David Ousselin est prisonnier à la maison d’arrêt de Nice. David Barrois est surveillant pénitentiaire dans cette même prison. Le temps d’un week-end d’évasion, autorisée par l’administration, chandail orange sur le dos, ils ont couru ensemble, presque main dans la main, le trail en duo « One & 1- Run to Camp » (83 km et 4400 m D+) dans les montagnes des Alpes-Maritimes. Leur nom d’équipe : « les évadés », évidemment. Distances+ a échangé avec ce binôme insolite avant et après cette expérience hors du commun et hors les murs.
L’événement One & 1, co-organisé par les athlètes Germain Grangier et Katie Schide et leur ami Sylvain Risso, à Tourettes-sur-Loup, s’est déroulé les 19 et 20 juin. Il était composé de deux étapes, la première de 57 km et 3050 m de dénivelé le samedi, la seconde de 26 km et 1350 m D+ le dimanche, avec des passages en via ferrata. « À travers le One & 1, on est super intéressés d’avoir des équipes de frères, de jumeaux, des équipes qui ont une histoire », a souligné Germain Grangier, mais un détenu et un gardien, dont l’idée revient à Sylvain Risso, c’est une première!
Dans le peloton, ils ont rapidement été surnommés « les David ». Leur participation à cette course a été rendue possible dans le cadre d’un programme de réinsertion par le sport dont David Barrois est responsable à la maison d’arrêt de Nice. Il ne sera pas question ici des faits pour lesquels David Ousselin purge une peine de prison, ce n’est pas le sujet.
« Je m’étais juré que j’irais jusqu’au bout »

Les deux hommes se sont rencontrés il y a plus de 15 ans, en 2005, alors que David Ousselin était incarcéré. Passionné par la course à pied, David Barrois l’avait emmené à l’époque, déjà, sur un 10 km sur route lors d’une journée de permission. Il avait alors transmis « le virus » au détenu, qui ne s’est plus arrêté de courir depuis.
David Ousselin a de nouveau été incarcéré il y a quelques années à la prison de Nice, où il a retrouvé David Barrois qui lui a récemment proposé de participer à « une course d’envergure » cette fois, une expérience en montagne avec du trail, de la marche, de l’escalade, du hors sentier et une nuit en bivouac. Le tout avec « beaucoup de cailloux ». Le détenu n’allait pas passer à côté de cette opportunité de courir en liberté.
Le duo a pris le départ de la première étape avec un léger décalage sur les autres participants à cause des contraintes horaires de la maison d’arrêt. « Les David » ont rejoint le peloton de la course au km 14, sous les encouragements des coureurs présents, prévenus de la situation par l’organisation le matin même.
À peine lancés, ils ont dû s’équiper de leur casque et s’attaquer, sans échauffement, à l’ascension du baou de Saint-Jeannet. Il s’agit d’une partie très raide où les coureurs évoluent en via ferrata.
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« Il y a eu quelques passages où je me suis dit que c’était impossible, a raconté David Ousselin, mais à moins d’être blessé, je m’étais juré que j’irais au bout. »
Les deux partenaires ont couru ensemble pendant deux jours, « à l’exception de quelques portions » lorsque l’un ou l’autre était en meilleure forme. L’objectif était simple : « finir au mental », avaient-ils lancé en cœur à Distances+ avant de s’élancer.
David Ousselin a profité jusqu’au bout de cette « bouffée d’oxygène », loin de l’univers carcéral, et ce malgré les douleurs et un « coup de moins bien » lors du deuxième jour. Au bout du compte, les deux hommes ont terminé la course après 18 heures d’efforts, sous les applaudissements et dans un engouement qu’ils n’auraient jamais soupçonné.
« On a été accueillis par le maire du village, applaudis, des gens venaient nous voir pour nous poser des questions et discuter. La communauté de trail a été incroyable, s’est enthousiasmé fièrement David Barrois. On ne peut pas s’imaginer ce qui s’est passé dans la tête de David (Ousselin). Il ne l’a pas montré, mais l’émotion était là. »
Les gens présents ont pris la mesure de la performance réalisée par ce coureur enfermé en permanence. Au-delà de la belle histoire et du chemin à parcourir pour se réinsérer par le sport, David a dû s’entraîner fort avec les moyens du bord pour se préparer physiquement à cette épreuve très technique d’ultra-endurance réalisée uniquement entre quatre murs. Loin des sentiers, sans « bosses », sans montagnes et sans liberté.
Se préparer pour un trail en prison

