Frédéric Tranchand, « l’inconnu » qui a talonné Kilian Jornet à Sierre-Zinal

Frédéric Tranchand
Le champion de course d'orientation Frédéric Tranchand a terminé 2e de Sierre-Zinal 2020 derrière Kilian Jornet - Photo : Courtoisie

C’est l’une des révélations de cette saison si particulière dans le monde du trail. Lors de l’édition 2020 de la mythique Sierre-Zinal, disputée exceptionnellement sous la forme d’un contre-la-montre sur une période d’un mois (du 17 août au 18 septembre), Frédéric Tranchand, dépourvu de toute cote ITRA, a pris une incroyable deuxième place lors de la classique suisse, 30 secondes seulement derrière… Kilian Jornet.

Quelle surprise, surtout, sans doute, pour Rémi Bonnet et Davide Magnini, deux habitués des podiums prestigieux, qui sont arrivés derrière lui.

Une référence de la course d’orientation

Frédéric Tranchand
Frédéric Tranchand est une référence mondiale en course d’orientation – Photo : Courtoisie

À 32 ans, le Français est pourtant bien connu dans l’univers de la course d’orientation, où tout le monde l’appelle Fredo. Avec sept médailles aux championnats du monde de course d’orientation depuis 2010 (deux en argent et cinq en bronze), des titres de champion du monde militaire (2010) et universitaire (2014), quatre deuxièmes places aux championnats de Finlande de cross, et de multiples titres et médailles glanés aux championnats de France, il est l’une des références de la discipline.

Pour les amateurs de son sport, qui se sont empressés d’afficher fièrement sur leurs réseaux sociaux la performance de leur ambassadeur, cette deuxième place à Sierre-Zinal n’a donc finalement rien de surprenant.

Meilleure performance française de tous les temps

« Cette course, c’est un mythe. Ça fait longtemps que j’avais envie d’essayer, mais c’était difficilement compatible avec mon calendrier de courses d’orientation. Avec cette saison très particulière, c’était l’occasion, a expliqué Frédéric Tranchand à Distances+. Le 27 août, je suis donc parti un matin avec deux copains orienteurs, Quentin Moulet (13e au final) et Loïc Capbern (11e). » 

Sur la ligne d’arrivée, à Zinal, après 31 km d’effort, le chrono affiche 2 h 33 min 45 s, ce qui aurait été la meilleure performance française de tous les temps sur « la course des cinq 4000 » si le parcours n’avait pas été raccourci (la route habituellement empruntée n’a pas été coupée cette année pour ne pas gêner la circulation), et surtout le meilleur temps provisoire de cette édition 2020.

« Au milieu de la course, j’ai eu un moment un peu plus difficile où j’ai pensé que j’étais parti trop vite, que la montagne allait me battre, raconte-t-il. Les paysages magnifiques m’ont aidé à faire passer la douleur. Une fois arrivé, j’étais content de ma course, mais je ne savais pas trop ce que ça allait donner au final. » 

Kilian Jornet, le seul devant lui

Frédéric Tranchand
Frédéric Tranchand est un pilier de l’équipe de France de course d’orientation – Photo : Courtoisie

Les jours passent et la marque référence tient bon. Mais pas question pour autant de s’enflammer et de rêver à la victoire. Les meilleurs traileurs ne se sont pas encore élancés. Le 18 septembre, dernier jour pour valider un chrono, ils sont enfin là. En fin d’après-midi, quelques cadors avec à leur tête l’Espagnol Kilian Jornet, sept fois vainqueur de Sierre-Zinal, mais aussi le Suisse Rémi Bonnet et l’Italien Davide Magnini, se retrouvent au départ pour une course élite. Pour éviter de trop gros rassemblements de spectateurs sur le bord des sentiers, ce rassemblement s’est fait dans le plus grand secret.

« J’avais été invité, mais je ne pouvais pas être présent, car je disputais le championnat de Finlande de relais avec Paimion Rasti, mon club de course d’orientation, précise Frédéric. C’est mon partenaire numéro un et je me devais d’être présent. Ce jour-là, j’étais donc en Finlande. J’étais en forêt pour ramasser les balises d’une course organisée la veille. J’ai essayé de terminer le plus vite possible et une fois rentré j’ai vite ouvert l’ordinateur. J’actualisais, j’actualisais et rien! Et puis les résultats sont apparus. J’ai vu qu’il n’y en avait qu’un qui avait fait mieux que mon chrono. Et pas n’importe lequel… »

En 2 h 33 min 15 s, Kilian Jornet remporte sa huitième victoire sur la Sierre-Zinal, loin ceci dit de son record de 2019 (2 h 25 min 35 s). Derrière lui, le Suisse Rémi Bonnet coupe la ligne en 2 h 34 min 17 s, soit 32 secondes de plus que le chrono de Frédéric Tranchand, suivi de l’Italien Davide Magnini en 2 h 36 min 05.

