Environ 70 % des coureurs sont ponctuellement gênés par un « point de côté ». Quelle est l’origine de cette douleur qui freine les ardeurs? Que sait-on sur ce que l’on décrit comme un coup de poignard dans le ventre? Que faut-il faire pour qu’il disparaisse? Réponses, sous la forme d’une enquête avec une pointe d’humour, du Doc Vauthier.
Voici le cadre de cette enquête visant à élucider le mystère du fameux point de côté :
– décor : tous les terrains de sport
– indices : l’abdomen, l’épaule, le ligament arqué médian, le nerf phrénique, le diaphragme, le péritoine, l’estomac, le foie, le rachis…
– scène de crime : un violent coup de couteau dans le ventre
– enquêteurs : les agents Morton et Callister
L’intensité du point de côté se dissipe avec l’âge
D’après les travaux menés il y a quelques années par les médecins-chercheurs en science du sport, Darren Peter Morton et Robin Callister, 70 % des coureurs déclarent avoir connu cette douleur au cours d’une année. Les femmes seraient légèrement plus sensibles que les hommes, mais les données sont assez contradictoires sur ce sujet.
Avant l’âge de 10 ans, les informations objectives manquent. Certains se souviennent avoir été terrassés, enfants, par exemple lors du cross scolaire annuel, par ce coup de poignard fourbe. Mais les seules données scientifiques publiées à ce jour datent de 1937. Il y a prescription.
Pour les adolescents et les adultes, la règle est simple : plus on est jeune, plus on est exposé, et plus ce point de côté fait mal. Après 40 ans, seuls 40 % des coureurs s’en plaignent au cours d’une année.
Les coureurs expérimentés et performants semblent moins exposés, sans en être indemnes pour autant.
Dans les autres sports que la course à pied, le point de côté fait aussi des ravages. Il accable 70 % des nageurs, 60 % des cavaliers, environ 50 % des pratiquants de sports collectifs, 50 % des pratiquants de conditionnement physique (fitness), et seulement 32 % des cyclistes. Il semble donc exister un lien avec l’extension du tronc, mais aussi avec l’agitation viscérale.
Enfin, l’intensité de la pratique est mise hors de cause. Il n’y a pas non plus un moment propice pour en être victime durant la course. Le criminel peut frapper à tout moment.
Un coup de poignard
Le point de côté est décrit comme un coup de poignard, ou une forte crampe, dans la zone de l’abdomen, mais il n’y a pas de localisation spécifique. La douleur peut survenir du bas du ventre jusqu’à sous les côtes et même vers les épaules. Chez les jeunes, cela survient plus à gauche qu’à droite. Chez les adultes, c’est l’inverse, les douleurs sont deux fois plus fréquentes à droite.
Il y a une part de fatalité. La douleur n’informe pas le coureur qu’il va trop vite ou qu’il pousse la machine trop fort. C’est une douleur « absurde ».
Les conditions météo ou la qualité de l’échauffement n’y changent rien.
Et quand le point de côté est là, notre corps nous fait vite comprendre qu’il faut ralentir ou s’arrêter. Spontanément, on se plie en deux.
Dans certaines études, plus de 10 % des personnes victimes de point de côté sont contraintes à l’abandon.
Ce qu’il faut savoir pour limiter le risque d’avoir un point de côté
Les repas pris dans les deux heures avant la course semblent augmenter les risques, et ce, quelle que soit la composition du repas. Ce serait surtout le volume du repas qui serait en cause. Peu importe ce que vous mangez, tant que c’est en petite quantité en somme.
Les boissons hypertoniques (riches en glucides et en sels) consommées avant ou pendant la course auraient un effet particulièrement délétère. Pour l’eau (hypotonique) et les boissons isotoniques, il conviendrait de réguler le volume ingéré pour limiter les risques.
Travailler le gainage du corps serait un bon geste de prévention pour protéger, du moins en partie, les sportifs. Ce type de renforcement musculaire est de toute façon bon pour tout.
