR, dimanche 9 août 2020 – Mathieu Blanchard a complété, ce dimanche 9 août, son périple sur le Sentier international des Appalaches. Il a parcouru les 650 km et 25 350 m D+ à travers la Gaspésie en 7 jours, 12 heures et 2 minutes. Le temps de référence sur le GR-A1 était jusque-là de 19 jours et 5 heures.
Mathieu est fatigué mais heureux, a confié à Distances+ Nicolas Danne, chef d’orchestre de ce défi hors norme. Du homard et du champagne l’attendaient pour célébrer cet exploit au bout du Parc national Forillon.
Mathieu Blanchard a entamé dimanche matin, à l’aube, la plus grande aventure de sa jeune carrière d’ultra-traileur. Il compte parcourir le plus rapidement possible les 650 km et près de 40 000 m de dénivelé du sentier international des Appalaches au Québec (SIA-Québec, ou GRA1) depuis la frontière avec le Nouveau-Brunswick jusqu’au parc national Forillon, en longeant le golfe du fleuve Saint-Laurent.
Peu de personnes ont parcouru l’intégralité du GRA1, le seul chemin de grande randonnée en Amérique du Nord homologué par la Fédération française de randonnée pédestre.
L’athlète franco-montréalais va traverser la vallée de la Matapédia, la réserve faunique de Matane, les Chic-Chocs, puis le parc national Forillon, en moins de 10 jours si tout va bien. Ce sera une découverte totale pour lui qui n’a presque jamais mis les pieds en Gaspésie. Il a accordé une entrevue à Distances+ quelques jours avant de quitter Montréal, à la fois excité par l’aventure et stressé comme jamais.
Mathieu Blanchard songe à ce défi colossal depuis qu’il a compris, en mars dernier, qu’il ne lui serait plus possible de quitter le Québec avant un bon moment et que son gros programme de courses internationales allait tomber à l’eau.
Il souhaitait en effet se mesurer en 2020 à l’élite mondiale sur le circuit de l’Ultra-Trail World Tour. Il a d’ailleurs débuté sa saison de belle manière en décrochant la deuxième place du rapide Tarawera Ultramarathon en Nouvelle-Zélande, avant de remporter le 80 km de l’Ultra Trace de Guadeloupe fin février.
Se restructurer
Celui qui a remporté la plupart des compétitions auxquelles il a participé au Québec depuis 2016 a dû repenser son entraînement en conséquence. Il ne s’agissait plus d’essayer d’être un coureur tout-terrain capable d’aller vite en toutes circonstances pour jouer la victoire face aux meilleurs ultra-traileurs de la planète, comme à l’UTMB qui était initialement son grand objectif de 2020. Il s’agissait plutôt de devenir un monstre d’endurance, capable d’avancer malgré la fatigue et les douleurs, de s’auto-stimuler pendant des heures tout seul au milieu de sentiers sauvages et de programmer au pire un mental qui pourrait ponctuellement être réduit en bouillie.
Il s’est concocté des « petits » défis préparatoires, pensés comme des étapes à franchir, tels que le tour de l’île de Montréal en courant en avril, soit 125 km de route complétés en 10 h 29, les 10 000 m de dénivelé positif et négatif cumulés sur une bosse abrupte de 100 m de D+ au mont Royal en mai, ou encore l’Ironman virtuel réalisé du côté du mont Tremblant en juin. Il a aussi complètement modifié son alimentation pour habituer son corps à ce qui l’attend.