« Terminer deuxième, seulement 30 secondes derrière Kilian Jornet, c’est top, commente Frédéric. C’est quand même la référence absolue du trail. Je ne m’y attendais pas trop même si je savais que je pouvais être pas mal sur 20 ou 30 km, sur un terrain un peu technique et avec du dénivelé. Je m’étais aussi pas mal entraîné sur piste et ça m’a fait progresser en course à pied pure (29 min 55 sur 10 km; 14 min 32 sur 5 km). »

« Orienteur, coureur et aventurier enthousiaste »

Frédéric Tranchand
Frédéric Tranchand est un grand voyageur. Il a notamment vécu en Australie – Photo : Courtoisie

Pour cet athlète français originaire de Chuyer, dans le parc naturel régional du Pilat, entre Saint-Étienne et Lyon, cette deuxième place prestigieuse, même dans le contexte exceptionnel de cette année 2020, est une performance de plus à son actif.

« Je viens de la campagne, souligne-t-il. Mon père était agriculteur et avait des vaches laitières. Du coup, on ne pouvait pas beaucoup se déplacer quand j’étais jeune, car il fallait toujours quelqu’un à la ferme. Au début, j’ai surtout suivi mon grand frère qui participait à des épreuves de course d’orientation. Ça me plaisait bien de suivre ses pas. Forcément, j’ai eu envie de faire mieux que lui. J’ai eu de bons résultats et j’ai intégré les structures fédérales. C’était l’occasion d’aller voir des coins différents, en France d’abord, puis à l’étranger. Et puis la course d’orientation est un sport formidable. Chaque circuit est différent et offre à chaque fois un nouveau challenge. On ne réalise jamais la trajectoire parfaite, il y a toujours moyen de progresser. Du coup, on ne se lasse jamais. Il y a bien sûr une dimension physique, mais c’est surtout l’occasion de partir courir dans la nature. »

Courir dans la nature, mais aussi partir visiter le monde. « Après mes études, en 2013, j’ai eu envie de partir en Scandinavie pour atteindre un meilleur niveau en course d’orientation, raconte Frédéric. C’est là-bas que sont les meilleurs, que la densité est la plus importante et c’était la meilleure option pour progresser plus vite. Au début, j’étais parti pour un an. Et j’y suis toujours. Mais je suis aussi parti en Australie, du côté de Melbourne et de Canberra, pour y faire du coaching. Je me sens nomade. J’aime bien partir à l’aventure et découvrir plein de choses différentes. »

Sur son profil Instagram, il se définit comme un « orienteur, coureur et aventurier enthousiaste ». Installé à Paimio, au sud-ouest de la Finlande, à environ 150 km à l’ouest d’Helsinki, Frédéric partage son temps entre l’entraînement et son emploi d’ingénieur en génie civil au service technique de la voirie. « J’ai suivi des cours du soir pour apprendre le finnois, mais je n’ai encore que quelques bases, confie-t-il. Mais l’essentiel de mon travail est de dessiner des plans alors j’arrive à me débrouiller. » 

Rendez-vous au championnat mondial des Golden Trail Series

Frédéric Tranchand n’est pas le premier Français à montrer la compétitivité des orienteurs sur la mythique Sierre-Zinal, face aux plus grands spécialistes du trail. Son compatriote François Gonon avait terminé 4e en 2014. Plusieurs orienteurs suisses se sont également illustrés, comme Marc Lauenstein, vainqueur de Sierre-Zinal en 2013, Judith Wyder, 2e en 2019 ou encore Joey Hadorn, 7e cette année.

Frédéric aura l’occasion de se montrer une nouvelle fois lors du championnat mondial des Golden Trail Series, organisé aux Açores du 29 octobre au 1er novembre. Sa performance lui a en effet offert un « Golden Ticket » pour cette épreuve de 4 étapes en 4 jours où sont attendus la plupart des meilleurs traileurs sur les distances allant de 20 à 40 km.

« Il y a quatre jours de course d’affilée et ça risque d’être dur, anticipe Frédéric. Mais c’est surtout l’occasion de me confronter avec Kilian et les autres. Ce sera un bon test. »

« Ce résultat à Sierre-Zinal me fait un peu réfléchir sur la suite, a-t-il confié à Distances+. Je vais bien évidemment continuer la course d’orientation, qui reste mon sport, mais il faut regarder s’il y a moyen de jouer sur les deux calendriers. J’aimerais bien faire du skyrunning (il sera au départ de la Skyrace des Matheysins, en Isère, les 17 et 18 octobre). J’aime le dénivelé et il y a de chouettes coins à découvrir. »

Sur son dossier de recherche de partenaires, Frédéric Tranchand a écrit : « il ne suffit pas de courir vite, il faut aller dans la bonne direction. » Le Français semble avoir trouvé la sienne. 

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