Après sa victoire sur la Diagonale, le « 4 x 4 » Grégoire Curmer rêve de l’UTMB

L'athlète de Chamonix Grégoire Curmer a remporté la Diagonale des fous 2019 - Photo : Grand Raid de La Réunion

« La seule personne à dépasser est celle que tu étais hier », philosophe l’ultratraileur Grégoire Curmer sur sa page Facebook. Ça lui ressemble. Si ce montagnard aguerri affectionne la compétition, il la conçoit avant tout comme un moment de partage et de transcendance. Rivaliser, oui, mais pour se pousser et donner le meilleur de soi-même. Car la victoire, Grégoire, il « s’en fout ». Même s’il est évidemment très fier d’avoir passé le premier le fil d’arrivée du Grand Raid de La Réunion en octobre dernier.

Une victoire surprise, certes, tant on attendait Benoit Girondel, Maxime Cazajous, Ludovic Pommeret, Antoine Guillon ou encore Diego Pazos. Oui, mais voilà, ceux-là se sont tous rués dans le mauvais sentier à une intersection où le chemin de la Diagonale des fous croisait celui des courses de relais. Le balisage avait été modifié. Ils ont perdu un temps inestimable. Mais Grégoire, lui, ne s’est pas trompé. Il a tracé sa route à une allure qui l’aurait, quoi qu’il fût survenu sans cette collective déconvenue, placé parmi les meilleurs à l’arrivée. Sa victoire aura été tout sauf volée. Et les perdants dans cette histoire, même rageurs sur le coup, n’ont pas dit le contraire. Ils l’ont même vivement applaudi.

Grégoire Curmer a repris depuis le cours de sa vie dans son resto de Chamonix où il travaille comme un fou, en alternant les séances d’entraînement. Il a quand même trouvé le temps, juste avant le début de la saison de ski alpinisme, d’accorder une entrevue à Distances+ dans laquelle il revient sur « sa Diag » et se confie sur ses chances de remporter cet été l’UTMB, chez lui à Chamonix.

Grégoire Curmer
Grégoire Curmer dans le cirque de Mafate à La Réunion – Photo : Compressport

Distances+ : Quand on regarde ton palmarès, il y a deux choses qui frappent : tu cours beaucoup, en moyenne six ultras par année depuis quatre ans, et tu as rapidement privilégié les longues distances, voire la très longue distance avec le Tor des Géants.

Grégoire Curmer : C’est vrai. Je n’ai jamais aimé faire des trails courts. J’ai commencé par le 80 km du Marathon du Mont-Blanc (2013) et l’année suivante je suis passé directement à la PTL (300 km et 25 000 m D+). J’aime la gestion de l’effort long. Pour moi, en dessous de 80 km, c’est trop court, trop intense. Je ne prends pas de plaisir. Intérieurement, j’aime prendre le temps de vivre le moment, de ressentir les choses. Sur un 30 bornes, tu es mort, tu as été à fond, et tu n’as rien vu.

Et en étant aux avant-postes de l’édition 2019 de la Diagonale des fous, est-ce que tu as quand même réussi à en « profiter »?

Sur la Diag’, tu as le temps de regarder le coucher du soleil et d’écouter le silence. Quand je suis complètement dans ma bulle, j’oublie tout ce qui m’entoure. Je pars loin (dans ma tête). Je suis dans mon truc, j’ai l’habitude.

Les hélicoptères qui suivent la course ne t’ont pas perturbé?

Ah si, les hélicoptères sont gênants. Ça fait du vent et parfois j’avais les yeux pleins de sable.

Comment as-tu développé cette capacité de te concentrer à ce point?

Je ne sais pas. L’habitude de m’évader de longues heures en montagne sûrement. Et je suis sous-chef dans un resto, donc je fais des services très intenses et, même chose, je me mets dans ma bulle. Pendant quatre heures, les plats sortent, mais je suis dans un état de concentration absolue. Et dans ces cas-là, il peut tout se passer, il n’y a rien qui me touche. C’est pareil en course. Je m’en fous de savoir que le gars derrière est à seulement une minute de moi. Si je m’entraîne des heures et des heures, c’est pour moi, pas pour les autres.

C’était ton objectif, avant le départ, de remporter la Diagonale des fous 2019?

Avant la Diag’, je voulais faire dans le top 10, mais jamais de la vie je ne pensais gagner la Diagonale. Tu rêves de le faire, mais c’est tout.

Beaucoup de commentateurs ont dit que tu avais gagné à « la surprise générale », mais lors de la conférence de presse le célèbre animateur (speaker) français Ludovic Collet, qui te connaît bien, était sûr que c’était ton année. Lui, il te voyait gagner bien avant que les principaux favoris se trompent de chemin au début du parcours.