Préparer un trail dans cet environnement contraint relève de l’exploit. Finir une épreuve comme le One & 1, dans ces conditions, encore plus. D’autant que David Ousselin n’a, au regard des 83 km et 4400 m D+ qui l’attendaient, quasiment pas couru. Le vélo, les parcours de renforcement et la musculation pure ont rythmé son quotidien, grâce au programme sur mesure concocté par son gardien. Mais David Barrois a dû tenir compte du cadre très restrictif de la vie pénitentiaire auquel se sont ajoutées les restrictions sanitaires. « Demain, on va faire du trail alors qu’il n’a jamais fait de montagne », a fait remarquer le surveillant bienveillant à la veille du départ. Bref, l’exploit n’était clairement pas évident en partant.
Pour travailler sa foulée en prison, David Ousselin a fait les 100 pas dans la cour de son bâtiment. Ou plutôt 50, il les a comptés. « Pour faire quelques kilomètres, je devais faire 100 tours d’un côté et 100 tours de l’autre », explique-t-il. C’est un entraînement « qui bousille les articulations », selon lui, et qui requiert une importante force mentale. « En fonction du personnel pénitentiaire en service, j’avais droit à une heure ou deux de promenade par jour en semaine, et à deux heures le matin et l’après-midi le week-end », a-t-il ajouté.
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« J’ai réussi à faire entre 10 heures et 15 heures de sport par semaine, mais très peu de course à pied », a insisté David Ousselin. « J’avais un peu peur du côté de l’endurance pure, s’inquiétait le gardien et entraîneur David Barrois, qui a suivi la préparation de son athlète. Il a la force, il a la puissance, mais il lui manquait des kilomètres dans les jambes », a-t-il expliqué.
Alors qu’un coureur amateur aurait sans doute enchaîné les sorties longues à raison d’un volume de 50 à 70 km par semaine pour préparer le One & 1, David a dû se contenter de 2 heures de vélo d’appartement entre les murs de la maison d’arrêt. Son corps était donc loin d’être habitué aux contraintes mécaniques et articulaires qu’inflige la course à pied, mais surtout au dénivelé, majeur en montagne. « J’ai dû le freiner au départ », se souvient son binôme, qui tenait à ce que son protégé aille au bout de l’aventure. « Lui, il était à bloc! »
Quoi qu’il en soit, malgré les douleurs bien présentes, et le manque d’expérience pour gérer une course, trouver la bonne allure ou encore adopter la bonne technique en descente, le coureur de 36 ans a réussi ce défi en liberté, avec l’aide de son partenaire. « Pour moi, pour ma famille, et pour David » a-t-il confié.
« Il faut vous imaginez quelqu’un en cage, à qui vous ouvrez les portes. Ce qu’il a fait aujourd’hui est énorme. Il a une force mentale que nous n’aurons jamais », s’est ému David Barrois, heureux du joyeux dénouement de cette belle évasion.
Réinsertion par la course à pied

Dans son genre, David Barrois est un récidiviste. Le surveillant niçois a réussi à sortir plusieurs détenus le temps d’une journée pour participer à d’autres événements de course à pied. Ces sorties, « basées sur la confiance » et le bon comportement de certains prisonniers en fin de peine, sont organisées pour favoriser leur réinsertion dans la société. Ce qui se joue ici dépasse largement la dimension sportive pour lui. « L’intérêt de ce que je fais, c’est de redonner confiance à ces personnes, leur montrer qu’elles peuvent se surpasser et réussir quelque chose. S’ils peuvent le faire, tout est possible », explique-t-il.
Il est convaincu depuis longtemps de l’apport et de l’importance de l’activité physique au sein du milieu carcéral. Ses initiatives lui ont permis d’offrir quelques heures de liberté à près de 200 coureurs en dehors des murs de la prison de Nice, à l’occasion du marathon Nice-Cannes ou du semi-marathon de Nice. David Barrois est même allé, avec une certaine satisfaction, au trail Les Gendarmes et les Voleurs de Temps, près de Limoges, car il avait promis « d’amener un jour un vrai voleur » à l’organisateur de cet événement très populaire, qui est l’un de ses amis.
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À 52 ans, ce surveillant pénitentiaire croit profondément en sa démarche et se moque de celles et ceux qui ne le soutiennent pas et qui lui rappellent que ça n’empêche pas certains détenus de récidiver et de se retrouver en prison. « Je n’écoute pas les détracteurs », assure-t-il, préférant mettre en avant les détenus qui ont participé à son programme et qu’il ne « revoit pas dans l’établissement ».
Si la relation entre lui et les coureurs incarcérés est avant tout « professionnelle », elle est aussi humaine et amicale, à l’image de ce qu’il a vécu avec David Ousselin sur le One & 1. « Nous sommes deux amis venus courir un week-end, dit-il. Cependant si quelque chose ne me convient pas, le surveillant pénitentiaire qui est en moi intervient », précise-t-il tranquillement. Ceci dit, il n’a quasiment jamais eu à le faire apparemment. « C’est un contrat de confiance. Ils savent qu’on fait ça dans leur intérêt. »
Les personnes détenues dont David Barrois s’est occupé depuis 20 ans lui sont généralement reconnaissantes, à l’image de David Ousselin. « Il fait beaucoup. Il est entier et reste le même à l’intérieur comme à l’extérieur, souligne le détenu. Son intervention permet à certaines personnes de se trouver une passion, et, peut-être, de ne pas récidiver. »