Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions jusqu’à cet été au plus tôt, a mis la saison de tous les athlètes européens, souvent avant même qu’elle ne débute, sur pause. Mais comment vivent-ils cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français actuels au nom de l’ensemble de la communauté de coureurs.
C’est au tour de Nicolas Martin, numéro 1 tricolore actuellement sur les formats de course compris entre 45 et 74 km (cote ITRA 905), de nous raconter son confinement.
« Nico » vit et s’entraîne dans le Trièves, dans le Vercors. Pilier de l’équipe de France de trail, il a terminé cinquième des derniers mondiaux au Portugal (44 km, 2120 m D+) en individuel et a été sacré champion du monde par équipe. Sur les 78 courses répertoriées par l’ITRA auxquelles il a participé, il en a remporté 18, dont plusieurs courses d’envergure internationale comme l’OCC à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, le Trail du Ventoux, la Skyrhune et le Trail des Aiguilles Rouges.
On notera dans son long palmarès qu’il a terminé trois fois deuxième du Grand Trail du Festival des Templiers (en sept participations) qu’il rêve et ambitionne de remporter.
Distances+ : Comment vis-tu la période de confinement actuelle?
Nicolas Martin : De manière pratique, je vis très bien le confinement. J’habite une région très peu peuplée avec un jardin qui fait plusieurs milliers de mètres carrés et des animaux. Je ne suis pas isolé socialement. Hormis les règles mises en place (par les autorités), ma vie quotidienne est très peu impactée par la situation actuelle. Je peux continuer à m’entraîner quotidiennement, mais avec modération. Cette pratique physique est importante pour mon équilibre global.
Psychologiquement, j’ai eu du mal à saisir l’utilité des mesures dans un premier temps, de comprendre le pourquoi d’une règle identique pour tous alors que la situation est très différente selon les régions. Au début, nous n’avions pas une réelle idée de la durée envisagée, donc ça crée une situation inédite. L’inconnu est générateur d’une certaine peur même si j’ai toujours su relativiser à la vue de ma situation géographique « privilégiée ». Finalement, mon inquiétude principale est plutôt pour mes parents et certains de mes proches qui sont des personnes considérées à risque. J’ai plus peur pour eux que pour ma propre personne. En ce sens, le confinement n’est pas très important. Il faudra continuer à maintenir de la distanciation sociale sur une période longue.
Aujourd’hui, j’attends la fin du confinement pour retrouver un peu plus de lien social avec mes amis, profiter légalement de la nature. Ces mots relèvent toujours de l’irrationnel dans mon esprit même après cinq semaines.
En réalité, le pire de tout, c’est d’avoir eu deux mois de soleil et de ne pas avoir pu sortir le vélo et arpenter la campagne (rires).
Parle-nous de l’impact que cela a eu sur ta motivation.
Je pense que ma motivation personnelle n’a pas été très impactée. Depuis longtemps, j’ai placé les compétitions comme une partie « bonus » de ma pratique sportive. On imagine toujours que le compétiteur est obnubilé par la performance, les compétitions. Pour ma part, c’est avant tout une balise, un repère lointain pour se mettre en action. Me préparer, explorer mes limites mentales et physiques pour donner du sens à ma vie.
Bien entendu, j’ai eu de la déception dans les premiers jours, car j’avais des excellentes sensations. J’avais travaillé dur durant l’hiver et je me pensais capable de faire une excellente saison. D’ailleurs, ma seule course de l’année (NDRL : 2e du Trail du Mont-Ventoux en mars) fut l’une des meilleures de ma carrière. Pour tout dire, si j’aime encore beaucoup la compétition, j’ai de plus en plus de mal à vivre les déplacements et leurs impacts écologiques. Finalement, cette situation a résolu ce questionnement intérieur pour un temps plus ou moins long. C’est une vraie dualité de vivre du sport et donc son impact écologique tout en défendant une proximité avec la nature.
