Les ultra-traileurs Grégoire Curmer, Martin Kern et Baptiste Robin ont relié, début juillet, la « capitale mondiale du trail », Chamonix, et la capitale de l’alpinisme, Briançon, par le mythique GR5, un sentier de grande randonnée de 202 km et 12 500 m D+, en 31 h 45. Ils ont ainsi pulvérisé le temps de référence réalisé en 2011 par un autre trio de champions, François D’Haene, Michel Lanne et Thomas Véricel (37 h 51).
Dans son intégralité, le G5 est long de 2500 km. Il relie la mer du Nord, au départ de Rotterdam, et la mer Méditerranée, à l’arrivée à Nice, en passant par la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, traversant ainsi les Vosges, le Jura et les Alpes.
Plus qu’un simple chrono, cette performance a été avant tout vécue comme une aventure humaine, celle de trois montagnards compétiteurs et passionnés devenus des amis, décidés à faire équipe après des semaines de confinement et une saison marquée par un grand nombre d’annulations.
À peu près dans le même temps, le Jurassien Xavier Thévenard traversait la Corse via le GR20 (180 km et 13 800 m D+) et l’ancien champion du monde de trail Érik Clavery s’élançait dans la traversée des Pyrénées via le GR10 (930 km, 55 000 m D+).
Un trio de choc inédit pour relever le défi
Les trois garçons, qui songeaient à leur tentative de record depuis longtemps, partaient avec une solide expérience. Grégoire Curmer et Martin Kern sont des experts des longues distances. Grégoire a remporté la dernière Diagonale des fous (168 km, 9610 m D+) tandis que Martin a fini 5e de ce Grand Raid de la Réunion avant de remporter au début de cette année la version longue du Trail du Ventoux (72 km et 3900 m D+). Baptiste Robin, arrivé deuxième de la Sky Race Montgenèvre 2019 (49 km, 2570 m D+), excelle quant à lui sur des formats plus courts. Pour l’Annécien de 32 ans, le défi était de taille, car il n’avait jamais couru pareille distance. « Il a fait preuve d’un mental de fou », a d’ailleurs commenté Martin Kern.
Le parcours du GR5, l’exigence alpine par excellence
Partis à 4 h du matin dans des conditions parfaites, les trois champions savaient ce qui les attendait, ou presque. « On connaissait tous les trois les 40 premiers kilomètres, jusqu’au Cormet de Roselend (un col à près de 2000 m d’altitude entre les massifs du Mont-Blanc et du Beaufortin), a souligné Martin à Distances+. Je connaissais aussi très bien les 30 derniers. Mais il y avait 120 bornes qu’on ne connaissait pas du tout. C’était vraiment l’aventure. »
Au programme : de l’altitude et du dénivelé dans le Beaufortin, la Vanoise, le Mont Thabor et la vallée Étroite, puis les Alpes du Sud, Névache, pour enfin fouler les pavés de Briançon.
Le trio s’est montré régulier et confiant du début à la fin en tenant ses temps de passage, profitant même de sa bonne forme pour prendre une heure d’avance sur les deux premiers ravitaillements, au refuge du Plan de la Lai et à celui du Plan du Lac.
Calés sur le rythme de Baptiste, Martin et Grégoire n’ont eu aucune défaillance, jusqu’au km 90 quand Baptiste a commencé à souffrir de maux d’estomac, n’arrivant plus à s’alimenter. Ils ont dû s’adapter, même si cela devait hypothéquer l’espoir de record.
« On ne pouvait pas faire grand-chose à part réduire le rythme, le forcer à bien boire et à bien manger, a raconté Grégoire Curmer à Distances+. Il nous a dit que ça allait passer. Ça a duré pendant trois quarts d’heure, dans la montée de Tignes, dans la neige. Je pense qu’il avait mal géré son ravitaillement », analyse-t-il.
Grâce à son mental et au soutien de ses partenaires, Baptiste Robin s’est relancé progressivement jusqu’à trouver un second souffle. Ses deux amis ont même confié qu’il avait fini par les « tirer » sur la fin du parcours.
