DISTANCES+ À COURCHEVEL – Le traileur Thibaut Baronian a été dépossédé ce week-end de sa triple couronne lors du Red Bull 400. Les membres de l’équipe de France de ski alpinisme se sont particulièrement illustrés avec, en point d’orgue, les victoires de Thibault Anselmet et Émily Harrop, avec records de l’épreuve en prime. Distances+ était présent à Courchevel pour l’étape française de la course la plus raide du monde.
Pour la petite histoire, les courses du Red Bull 400 ont été créées en 2011 à Tauplitz en Autriche. Le concept est simple : partir du pied de la piste de réception d’un tremplin de saut à ski et remonter jusqu’au sommet du tremplin, là où les sauteurs à ski prennent leur élan. Cet événement se déroule dans 18 pays à travers le monde, notamment en Slovénie, en Finlande, au Canada, en Corée du Sud ou encore en Turquie. Le record absolu a été réalisé en 2017 par Anton Palzer à Bischofshofen, en Autriche, en 3 min 08 s.
L’étape française se déroule depuis 2017 sur le tremplin de la station de Courchevel (dans le massif de la Vanoise en Savoie), celui qui avait servi lors des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. La course fait « seulement » 400 m de long, mais possède une pente à 36 degrés (ou 78 % de D+ au plus fort) et se déroule à 1300 m d’altitude. En 400 m, les participants doivent grimper 180 m de dénivelé. Les 100 premiers mètres étant composés d’une légère descente et d’une portion plate, l’essentiel du dénivelé est regroupé en 300 m.
Format modifié en raison de la pandémie
Pandémie oblige, le format de l’édition 2021 de ce Red Bull 400 avait été légèrement repensé. Le système à trois tours (trois ascensions) a été conservé, avec une montée de qualification, puis une demi-finale puis une finale pour la victoire, mais contrairement aux éditions précédentes, c’est le chronomètre qui comptait pour cette quatrième édition et non la place obtenue lors des séries puisque les organisateurs ont dû renoncer aux départs massifs. En qualification, les coureurs se sont élancés par vague de cinq seulement toutes les 1 min 30, pour limiter les regroupements de participants sur le parcours. Ce dernier s’avère particulièrement étroit puisque la partie du tremplin fait seulement deux mètres en largeur.
Les 90 meilleurs temps hommes et les 30 meilleurs temps femmes des qualifications étaient retenus pour la demi-finale où, cette fois, les coureurs s’élançaient un par un toutes les 30 secondes dans l’ordre inverse du classement, en mode contre-la-montre et non en confrontation directe comme d’habitude donc. La finale s’est déroulée de la même manière avec les 10 meilleurs temps féminins et les 30 meilleurs temps masculins.
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« On a encore changé les règles au milieu de la journée, a même souligné Jean-Michel Faure Vincent, le directeur sportif du Red Bull 400. Normalement, en finale, ça aurait dû être des départs avec seulement une minute d’écart entre chaque garçon et entre chaque fille, mais comme on avait une grosse tendance orageuse qui nous arrivait sur la gueule, on a changé et on est passés à 30 secondes d’écart. Il devait aussi y avoir une présentation de chaque athlète en bas quand il se mettait sur la ligne pour mettre un petit peu de pression, mais là on n’a pas pu le faire parce qu’avec des départs aux 30 secondes il fallait enchaîner fort, fort, fort. »
Un changement judicieux puisque quelques dizaines de minutes après la remise des récompenses, un bon orage de montagne a éclaté et une pluie intense s’est abattue sur le site de l’événement.
Une lutte intense entre Thibau(l)t
Au bout du suspense, après l’arrivée du dernier concurrent, Fleury Roux (meilleur temps des demi-finales et donc dernier concurrent à s’élancer en finale), Thibault Anselmet, spécialiste du ski alpinisme, vainqueur du globe de cristal de course verticale cette saison et deuxième de l’épreuve en 2019, a remporté la course dans un temps canon de 3 minutes et 20 secondes. Il a battu d’une seconde le record établit par Thibaut Baronian en 2019.
