À l’heure de la retraite, Jean-François Tantin a raccroché sa robe d’avocat pour se consacrer totalement à sa passion : la course d’ultra-aventure. Avant de faire courir les autres, il a parcouru des milliers de kilomètres sur tous les bitumes et les sentiers du globe et rapporté des souvenirs intenses de ses expéditions. Aujourd’hui, il ouvre des parcours atypiques pour offrir la possibilité à quelques mordus d’ultra-endurance de vivre l’aventure de leur vie. Distances+ s’est longuement entretenu avec ce baroudeur devenu l’organisateur de l’Ultra Run Rarámuri au Mexique. Portrait!
Jean-François court depuis l’âge de 10 ans, plus d’un demi-siècle. Il a commencé avec un ballon de rugby dans les mains, mais à 20 ans, une blessure au genou a mis un terme sa carrière. Il se met alors à courir pour garder la condition physique, sur route. Cette reconversion sportive aurait pu rester banale, mais un pari entre amis va changer la donne. En 1983, ils s’inscrivent au Marathon de Paris avec l’objectif de tenir 21 km et de rentrer prendre une douche. Sauf que Jean-François se fait happer par l’ambiance de la course et boucle finalement son premier marathon.
Il se souvient être vite devenu « accro aux marathons ». Il s’en programmait deux par an, avec un record personnel en 2 h 52. Après avoir accroché 45 dossards, les rues des capitales mondiales n’ont plus de secrets pour lui, et il éprouve le besoin de changer de terrain de jeu, parce que « la course sur route a atteint ses limites ».
Parallèlement à cette passion pour le marathon, Jean-François a développé un goût prononcé pour la randonnée d’aventure, le trekking en bon français. C’est donc tout naturellement qu’il va s’épanouir dans les « courses aventure » qui émergent dans les années 1980-90, mêlant ultra-endurance, expédition et découverte. En 1989, il se lance dans sa première course atypique au long cours : la traversée de l’Amérique du Sud en relais Lima (Pérou) — La Paz (Bolivie) — Rio de Janeiro (Brésil).
Il est de toutes les premières de la « tribu Gestin ». Alain Gestin a été un pionnier dans son domaine. Ce baroudeur proposait (et propose toujours) à une poignée de fondus des courses roots, sans arrêt, dans des univers superbes et désertiques de 333 ou 555 km en Mauritanie, en Égypte, au Niger ou en Inde. Jean-François n’en manquait aucune.
En 2004, il se lance dans une traversée folle de 555 km dans le Ténéré, le « désert des déserts » au Sahara. Il raconte avoir terminé ces huit jours d’odyssée un peu « comme un naufragé », partageant une « micro vie », « une parenthèse humaine » de quelques jours avec un compagnon de galère qu’il ne connaissait pas au départ de la course. Jean-François se souvient encore des « sensations extrêmes », « extraordinaires », qu’il a alors éprouvées.
D’ultra-coureur à ultra-organisateur
Après ce type d’efforts et d’expériences ultimes, que rechercher de plus dans une énième course? Jean-François estime avoir à peu près fait le tour de la question de l’ultra-aventure et n’a plus vraiment d’objectif sportif, mais la passion dévorante est toujours là, lancinante.
C’est ainsi que Jean-François l’ultra-coureur se projette comme Jean-François Tantin l’ultra-organisateur, pour aider les autres à éprouver les sensations, les expériences qu’il a tant aimées. Pour, à son tour, imaginer et monter des projets audacieux, atypiques, engagés humainement et sportivement.
Au fil des rencontres et des discussions, l’idée prend forme et, en 2013, il crée l’association Ultra Run Asia. « Asia », car son premier ultra, il devait l’organiser à Bali. Il découvre à ses dépens que les rouages des administrations indonésiennes sont complexes et corrompus. Il ne veut pas commencer sur des bases malsaines et préfère renoncer à la course. Comment contenter ceux qui lui ont d’ores et déjà fait confiance et sont en attente d’une expédition hors normes?