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
Pour le moment, j’ai trois objectifs principaux qui sont annulés. Je devais participer à Zegama (pays basque espagnol) et j’avais privilégié un programme allégé pour arriver à mon meilleur niveau sur cette course que je rêve de découvrir. Ensuite, je devais enchaîner avec le Marathon du Mont-Blanc qui a été, a minima, repoussé, mais il n’y a pas encore une date pour un éventuel report. Enfin, l’Ourea Trail, à Avoriaz en Haute-Savoie, n’a pas pu voir le jour pour sa première édition vu la situation.
Pour le moment, je reste encore optimiste sur la tenue de l’UTMB et donc de la CCC pour ce qui me concerne. Je prendrai n’importe quel parcours, même en plusieurs boucles autour de Chamonix. Je fais confiance à l’organisation pour proposer un parcours de qualité même 100 % français. [L’entrevue a été réalisée avant l’annulation de l’UTMB, NDLR.]
Ensuite, je reste optimiste aussi pour la tenue des championnats de France de course en montagne (27 septembre) et ceux de trail (4 octobre). Deux compétitions qui se déroulent à une heure et demie de la maison (Gap) donc ça sera presque à domicile. Je suis très motivé par cette perspective pour servir de rampe de lancement pour les Templiers (18 octobre).
Enfin, si possible et si je suis sélectionné, j’espère courir les mondiaux de course en montagne. Toutefois, je ne crois guère en la tenue des évènements internationaux à l’heure actuelle.
Sinon, en dehors des compétitions officielles, j’ai un projet en off avec mon acolyte Stéphane Ricard, que je garde pour l’instant secret. Nous avions, déjà, réalisé un beau défi l’an dernier avec notre traversée des Hautes-Alpes nommée « De la lavande à la glace ».
De toute manière, la simple levée du confinement sera la plus belle chose qui arrivera cette année. On ne mesure que trop peu la chance de pouvoir courir, rouler et vivre en totale liberté et en pleine santé.
Quel enseignement tires-tu de ce que nous sommes en train de vivre?
Les enseignements sont nombreux et on pourrait en écrire des pages sur le sujet. Brièvement, on se rend compte du manque total de résilience du système économique actuel. Nous avons été en pénurie de masques, de gants, de gels hydroalcooliques, car tout a été délocalisé pour plus de rentabilité. On est victime de notre mode de vie en somme.
J’espère aussi que de nombreuses personnes se sont servies de cette période pour réfléchir au sens qu’elles veulent donner à leur vie. On se rend compte que rêver à des voyages, vivre dans le futur, dans la possession matérielle, ce n’est guère possible sur le très long terme.
Pour ma part, cette crise « mineure » par rapport aux décennies futures est un avertissement et une invitation à changer les dogmes.
J’ai toujours vécu à la campagne ou à la montagne pour être proche de la nature, car j’aime, avant tout, être à son contact. Avec ma compagne, nous avons, déjà, quelques animaux et nous allons sûrement avoir un projet professionnel dans ce domaine pour le futur.
De toute manière, nous allons tous devoir faire des efforts pour être plus proche de la nature, être moins impactant. Est-ce un hasard que les zones rurales soient plus épargnées par le Covid-19 ?
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Je souhaite du courage à ceux qui vivent, difficilement, ce confinement. J’avoue que je ne sais pas comment j’aurais pu gérer une période aussi longue en ville. J’invite aussi les pratiquants à être responsables durant les mois à venir, en particulier au moment de la sortie du confinement. Il nous faudra bouleverser nos habitudes encore de longs mois d’après l’avis des experts.
Malgré tout, je crois qu’il faut rester optimiste. Les montagnes sont toujours là, je vous rassure. Je peux les observer chaque matin depuis ma maison. La meilleure période de l’année va arriver pour se ressourcer à proximité de chez soi, découvrir son environnement immédiat plutôt que de voyager à l’autre bout de la planète.
Pensons aussi à nos concitoyens fortement impactés par la situation et essayons de consommer avec bienveillance.
Enfin, cette situation nous aura invités à respecter et à honorer la vie qui nous a été offerte.
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