Ses lunettes de ville qu’il porte toujours sur le nez lui donnent un petit air de maître d’école sur les lignes de départ, et c’est souvent en premier de la classe qu’il passe les lignes d’arrivée. Vainqueur du Trail du Ventoux (46 km, 2350 m D+) début juin, le professeur des écoles Thomas Cardin s’alignera ce week-end sur le Maratrail (42 km, 2600 m D+) du Trail des Passerelles du Monteynard avec l’objectif de décrocher une qualification dans l’équipe de France pour les championnats du monde de trail et de course en montagne qui auront lieu en novembre. À 26 ans, l’athlète grenoblois s’inscrit plus que jamais comme l’un des tout meilleurs Français sur les trails allant de 20 à 40 km. Portrait!
Dans sa jeunesse, Thomas Cardin n’était pas un adepte de la course à pied. Son truc à lui, c’était la natation qu’il a pratiquée à un niveau régional. Malgré tout, jusqu’à ses 18 ans, il a participé à des courses, à commencer par les traditionnels cross du collège, qu’il dit avoir remporté chaque année. « Je savais que j’avais des capacités pour courir assez vite et assez longtemps, mais la natation me prenait beaucoup de temps et je ne pouvais pas faire un autre sport », raconte-t-il.
Au lycée, il se souvient avoir tenté une année d’athlétisme complète. L’expérience « ne [lui] avait pas trop plu ». Mais pour le plaisir d’être dans la nature, Thomas Cardin explorait la montagne en courant au-dessus de chez lui, à raison de deux sorties par semaine.
C’est à l’orée de ses 20 ans, contraint d’aller s’installer à Paris pour ses études, qu’il va prendre goût à la course à pied. « Je ne me sentais pas super bien dans ma peau, donc j’ai commencé à courir beaucoup plus souvent, jusqu’à courir tous les matins, confie Thomas Cardin à Distances+. Ça me permettait de me sentir bien et de commencer la journée sur des bonnes sensations. »
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Avec des copains traileurs, il s’est mis à faire des sorties sur le circuit des 25 bosses de Fontainebleau. « C’est là que je me suis rendu compte que c’était un sport », se souvient-il. Il y a pris goût au point de s’inscrire au Gruissan Phoebus Trail (48 km, 1500 m D+) en 2017 sans avoir fait une vraie préparation. Une course où il a tout de même pris la 5e place.
« Naturellement, j’ai des capacités pour bien courir très rapidement, au mental, sans m’entraîner beaucoup, poursuit Thomas. Il y a à foison des petites courses autour de Grenoble avec 200 partants et c’est vrai que ça permettait toujours soit de gagner, soit de faire des podiums. Ça m’a aussi permis de rencontrer des gens qui faisaient un peu plus du haut niveau. »
Le maillot de l’équipe de France, un rêve d’enfant
Thomas Cardin a fait le choix de s’inscrire au Taillefer Trail Team, le club de trail qui organise le Trail des Passerelles du Monteynard. « Je me suis entraîné avec eux et ils m’ont poussé tout doucement vers le haut niveau », explique-t-il. Aujourd’hui, il est entraîné par un certain Philippe Propage, éternel entraîneur de l’équipe de France de trail.
Dès sa première année de pratique, en 2017, il a remporté le titre de champion de France espoir de trail long. Il a par la suite confirmé tout son potentiel en remportant le championnat de France de trail court en 2019. « C’est la plus prestigieuse des victoires, mais ce n’est pas forcément celle qui m’a le plus fait plaisir, nuance Thomas Cardin. C’était vraiment une course d’attente jusqu’au bout et j’avais rattrapé Sylvain [Cachard] dans la dernière montée, à 500 m de l’arrivée. Elle n’était pas très satisfaisante, contrairement à d’autres courses où je m’étais donné à fond et où j’étais vraiment content, comme au Ventoux. »
Car c’est la performance que recherche avant tout Thomas Cardin, avec des courses pleines. La victoire n’est toutefois pas essentielle. Il la voit plus comme un bonus.
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C’est dans cet état d’esprit qu’il sera au départ du Trail des Passerelles du Monteynard ce week-end, une course où il a l’habitude d’être bénévole, mais qu’il n’a jamais courue (il a participé au KV en 2018, mais n’a jamais couru les deux plus longues distances qui sont sélectives pour les championnats du monde de trail cette année).
« Se qualifier dans l’équipe de France de trail court, c’est mon objectif principal, affirme-t-il. C’est une première chance et si ça ne passe pas, je retenterai ma chance au championnat de France en septembre. » Le Grenoblois a à cœur de participer aux championnats du monde de trail et d’effacer la contre-performance de sa première, et seule, sélection en équipe de France lors du championnat du monde de course en montagne en Argentine en 2019. Il avait fini 33e de l’épreuve. « Je reste encore bien affecté. Ça m’avait foutu un bon coup au moral, se rappelle celui pour qui porter le maillot de l’équipe de France est un rêve d’enfant. J’étais super prêt, mais je n’ai pas réussi à gérer la pression. »
Il compte aussi se rendre au championnat de France de course en montagne, car « un titre est toujours alléchant » et pourquoi pas se qualifier aussi pour le championnat du monde dans cette discipline. « Après je ne pourrais pas tout faire, prévient-il. Si je suis qualifié pour les deux, il va falloir réfléchir à ce qui est bon pour moi, mais aussi pour l’équipe de France. Ça sera compliqué d’avoir un titre en individuel, mais pour l’équipe de France, c’est important aussi de réfléchir en stratégie d’équipe. »
Un touche-à-tout
Thomas Cardin est un sportif touche-à-tout. En plus de la course à pied, il s’entraîne en vélo l’été et en ski de randonnée ou ski de fond l’hiver. Il fait aussi beaucoup de randonnée pédestre avec sa femme, mais il estime ne pas réussir à assez mixer les sports pour le moment.