Les méthodes pour faire partir la douleur (respiration profonde ou superficielle, appui sur la zone douloureuse, étirements, etc.) semblent anecdotiques scientifiquement, mais soulagent parfois. Chacun son truc!
Quel est le coupable du point de côté?
Partant du type de douleur, de la localisation du mal et des circonstances de survenue du point de côté, les enquêteurs-chercheurs tentent d’affiner le portrait-robot du coupable.
– Les douleurs sont médiées par le nerf phrénique, le nerf qui innerve la partie antérieure de l’abdomen (le diaphragme), qui prend racine au niveau de la quatrième vertèbre cervicale, tout comme les nerfs des épaules. Cela explique l’irradiation douloureuse vers les épaules.
– La souffrance diaphragmatique a souvent été avancée comme explication, en raison d’une ischémie (circulation sanguine d’une partie du corps insuffisante) ou de crampes, mais certains sports comme l’équitation n’exposent pas à des ischémies par leur intensité et sont pourtant générateurs de points de côté. Hypothèse du diaphragme rejetée.
– Le barouf viscéral pendant la pratique sportive pourrait expliquer la différence entre, par exemple, l’équitation et le cyclisme. Il expliquerait aussi le risque de courir le ventre plein. On imagine le foie et l’estomac qui viendraient tirer sur les ligaments viscéraux qui les tiennent. Mais la survenue très fréquente des points de côté en natation peine à être expliquée ainsi. L’alibi est suffisant pour innocenter les « ligaments viscéraux ».
– Les crampes, le désordre digestif et même la théorie du ligament arqué médian sont assez unanimement rejetés.
– Les torsions répétées du tronc sont assez communes dans les sports à risques et des palpations ciblées des dernières vertèbres thoraciques semblent être capables de reproduire les douleurs de crampes. La théorie d’une douleur neurogénique (d’origine nerveuse) est donc cohérente, mais le rapport avec les repas reste assez difficile à expliquer. Nous ne tenons pas LE coupable, mais un complice, c’est certain! L’étau se resserre!
Le suspect numéro 1
La paroi du péritoine (le péritoine est un genre de grand sac qui contient les organes abdominaux) est innervée par le nerf phrénique et s’attache en haut sur le péritoine. Or le mur péritonéal couvre l’ensemble de l’abdomen. Tiens, tiens…
Certains patients qui présentent des adhérences de ce péritoine décrivent des douleurs similaires au point de côté. Encore plus étrange, la libération chirurgicale de ces adhérences les soulage. On tient notre suspect numéro 1. On appelle cela l’irritation du péritoine pariétal. Tout ce qui va irriter cette paroi semble augmenter le risque de point de côté. Certains auteurs parlent aussi de « gifles » péritonéales pour expliquer ces agressions répétées des viscères sur la paroi.
Mais attention à ne pas faire de ce suspect le coupable idéal. Son dossier est lourd, sa culpabilité ne fait presque aucun doute, mais quel est le rôle exact de chacun de ses complices? Et allons-nous en trouver d’autres dans les prochaines années? Possible.
Et puis, savoir que la paroi du péritoine est coupable du point de côté douloureux nous fait une belle jambe, puisque cela ne permet pas de nous prémunir de la récidive. L’enquête n’est pas complètement terminée pour Morton et Callister (qui ont réalisé la majorité des études sur le sujet).
En résumé
Pour prévenir au maximum le point de côté, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il faut :
- entretenir son gainage
- partir le ventre vide
- éviter les ravitos trop volumineux,
- ralentir ou s’arrêter pour le faire passer (en appuyant dessus, en courant le bras en l’air ou tout autre technique qui semble fonctionner)
- être patient, car vieillir nous prémunit
Jean-Charles Vauthier est médecin généraliste et médecin du sport. Ultra-traileur, il s’est intéressé à la médecine du trail en tant que responsable médical de l’Infernal Trail des Vosges ou du Trail de la Vallée des lacs. Il dirige également des recherches sur la physiologie de l’ultra endurance en lien avec la Faculté de médecine de Nancy.
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