« Depuis des mois, je ne m’entraîne que pour ça, raconte Mathieu. Pour ce projet, je ne me considère plus comme un coureur. Mon corps a changé, j’ai pris du poids. Habituellement, je suis minimaliste pour tout et je travaille sur la filière du gras, je cours le matin à jeun, etc. Là, je mange beaucoup, je travaille plutôt la filière des carbohydrates (les glucides). »
« Je fais de longues sorties lentes avec du poids dans le sac à dos, poursuit-il. À plat, je n’ai plus la vitesse et le rebond que j’avais au début de l’année. Toutes les montées, je les marche, sur le plat dans le bois je ne vais jamais en dessous de 5 minutes au kilomètre (NDLR : une allure lente pour un coureur professionnel). Et je devais répartir ma charge, donc j’ai aussi ajouté beaucoup de vélo à mon volume d’entraînement. C’est aussi pour ça que j’ai fait un Ironman. Certaines journées, j’ai fait des blocs de 15-16 heures de sport répartis entre la course, la nage et le vélo, en mangeant beaucoup, pour créer de la fatigue, m’habituer à l’endurance fondamentale et m’adapter à l’effort qui m’attend. Je me suis volontairement déstructuré pour y arriver. J’ai aussi fait beaucoup de musculation parce qu’il va falloir résister aux impacts, descendre, monter… On verra si c’est la bonne recette, c’est vraiment expérimental. »
Un défi collectif
Le champion montréalais ne sera pas seul dans cette aventure exceptionnelle. « On voit souvent la course comme un truc individuel, mais c’est très collectif », affirme-t-il. Il s’est entourée de cinq personnes spéciales à ses yeux pour former son « équipe technique centrale » :
- Nicolas Danne, « le geek » en qui Mathieu a toute confiance, sera le chef d’orchestre. Il sera au four et au moulin, en charge entre autres de la coordination des accompagnateurs, de la cartographie, de la gestion des réseaux sociaux, mais aussi des premiers soins en cas de situations d’urgence.
- La nutritionniste Kristina Nel a créé un protocole expérimental avec un menu chaque jour pour répondre aux trois objectifs fixés par Mathieu. « Je veux d’abord essayer de compenser un maximum mes pertes sur une journée, soit environ 6000-7000 calories, même si c’est impossible, détaille-t-il. L’idée est d’éviter au maximum les carences énergétiques. Je veux savoir à l’avance ce qui m’attend de bon le soir pour pouvoir y penser pendant la journée, que ce soit une carotte. Et enfin, il faut que ce que je mange soit digeste, et ça, c’est délicat! Je ne peux pas me faire chaque soir un repas de Noël, parce qu’il faut que je puisse avoir un bon sommeil derrière. On va essayer des affaires. Il y a peu de gens qui font ce genre d’entraînement. C’est complexe, car si tu te rates, ça peut tout foutre l’air. » Kristina devait être présente en Gaspésie, mais elle s’est fait une entorse au coude la veille du départ. Elle sera donc en soutien à distance en cas de besoin.
- L’athlète Marianne Hogan, la grande amie, la complice de Mathieu depuis des années, avec laquelle il a notamment couru et gagné en binôme la TransAlpine, sera là pour l’accompagner sur les sections qu’il anticipe comme les plus difficiles, surtout sur la première partie du sentier. Celle que Mathieu considère comme l’une des meilleures traileuses au Canada est de retour en forme, donc c’est de bonne augure. « Il fallait quelqu’un qui me connaît intimement, qui sait me lire à travers ma carapace, explique-t-il. En plus, Marianne, c’est la bonne humeur incarnée, elle rit tout le temps. J’ai besoin d’elle! »
- Le vidéaste Jérôme Binette sera également de l’aventure pour documenter ce périple hors normes. « Je veux que ça soit plus qu’une simple performance sur un sentier, confie Mathieu. On s’est posé la question de ce qu’on voulait raconter. J’ai regardé plein de vidéos et ça me fatigue de voir les images de douleur qui ressortent presque à chaque fois. Ce n’est pas que ça. Ce qu’on veut, c’est montrer le “backstage”, ceux qui se démènent pour que tout fonctionne. Pas juste un type qui court dans un bois et qui souffre. Mon défi sera juste le fil conducteur. Jérôme va par exemple aller interviewer les gens des Premières nations, les Micmacs, et corréler le sport et la nature. Le but final sera d’inspirer les gens à s’aventurer en Gaspésie. On va montrer les beautés de ce territoire, entre terre et mer, la jungle, les rivières à saumon, les montagnes, les villages de pêcheurs… »
Mathieu Blanchard souhaite aussi en profiter pour récolter des dons pour les fondations qui travaillent à la préservation de l’environnement en Gaspésie, comme le Comité de protection des monts Chic-Chocs ou la Société pour la nature et les parcs au Québec.
