Maria Semerjian
La Diagonale des fous, vue par Émilie Maroteaux, victorieuse du Grand Raid 2021
Émilie Maroteaux vit à la Réunion depuis 18 ans. Avant 2015, elle ne faisait pas du tout de sport et « ne comprenait pas pourquoi les gens se mettaient dans un tel état » lorsqu’elle regardait passer les coureurs de la Diagonale. Jusqu’à ce qu’elle plonge, elle aussi, dans la marmite du trail.
Entre 2015 et 2018, avec son nouvel amoureux, qui est également son entraîneur, elle découvre la rando et les sentiers escarpés de l’île. Elle apprend, en redemande, veut aller trop vite, se blesse… mais c’est le début d’une belle progression qui se décline sur les épreuves du Grand Raid : 4e de la Mascareignes en 2018, 3e du Trail de Bourbon en 2019. Il était prévu qu’elle s’aligne en 2020 sur la Diagonale – « la trilogie pour mes 40 ans, c’était pas mal comme symbole », ponctue-t-elle -, mais la pandémie a repoussé d’un an le grand saut vers l’inconnu du 100 miles (165 km, 10 000 m D+).
« Ce report m’a laissé un an de plus pour me construire », relativise Émilie qui s’est donc lancée dans sa première Diag l’année suivante. « J’ai adoré le départ avec cette ambiance folle, cela ne ressemble à rien d’autre. Lorsque j’ai pris la tête de la course (elle était revenue sur Sylvaine Cussot après Cilaos, NDLR), j’étais très euphorique, je volais un peu… » Même si cet état de flow la quittera en raison de vilaines ampoules à partir de la base de vie de La Possession, où débute le terrible chemin des Anglais, Émilie parvient à rejoindre le stade de La Redoute en mois de 30 heures, gardant la tête jusqu’au bout. « Je n’ai pas voulu croire à la victoire avant la fin de dernière descente, j’étais tellement dans le contrôle, dans la gestion de la peur de la chute, que j’étais dans un état de surprise total lorsque j’ai passé la ligne d’arrivée, raconte-t-elle. C’était la folie sur le stade, mais j’avais encore du mal à réaliser. »
L’année 2022 a été plus compliquée. Avec le recul, Émilie estime ne pas avoir pris assez de repos après cette victoire. « J’ai enchaîné trop vite, analyse-t-elle. Et puis, le quotidien s’est emballé : charge d’entraînement plus importante, boulot de kiné en libéral à 100 %, gestion d’une grande famille recomposée, lutte contre un sale virus en juin, apparition de douleurs aux genoux… bref, j’ai fait une sorte de burn out sportif et personnel. Rien n’allait. Je ne gérais plus rien. J’étais dans l’impossibilité de m’aligner sur ma deuxième Diagonale en octobre dernier. »
Pour rebondir, il a été nécessaire de faire du ménage. « J’ai revu toute l’organisation de mon emploi du temps, j’ai revalorisé la place du sport dans ma vie et j’ai pu passer à mi-temps grâce à mon sponsor local pour pouvoir tout concilier, détaille-t-elle. Il m’a fallu un long moment pour reprendre goût à l’entraînement, à la course à pied, aux dossards… »
Mais désormais, Émilie Maroteaux va bien. Ses deux premières courses de la saison – 5e au MIUT (115 km pour 7100 m D+) et 2e de la Swiss Canyon Trail (115 km pour 5200 m D+) – lui ont donné confiance et lui ont permis de se reconstruire afin de se focaliser sur cette deuxième Diagonale des fous. « Je me sens bien physiquement, même si j’ai besoin de sommeil actuellement, a-t-elle confié à Distances+. Je suis également très rassurée de connaître parfaitement le parcours, en particulier de Cilaos à l’arrivée. J’adore Mafate, je m’y entraîne tout le temps, et même si j’appréhende certaines portions, comme la montée au col des bœufs, j’ai appris physiquement et mentalement à les maîtriser. »
« Le travail de préparation mentale mis en place cette année avec Éric Lacroix m’aide beaucoup pour comprendre mes modes de fonctionnement et pour utiliser les bons outils mentaux lors des coups de mou par exemple », souligne-t-elle, en sachant pertinemment qu’elle risque de devoir faire face à ces moments de défaillances. « En 2021, j’avais fait ma course sans expérience. Je n’avais optimisé ni mes allures ni mes pauses aux ravitaillements, se souvient-elle. Je sais très bien qu’avec ce temps-là (29 h 55), je ne vais inquiéter ni Katie (Schide, vainqueure de l’UTMB 2022 et 2e de la Western States et de l’OCC 2023) ni Camille (Bruyas, vainqueure de la Mascareignes 2016 et du Trail de Bourbon 2017, mais également 2e de l’UTMB 2021). Sur le papier, elles sont 1000 fois plus fortes que moi, alors si je veux rester un peu dans la course, il faudra que je sois plus rapide qu’en 2021. Et plus tu mets d’intensité, plus les up sont hauts, mais plus les down sont bas ».
Mais Émilie Maroteaux peut compter sur ses enfants, son compagnon et toute l’île pour l’aider et lui donner de la force dans sa nouvelle traversée de La Réunion.
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