« Ça fait trois ans que Thibaut [Baronian] gagne, donc gagner aujourd’hui et en plus prendre son record, ça fait vraiment plaisir, a confié à Distances+ le vainqueur encore un peu essoufflé après sa course. Sur la ligne de départ, j’ai vu qu’il était derrière moi et ça m’a mis un petit coup de pression. Je savais qu’il m’avait en ligne de mire, qu’il ne fallait pas que je me retourne et que je donne le maximum. »
Malgré un dernier 100 m d’une grande intensité, avec énormément de fréquence dans la partie du tremplin, Thibaut Baronian s’est incliné pour seulement quatre secondes.
« Il y a six jours, je faisais un marathon (il a participé au Marathon du Mont-Blanc, où il a pris la 6e place, NDLR), lui (Thibault Anselmet), il ne prépare que des montées sèches et il était très fort aujourd’hui puisqu’il bat mon record », a commenté le Bisontin qui venait surtout pour le « fun » et pour « se retrouver entre copains de plusieurs disciplines. » « Je trouve que c’est pas trop mal pour une récup », a-t-il ajouté avec humour.
Fleury Roux a pris la troisième place, après avoir établi le meilleur temps en qualification (3 min 55 s) et en demi-finale (3 min 57 s), avec un temps de 3 min et 33 s. « Je suis venu pour découvrir l’effort, qui m’a beaucoup plu, explique le champion de France espoir du kilomètre vertical en 2018. Je voulais me faire plaisir sur un format plus sympa, je ne suis pas venu dans une optique d’entraînement. »
Les spécialistes du ski alpinisme à l’honneur
Chez les femmes, Émily Harrop, 3e du sprint de la manche de Val Martello cette saison en ski alpinisme, a remporté la course après 4 minutes et 29 secondes d’effort, nouveau record féminin de la montée (elle efface les 4 min 35 d’Axelle Mollaret réalisés en 2017). Elle a devancé sa coéquipière en équipe de France Léna Bonnel, championne du monde espoir du sprint de ski alpinisme en 2019, de 10 secondes (4 min 39 s) et Marianna Jagercikova, autre spécialiste du ski alpinisme et vice-championne de France cet hiver en course individuelle, de 13 secondes (4 min 42 s).
« Je suis super contente, je ne m’attendais pas du tout à ça, s’est enthousiasmée la championne du jour juste après sa victoire. C’est une épreuve où tu arrives à la fin et tu sais que tu as tout donné, donc il n’y a pas de regret, c’est ça qui est bien. »
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Meilleur temps des qualifications en 4 min 45 s, Julie Roux, vainqueure du Finestre di Pietra (37 km, 1990 m D+) en début de saison, a finalement pris la 5e place.
« En finale, je pense qu’il y avait des endroits où je pouvais relancer plus, analyse quelques minutes après la course la traileuse. Après, c’est dur d’aller plus vite quand tu n’as pas l’habitude de faire de l’intense. Devant ce sont des filles qui sont fortes sur des formats comme ça. »
Les performances des athlètes élites ont enchanté les organisateurs de la course. « Sportivement, les deux records qui tombent, c’est fort parce que Thibaut Baronian et Axelle Mollaret, c’était du costaud, s’est félicité Jean-Michel Faure Vincent, qui est par ailleurs le directeur des équipes élites de Salomon. Le tout avec une gestion de course, cette année, qui était quand même compliquée. »
Gestion d’effort
Au-delà du parcours en lui-même, qui est particulièrement difficile, la répétition des efforts rend l’épreuve encore plus dure. Afin d’optimiser la performance en finale, les favoris ne doivent pas trop se donner dans les premières manches et garder du jus.