La nuit est arrivée, tout comme la fatigue, l’envie de dormir et l’installation d’une certaine monotonie. Mis à rude épreuve, le trio a vécu un passage à vide dans la Haute-Maurienne. La semi-autonomie qu’ils s’étaient imposée, avec des ravitaillements seulement tous les 40 km, n’ont pas arrangé leurs affaires et la chute de la température a encore plus mis à mal les organismes avant de monter vers Valfréjus.
« C’était très ennuyant, se souvient Martin. C’était des pistes forestières qui descendaient et qui montaient, on n’arrivait pas vraiment à courir. On a pris notre mal en patience, mais on s’est aussi perdu plusieurs fois à ce moment. C’était un moment très difficile à gérer tous les trois. »
Après cette nuit compliquée, la magie a opéré au petit matin avec le passage dans les Alpes du Sud. L’arrivée par la vallée Étroite, une vallée franco-italienne située dans le massif des Cerces, a réchauffé les esprits et émerveillé Martin. « Vers 6 h, nous étions en plein dans la descente vers l’Italie. Il y avait des lumières, des animaux partout », se souvient-il.
Le trio est ensuite parvenu à avaler les cols et le dénivelé, en restant toujours dans les clous par rapport au record, puis il a accéléré sur les 25 derniers kilomètres « pour éviter la chaleur ». Ils ont franchi enfin la ligne d’arrivée à Briançon, avec un nouveau record à la clé. Impressionnant, puisqu’ils ont amélioré le précédent record d’un peu plus de 6 heures. C’est éloquent, surtout qu’il était détenu par des vedettes du trail comme François D’Haene et Michel Lanne.
« C’est compliqué de comparer deux courses, mais c’est vrai que 6 h, ça parle », a commenté Martin Kern.
Au-delà du chrono, une aventure humaine
Plus qu’un record, cette traversée semble avoir bousculé et enrichi ses protagonistes, ravis de leur exploit, mais surtout de ces quasi 32 heures de course partagées ensemble, sans se soucier plus que ça du chrono, assurent-il.
Soutenus du début à la fin par leurs proches, chaque moment a été savouré en équipe, ce qui a ajouté une dimension collective dans une discipline jugée parfois individualiste.
« Au départ de Chamonix, il y avait toute la famille de Grégoire. C’était chargé en émotion, se remémore Martin. Son grand-père s’était levé à 3 h 30 pour assister à notre départ. Dès les Contamines, il y avait des personnes au courant de notre passage qui nous attendait pour nous encourager. Tout le monde rigolait, faisait des blagues, même si on avait une certaine pression, tout le monde était content. »
« Ça a été une expérience de découverte hallucinante, s’enthousiasme Martin Kern. On a tous les trois appris de cette aventure en équipe. »
À les écouter, les projets « off » ont peut-être finalement quelque chose de plus. Il y aurait une autre forme d’adrénaline, un vent de liberté loin du tumulte des compétitions, qui offre à ces sportifs professionnels la possibilité de laisser leur trace autrement que sur une course annuelle.
Selon les trois champions, la succession des traversées et records de ces dernières semaines a fait naître une autre forme de compétitions saines, où les coureurs, toutes générations confondues, se « challengent » et partagent leurs expériences, le tout avec cet « esprit trail » caractéristique.
Grégoire Curmer s’était longuement entretenu avec Michel Lanne et François D’Haene avant d’initier ce projet avec Baptiste. « Ils m’ont donné plein de conseils : comment gérer à trois, ne pas se mentir et être transparent, prendre le temps de dormir, se parler et s’écouter, c’est ça le plus important, confie-t-il. Si on ne l’entend pas de l’extérieur, on ne l’applique pas une fois en course. »
« Battre des records et découvrir », tel est l’objectif que comptent poursuivre les trois traileurs dans les années à venir, en parallèle de leur calendrier de course. Leurs esprits regorgent d’ailleurs déjà de projets et d’idées sur les sentiers. D’autres records risquent de tomber.
À lire aussi :
- Xavier Thévenard n’a pas réussi à battre le record du GR20
- Érik Clavery s’attaque au record du GR10
- Stéphane Ricard réalise un temps de référence sur le GR du Vieux Chaillol