Ludo Collet m’a dit à la remise des dossards : « Grégoire, il faut juste que tu apprennes à te faire confiance ». Moi, je suis toujours sur la réserve. Je n’ai jamais fini une course rincé parce que je me suis donné à fond. Je me dis qu’il faut toujours que j’en garde sous le pied, c’est instinctif. Et là, toute la course, je me suis remémoré ce que disait Ludo. « Cours pour toi! » Ça a vraiment été un stimulant.

À quel moment as-tu commencé à croire à la victoire ?

On m’a dit que j’étais deuxième à Cilaos (km 66/160). C’est la femme d’Antoine Guillon qui m’a donné l’info. Elle m’a dit « reste dans ta course ». Mais ensuite, j’ai prévenu tout le monde de ne pas me donner d’infos. Quand j’ai doublé le Réunionnais Nicolas Rivière, qui menait la course à mi-parcours, je suis resté dans ma bulle. Et je me suis vraiment rendu compte que j’allais gagner en mettant le tee-shirt avant d’entrer dans le stade de La Redoute. J’entendais Ludo gueuler dans le micro. C’était incroyable!

Grégoire Curmer
Grégoire Curmer en conférence de presse après sa victoire à la Diagonale – Photo : Nicolas Fréret

Et tu passes la ligne d’arrivée dans un temps canon : 23 h 33 pour 168 km et 9600 m de D+.

Ouais et après j’ai eu beaucoup de regret quand on m’a dit que je n’étais qu’à 15 minutes du record (de D’Haene et Girondel). J’aurais pu accélérer. En plus, on a fait un détour de 2 km supplémentaires par rapport au parcours normal. Mais je ne regarde jamais ma montre. Je déteste ça!

Pourquoi tu ne t’es pas trompé comme presque tous les autres favoris?

Je ne sais pas. J’ai suivi les fanions. Je ne me suis rendu compte de rien. J’étais tout seul quand je suis passé à l’endroit où les autres se sont trompés, mais si j’avais eu quelqu’un devant, je serais peut-être moi aussi parti à la faute.

Ta victoire, aussi belle soit-elle, a été un peu gâchée médiatiquement par cette erreur de balisage avant Notre-Dame-la-Paix. On a presque plus parlé de ça que de ta victoire. Certains l’ont d’une certaine manière dévalorisée parce que, disent-ils, tu as gagné sans réellement affronter ceux qu’on attendait devant, Girondel, Cazajous, Pommeret, Guillon et les autres. Comment as-tu vécu ces commentaires?

Ça m’a touché. Il faut faire quoi pour gagner juste? J’aurais couru la Diagonale et gagné en 25 heures, je n’aurais rien dit, mais je n’avais pas besoin de parler avec la course que j’ai faite. J’ai couru en 23 heures. Les gens qui idolâtrent François D’Haene me disent que je ne serai jamais au niveau. Je m’en fous un peu. François lui-même m’a conseillé de ne pas m’intéresser aux commentaires. Surtout pas. Les gens sont méchants. Je pense que même si je m’étais trompé, j’aurais forcément terminé à une belle place. Malheureusement, je n’ai pas fait l’erreur de me perdre, et j’ai fait ma course, c’est tout.

Tu évoques François D’Haene, mais l’un de ceux qui ont pris ta défense avec le plus de force, c’est Antoine Guillon, qui espérait courir pour la première fois sous les 24 heures, mais qui s’est trompé lui aussi, terminant finalement très loin après avoir lutté contre l’envie d’abandonner.

Oui et j’ai vraiment été touché par les propos d’Antoine, mais aussi de Benoit Girondel et des autres. Ils m’ont soutenu et ont dit que c’était faux de dire que je sortais de nulle part. Je n’avais pas encore eu de grandes victoires, c’est vrai, mais j’ai eu quand même de beaux résultats.

Après cette incroyable Diagonale des fous, tu seras au départ cet été de l’UTMB.

Oui, chez moi à Chamonix. Les courses, je les ai toutes faites, mais cette année c’est le Saint-Graal. L’UTMB a une place particulière dans mon cœur [en 2017, il avait terminé 14e, NDLR]. Même si la Diagonale reste la Diagonale, beaucoup plus technique et plus belle. 

Est-ce que tu vises la victoire?

Je ne gagnerai pas l’UTMB [il rit]. Je suis lucide. Entre ˝vouloir˝ et ˝pouvoir˝ il y a une différence. Si je peux rentrer dans les 10 premiers, ce serait déjà énorme. Le top du top ce serait le top 5. Moi, je bosse 70 heures par semaine au resto, quand Xavier Thévenard ou Pau Capell (les deux derniers vainqueurs de l’UTMB) ne font que courir. Alors ce serait un peu présomptueux de penser que je peux gagner.

Qui vois-tu le gagner cette année? En sachant que Jim Walmsley va de nouveau tenter sa chance pour devenir le premier Américain à remporter l’UTMB

Walmsley, je l’apprécie et il est sur une autre planète, mais il ne me fait pas peur. Je ferais plus attention à Xavier Thévenard, Pau Capell, François D’Haene, ou encore des gars comme Jordi Gamito, Mathieu Blanchard et Ugo Ferrari.