- Et enfin Julien, l’ami d’avant le Mathieu Blanchard coureur. « Je le connais depuis mon arrivée à Montréal, à l’époque où j’étais plus un gars de party. C’est quelqu’un qui sait mettre une super bonne ambiance. Il me fait vraiment du bien mentalement. Ce sera “monsieur gaieté et joie de vivre”. Sur les ravitos, sa mission sera de me faire sortir du défi. Lors de mes ascensions au mont Royal, il criait et faisait des blagues tout le temps. C’est lui qui a pensé à m’apporter de la crème glacée. C’est un vrai plus un gars comme ça! »
Le plus surprenant dans tout ça, c’est que ces cinq personnes ne se connaissent pas. Et « eux aussi, ils vont souffrir à me suivre, pense Mathieu. Partir 10 jours dans un petit van étriqué à l’aventure, dresser les campements chaque soir… Ce sera une belle aventure humaine, mais ils vont parfois passer 6-7-8 heures à m’attendre à un endroit. Il ne faut pas croire que sera des vacances et ils risquent de manquer de sommeil eux aussi. Ils ne vont pas revenir en forme », prévient-il en riant, excité de voir ses amis à l’œuvre.
« C’est un gros mélange de stress et d’excitation, s’enthousiasme pour sa part Nicolas Danne, qui était heureux d’entrer dans la “course” ce dimanche, apparemment dans une ambiance de franche rigolade.
Mathieu Blanchard a été épaulé dans sa préparation par des médecins ultra-traileurs, à commencer par le Doc Simon Benoit, qui le suit depuis longtemps et qui a établi le protocole médical en cas de pépin. Son ami Olivier Gagnon, chirurgien cardiaque, lui a appris à faire des points de suture afin d’être autonome en cas de mauvaise chute par exemple. Rémi Poitras, lui aussi médecin, lui a également proposé un coup de main. Enfin, Blaise Dubois, de la Clinique du coureur lui a expliqué tout ce qui pouvait lui arriver musculairement pendant ces 10 jours en pleine nature.
Mathieu sera par ailleurs accompagné ponctuellement sur le parcours par des athlètes expérimentés et des coureurs locaux. Elliot Cardin fera notamment le voyage jusqu’en Gaspésie, tout comme Maxime Simard ou les organisateurs de l’Ultra-Trail des Chic-Chocs, comme Éric Lévesque, qui connaissent très bien le terrain et qui vont lui donner les bons conseils pour appréhender au mieux le sentier.
Entre préparation méticuleuse et appréhension des imprévus
S’il a monté un plan de match rigoureux, Mathieu sait qu’il devra être flexible tant les inconnues sont nombreuses. « On a posé les cartes sur ma table, on est parti du km 0 jusqu’au km 650 et on a tout rentré dans un tableau, se remémore-t-il. C’était super intéressant. Faire de la cartographie, je n’avais jamais vécu ça, c’est génial. Je me sens comme un aventurier. Le truc, c’est que le terrain est tellement technique et rustique que ma vitesse de progression est difficile à estimer, anticipe-t-il. Il y a des falaises à grimper avec des cordes par exemple. Je risque parfois d’aller très lentement. Et les conditions météo peuvent être difficiles, même l’été. Les températures peuvent descendre jusqu’à moins 5 en ressenti et il peut y avoir du gros vent, de la grêle, de la pluie. Ça peut être assez critique sur les parties découvertes. Je serai parfois obligé de rester dans le bois pour me protéger. Et je dois aussi m’attendre au gros brouillard, qui ne permet plus de voir le balisage (rouge et blanc), et les monticules de pierres que l’on retrouve sur les parties hors du bois. »
Le dénivelé est aussi un gros point d’interrogation. « Il n’y a pas d’information officielle », déplore-t-il. Brenda Branch, Martin Coulombe et Mathieu Bastien détiennent le temps de référence du SIA-Québec en 19 jours 5 heures et 34 minutes, selon le site qui recense les FKT, les records d’itinéraires existants. Ils auraient gravi 38 000 m de D+. Mathieu est dubitatif, mais il se prépare quand même mentalement à affronter 40 000 m D+.