« Ce sont des efforts où il ne faut pas partir trop vite parce que c’est bien long, avertit Émily Harrop. Heureusement, là, il y avait un peu de temps pour récupérer entre les manches donc on pouvait quand même se donner un minimum. Il fallait monter en intensité et s’écouter. Vu que l’on partait tout seul, l’écoute de nos sensations était hyper importante. »
« Ce n’est pas facile de gérer son effort, il y a un peu l’euphorie de la course et, des fois, on se sent bien et on fait un bon chrono alors qu’on peut en garder encore, détaille Thibault Anselmet. Le but, c’était vraiment de garder de l’énergie pour la finale, je pense que tous les favoris on fait ça. »
Fleury Roux reconnaît, lui, avoir manqué d’expérience dans la gestion de sa journée. Le spécialiste du kilomètre vertical a réalisé toutes ses courses sous les 4 min quand Thibaut Baronian et Thibault Anselmet ont respectivement réalisé 4 min 19 et 4 min 38 en qualification, et 4 min 05 et 4 min 06 en demi-finale. « J’ai sans doute dû puiser et gaspiller un peu trop d’énergie par rapport à Thibaut Baronian qui a sûrement mieux géré la qualification et la demi-finale, concède le jeune coureur. Mais ça me fait une bonne expérience, pour une première, ce n’est pas trop mal. »
« Une autre course »
Les départs, pour la première fois, en mode contre-la-montre, ont changé la donne du Red Bull 400. « C’est carrément une autre course, estime le directeur sportif de l’événement. Si tu regardes les images de 2019 ou de 2018, tu vois les Thibau(l)t qui arrivent à gérer et à se repérer par rapport aux autres. Là, c’était un peu boule de cristal parce que Thibault gagne avec quatre secondes d’écart, mais quatre secondes d’écart avec le profil de la course tu ne sais pas où elles sont. Ça ne représente rien quatre secondes dans une pente à 36°. »
Tous ont d’ailleurs un peu regretté de ne pas pouvoir s’affronter en confrontation directe. « Je pense que ce n’était pas forcément à mon avantage, je n’ai pas été très bon sur la première partie du filet (la piste de réception est recouverte d’un filet, NDLR). En confrontation directe, s’il y avait eu un trou, j’aurais essayé de le combler tout de suite », estime Thibaut Baronian.
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« Une confrontation directe ça aurait été sympa. Je pense que ça me correspond mieux et que tout le monde préfère la confrontation directe. En plus, c’était très serré donc on se serait bien marrée », complète Julie Roux.
« C’est clair que c’est un peu moins ludique tout seul, tu as moins de repères, ajoute pour sa part Émily Harrop. Tu le fais un peu à la sensation, tu regardes un petit peu devant voir si tu rattrapes celle de devant, pareil derrière. »
Mais tous ont aussi reconnu que c’était le « jeu » et qu’il fallait s’adapter aux conditions du jour. « C’est aussi intéressant dans ce format-là. Cette année, il fallait être capable de faire un chrono en contre-la-montre », résume le vainqueur de l’épreuve homme.
Une convergence des disciplines
Les différents participants élites ne sont pas venus pour les mêmes raisons. Si les traileurs sont plutôt venus pour le « fun » du format de course, les adeptes du ski alpinisme sortaient d’un stage et venaient se tester.
« Mentalement, on se met dans un mode course et ça nous fait retrouver un petit peu ces sensations de crainte, de stress de compétition et surtout ça nous fait un super entraînement lactique, assure Thibault Anselmet. C’est une épreuve qui fait vraiment monter l’acide lactique dans les jambes et nous ça nous sert dans notre sport l’hiver quand tu as besoin de faire un effort intense. »
« En ski alpi, on a des parcours qui ressemblent beaucoup à ce qu’on retrouve sur le Red Bull 400 comme des sprints. C’est un effort qui nous entraîne beaucoup pour l’hiver, complète Emily Harrop. C’était un peu le challenge de ce stage. »
Thibaut Baronian n’accorde pas une place prépondérante à cette épreuve dans sa planification pour ses objectifs, cette course, qu’il vit comme une parenthèse ludique, lui permet de « travailler un peu en explosivité de façon assez minime » et de faire « une bonne séance » tout en « décrassant un peu ».
« Je n’y vois pas beaucoup d’intérêt [pour l’entraînement] si ce n’est de se faire plaisir et de se mettre minable sur une courte distance », assure Fleury Roux.
« Ça les sort de leur zone [de confort], assure Jean-Michel Faure Vincent. Sur la dernière partie, ils ne doivent pas être loin des 3000 m par heure en vitesse ascensionnelle, c’est un truc qu’ils ne connaissent pas. Ça leur fait une respiration sportive avant de réattaquer la saison sportive qui est hyper intense pour les coureurs.»