Tu n’envisages pas une carrière professionnelle pour pouvoir te consacrer pleinement à l’entraînement?

Non. Je me fais chier sans travail. Je n’ai pas seulement envie de m’entraîner six heures tous les jours. Mais mon travail ne m’empêche pas de passer beaucoup de temps dans la montagne. Entre 20 et 35 heures par semaine quand même!

OK, mais si tu travailles 70 heures, tu t’entraînes quand?

Avant et après le service. Quand je sors du boulot à minuit et demi, moi je vais m’entraîner. En courant ou en ski alpinisme l’hiver. D’autant que je fais toutes les courses hivernales cette année, dont la Pierra Menta, mi-mars. Après un service de 400 couverts, tu es en adrénaline. Tu n’as pas envie de dormir. Allumer ma frontale et sortir, c’est hyper reposant. Tu montes, tu observes la station illuminée après une ascension de 1000 mètres de dénivelé, puis tu redescends sur les pistes damées, c’est génial, j’adore ça! Le soir, je fais des sorties de 1 heure, 1 h 30, pas plus. Je n’ai pas de séance définie, j’essaie juste de varier. Mais ces sorties-là, c’est juste du plaisir. Je ne suis pas en mode compétition.

Tu as aussi des séances d’entraînement plus structurées?

Oui, avec Christophe Malardé, l’entraîneur de François D’Haene. Je fais ça la journée, avant d’aller travailler au restaurant. Et maintenant que j’ai un entraîneur, je suis capable de prendre du repos. Avec l’expérience, j’ai appris que c’était nécessaire, que j’en avais besoin. Avant je m’en foutais, je sortais sept jours sur sept. Christophe m’a structuré en misant sur les séances de qualité, du fractionné.

Quand tu dis que tu t’entraînais sept jours sur sept, est-ce que tu ne faisais que courir?

Non, pas du tout. Moi, ma vie, c’est la montagne. J’ai grandi à Chamonix, je fais du ski depuis que je suis petit et j’ai beaucoup randonné dès tout jeune avec mes parents. Aujourd’hui, je fais de l’alpinisme, de l’escalade en haute montagne, je grimpe des faces en glace avec piolet et je fais du ski alpinisme tout l’hiver. Je fais même du parapente. J’aime le dépassement de soi. C’est mental. J’apprends de la montagne et ça m’aide. Pour moi, être en montagne, c’est la liberté. D’ailleurs, c’est fou, mais quand j’étais gamin, dès que je quittais Chamonix, je pleurais. C’est ancré en moi. 

Qu’est-ce que t’apporte le ski alpinisme pour la saison d’ultra-trail?

Ce que j’engrange en dénivelé en ski alpinisme me sert pour le trail. En montée, quand je sors de la saison de ski, je vole, je suis une machine par rapport à ceux qui ne font pas ça. Par contre, je suis tout pété de partout, les fibres musculaires éclatent et je n’ai pas le choix de m’y remettre doucement pour réadapter mon corps.

Grégoire Curmer
Grégoire Curmer est un montagnard, un coureur et un skieur chevronné – Photo courtoisie

Tu te classes presque tout le temps dans le top 10 des compétitions de trail auxquelles tu participes, mais l’année 2019 a été exceptionnelle pour toi, avec une victoire au Grand Raid de La Réunion donc, et des places d’honneur sur des courses de l’Ultra-Trail World Tour : une 2e place à l’Istria 100 en Croatie, une 5e place à la TDS (UTMB) et une 7e place à la Mozart 100 en Autriche.

L’année 2019 a été cohérente avec l’investissement que je lui ai donné. C’est la plus belle année de ma carrière. Je suis retourné à l’essentiel. Je n’ai pas cherché à calculer. J’ai bu plus de bière avec mes amis, je me suis moins restreint, mais je me suis mieux senti dans ma peau. Ne pas boire d’alcool et juste manger des amandes, c’est de la frustration. Tout est question d’équilibre.

Je voulais me tester sur l’Ultra-Trail World Tour et visiter des pays différents. J’essaie de faire du mieux que je peux, et quand la course commence, je donne le meilleur de moi-même, mais je suis surtout là pour m’amuser. Je fais les choses à fond, mais sans me mettre de pression.

Tu as une importante charge d’entraînement, tu fais du gros volume, mais je ne vois pas de trou dans ton palmarès. Tu ne te blesses pas?

Je ne me suis jamais blessé, sauf une fois, une petite entorse avant le Tor des Géants, mais ça ne m’avait pas posé de problèmes. Je crois que je ne me blesse pas parce que je suis hyper polyvalent. Je fais plein de sports. Mon corps s’adapte à tout. Comme dit Ludo Collet, je suis un 4 X 4.

Grégoire Curmer
Grégoire Curmer sur la TDS 2019 où il avait déjà marqué les esprits en prenant la 5e place – Photo courtoisie

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