« Au début, pour évaluer ma progression, j’avais fait une estimation en fonction du ratio km/D+, comme je peux le faire avant une course, mais c’était n’importe quoi. Après avoir parlé aux organisateurs de l’Ultra-Trail des Chic-Chocs, je me suis ravisé et je prévois notamment une étape à (seulement) 40 km. Je préfère être prudent, on verra bien… »
Les conseils de Kilian Jornet et de François D’Haene
Pour préparer son projet, il s’est aussi entretenu avec Kilian Jornet et François D’Haene, deux champions adeptes des défis au long cours auprès de qui il est allé chercher de précieux conseils, entre autres pour savoir comment gérer l’inévitable fatigue, la fréquence et la durée des siestes. « Kilian m’a notamment dit qu’il y aurait des moments où j’aurais l’impression que c’est impossible de mettre un pied devant l’autre, des matins où ce sera atroce psychologiquement, mais que finalement, si, il ne fallait pas s’écouter parce que ce sera possible, même si je mets du temps. J’avais besoin de ce genre de conseils de gars vraiment très inspirants. »
Mathieu n’a jamais couru plus que 160 km, il ne sait pas dans quel état il sera au-delà, et comment il gérera la fatigue, la douleur, le ras-le-bol, etc. « Je ne sais pas comment j’irai, alors pour l’instant je me dis que je veux aller le plus vite possible en essayant d’optimiser tout », dit-il, mais on a marqué sur les cartes toutes les zones où le sentier croise la route, pour que le van me rejoigne si j’avance moins vite que prévu par exemple. »
C’est « une logistique complexe, insiste-t-il. On essaie d’organiser les imprévus, mais on se lance dans quelque chose de très imprévisible. La clé ce sera ma capacité d’adaptation et aussi celle de mon assistance. Il y a des zones sans aucun réseau. Il faut accepter que tout ne se passera pas comme prévu. Je partirais chaque jour avec un gros sac, le même sac que l’UTMB en gros, avec une veste, des gants, de la nourriture, de l’eau. »
La peur
Mathieu Blanchard s’exprime aisément sur ce qu’il ressent. Il a évoqué souvent, après coup, le stress vécu avant un départ. Mais cette fois, c’est la peur qui l’empêche de dormir. « Je suis dans l’inconnu et ça va plus loin que mes limites. J’ai peur, c’est incontrôlable. Ça fait quelques jours que j’ai le sommeil très fragile, a-t-il confié alors qu’il tournait encore en rond dans son appartement à Montréal. J’ai une boule au ventre, de l’anxiété. J’ai peur du défi qui est énorme. Je visualise même la douleur, mais en fin de compte, j’aime ça, ça me fait vibrer, ça m’excite de vivre ces émotions-là. Ça intensifie mon existence. Même si ce n’est pas tous les jours agréable, je me sens plus vivant. »
« Je me suis préparé vraiment sérieusement, j’ai une équipe de feu, je suis prêt mentalement, conclut-il, avec un mélange de fierté et de fébrilité. S’il m’arrive de quoi, je ne pourrais avoir aucun regret sur ma prépa et l’organisation. Mais, les chances que ça ne marche pas sont plus grandes que d’habitude. »
Peu avant minuit, dimanche soir, Mathieu Blanchard avait déjà parcouru 125 km.
Les chemins de grande randonnée (GR) les plus populaires sont le GR20, en Corse (180 km , 13 800 m D+), que Xavier Thévenard vient de parcourir en 32 h 32, le GR10 (930 km, 55 000 m D+) dans les Pyrénées, qu’Erik Clavery vient de courir en 9 jours et 9 heures, le GR5 entre Chamonix et Briançon (202 km, 12 500 m D+) dont le record vient d’être battu par le trio d’athlètes Gregoire Curmer, Martin Kern et Baptiste Robin en 31 h 45, ou encore le GR65, le célèbre chemin de Compostelle, qui part de Genève en Suisse pour se terminer à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne.
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