Ce caractère touche-à-tout, il l’a aussi dans le monde de la course à pied. Lorsqu’il a commencé à courir, il a immédiatement débuté par les longues distances et, à présent, il aime prendre part à des courses plus courtes.
C’est notamment pour cette raison qu’en novembre, alors que toutes les courses étaient annulées à cause de la pandémie, il s’est lancé dans un 10 km route en solitaire pour avoir un temps de référence. « Quand tu es dans le monde de la course à pied, si tu discutes un peu avec les gens, il y a des choses qui ressortent, estime-t-il. Si tu n’as jamais fait un marathon par exemple, c’est bizarre. Dans le trail, si tu n’as pas de marque de référence sur 10 km, c’est difficile de te situer par rapport aux autres. » Il a bouclé son 10 km en 30 min et 45 s.
L’hiver, il se prépare aussi en participant à des cross-country. « J’avais un peu du mal à m’y mettre au départ, mais ils sont vraiment une école de la course à pied, juge le Grenoblois. On est obligé de se faire vraiment très mal à l’entraînement, de développer sa foulée, de sortir de sa zone de confort. C’est vrai que c’est très important pour la réussite sportive, ça participe grandement à mes performances en trail. »
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Dans les années qui viennent, il compte aussi faire un marathon sur route. Lors d’une expérience où il devait courir le plus longtemps possible sur les bases du record du monde du 100 km, il avait franchi le marathon en 2 h 34 min « sans avoir trop forcé ».
« Ça me donne envie d’aller voir un jour si je peux me rapprocher des 2 h 25 min voire 2 h 20 min, s’enthousiasme-t-il. Mais c’est beaucoup de travail aussi et ce n’est pas mon sport. Le marathon c’est un sport complètement différent! » C’est pourquoi il compte faire une préparation marathon complète avant de se lancer « pour aller au bout des choses » d’autant qu’elle peut être un atout dans une carrière de trail selon lui.
Il n’écarte pas non plus la possibilité de participer à des distances plus longues comme des ultra-trails. « J’ai à cœur d’essayer d’aller un peu sur toutes les possibilités de courses parce que ça fait progresser, détaille-t-il. C’est sûr que je vais en tenter un, un jour, et si ça fonctionne bien et que j’arrive à m’épanouir peut-être que je me dirigerais vers là. Mais en attendant, tant que je progresse sur les courtes distances, je vais continuer à faire ça. »
Allier carrière sportive et enseignement
Pour le moment, l’ultra n’est pas d’actualité, car son emploi de professeur des écoles ne lui permet pas d’avoir la charge d’entraînement adéquate pour préparer des ultra-trails à haut niveau. « La pratique du trail ne me permet absolument pas de vivre, souligne Thomas Cardin. C’est très, très dur en France de ne faire que du sport, ou en tout cas de l’athlétisme. C’est réservé à une élite. »
Pour allier sa vie professionnelle et sa pratique du trail, Thomas Cardin s’organise des journées bien remplies. Il se lève tôt le matin pour travailler, ensuite il fait cours à sa classe de moyenne section en maternelle et il finit sa journée en allant s’entraîner. « J’ai une grande souplesse dans mon travail. À part le moment où je suis devant les élèves, et encore j’ai pas mal de vacances, personne ne vient regarder comment je travaille. Je m’organise un peu comme je veux et j’en profite à fond », raconte le traileur.
Il regrette d’ailleurs qu’il ne soit quasiment pas possible de concilier sport de haut niveau et vie professionnelle. Pendant ses études déjà, il n’avait pas pu bénéficier d’un statut de sportif de haut niveau et avait dû se débrouiller pour réaliser ses 10 à 15 heures d’entraînement en dehors des heures de cours.
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« Notre système éducatif n’arrive pas à faire du sport un élément important dans l’épanouissement des jeunes, alors que ça l’est, explique-t-il avec un peu de rancœur. Ça permet aux jeunes et aux étudiants de grandir d’une manière hyper intéressante et de s’épanouir. » Le professeur des écoles prend en exemple les États-Unis ou le Japon où, selon lui, le sport de haut niveau est bien mieux intégré à la vie étudiante ou professionnelle.
« Il ne faut pas s’étonner si les capacités physiques moyennes des jeunes Français diminuent, qu’ils deviennent plus sédentaires et il ne faut pas s’étonner non plus si on n’a pas de médailles ou beaucoup moins de médailles que les autres, analyse-t-il. Pour moi, c’est la même chose, qu’on soit tous plus sédentaires et qu’il y ait moins de médailles, c’est la conséquence d’une même politique à savoir que le sport n’est pas intégré socialement dans notre société. »
Le champion de France en titre de trail court a décidé de se donner lui-même les moyens de se professionnaliser dans le trail en passant à mi-temps lors de la prochaine rentrée scolaire. « Ça va me permettre de me concentrer sur le sport et j’espère passer un cap, affirme Thomas Cardin. Ça peut prendre un peu de temps à se mettre en place, ça ne sera pas immédiat parce qu’il va falloir avoir un nouveau rythme de vie, mais peut-être qu’au bout d’un an j’aurais un équilibre qui fera de moi un meilleur sportif. »
Avec cet aménagement de son emploi du temps, il espère notamment pouvoir optimiser le repos et la récupération, un domaine dans lequel il avoue « pas mal pêcher pour le moment ».