Jean-François Tantin n’abandonne pas pour autant et change totalement de direction : il va leur proposer un « trip » au Mexique! Rien à voir donc, mais il saisit les bonnes opportunités et les briques du projet s’emboîtent progressivement. Son beau-fils Romain travaille sur place dans la région de Chihuahua, il est mis en contact avec Octavio, un précieux guide local, il se rend sur place dans les canyons sauvages et rencontre les communautés amérindiennes du Mexique, notamment les Tarahumaras mis en lumière par le livre Born to Run qui a érigé en mythe leurs coureurs « aux pieds légers ». La région possède pas mal d’atouts pour devenir le théâtre d’une fabuleuse course-aventure.
L’aventure sauce mexicaine
En 2016, c’est donc dans les superbes canyons Del Cobre que Jean-François convie ses premiers coureurs aventuriers pour un parcours de 180 km pour 9000 m de dénivelé, complètement sauvage, très accidenté, sur des singles uniquement empruntés par les membres des communautés locales. La course attire une dizaine de coureurs européens et une dizaine de locaux. Humainement, tous les participants sont comblés par l’expérience, mais sportivement il n’y a aucun match, ce sont deux courses différentes qui se jouent tellement les écarts sont « dingues » entre les coureurs « naturels » et les coureurs « modernes », ultra équipés mais pas du tout adaptés aux spécificités locales.
En 2017 et 2018, Jean-François corse encore un peu son parcours (190 km pour 10 000 m de D+). En trois éditions l’Ultra Run Rarámuri a trouvé sa place. Il est bien intégré dans le paysage local, c’est devenu un rendez-vous aussi pour la population locale, assure-t-il. Les athlètes viennent courir pour aider leur communauté, qui bénéficie à cette occasion de denrées alimentaires et de dons en pesos représentant une manne importante pour leur village. Jean-François Tantin travaille aussi en étroite collaboration avec plusieurs familles impliquées dans l’organisation. Il peut compter sur Octavio, le guide local, sur Jésus, son acolyte rarámuri, et sur plusieurs familles autochtones pour obtenir les bonnes autorisations, assurer l’ouverture des chemins, le balisage, la tenue des points de contrôle, etc.
Ouvrir de nouveaux horizons
Après trois éditions, la communauté de coureurs « Ultra Run Asia » s’est étoffée et souhaite un peu de nouveauté. Il faut changer de destination pour renouveler l’offre et répondre aux envies des membres de la « tribu Tantin ». En 2019, cela a été le Rajasthan et en 2022 (pas d’édition en 2020 et 2021 en raison de la situation sanitaire), ce sera la Mongolie.
À chaque fois, Jean-François construit ses ultras de la même manière : un ancrage très fort avec des guides locaux et de nombreuses journées de repérages sur place pour trouver 250 km de chemins de traverse, inédits, sportifs et respectueux de l’environnement et des lieux traversés.
L’organisateur insiste sur la notion de « course non-stop ». « Je préfère cette formule plutôt qu’une course à étapes, dit-il. La bulle n’est pas rompue, les coureurs restent totalement dans l’aventure, le quotidien ne reprend pas le dessus à l’étape du soir. »
Ne s’inscrit pas qui veut sur ces courses-aventures : Jean-François « caste » un peu ses participants. Leur niveau sportif est incontournable bien sûr : « 250 km, ce n’est pas à la portée du premier joggeur venu », estime-t-il. L’épreuve est rude, même s’il n’y a pas de barrière horaire. « C’est faisable en marchant si le mental suit », assure-t-il. Mais les qualités humaines et l’état d’esprit des participants sont encore plus déterminants. « Je donne aux gens les moyens de vivre l’aventure de leur vie, ils sont heureux, ouverts, ils s’octroient une parenthèse dans leur quotidien », explique Jean-François Tantin. Et pour que la mayonnaise prenne, il faut « entretenir le bon esprit dans l’équipe, l’osmose entre les participants », affirme-t-il. « La compétition est secondaire, mais ce n’est pas un club de vacances non plus, il faut trouver la bonne synergie entre tous les membres de l’expédition », insiste l’organisateur.
« Plus d’humain, plus de spirituel, plus d’ouverture », c’est ce que vient chercher Thierry Sellem, qui a participé à l’Ultra Run du Rajasthan et qui sera de l’expédition en Mongolie. Thierry a fait lui aussi le tour des grandes classiques sur route et en trail (38 marathons, six UTMB, deux Diagonales des fous) et aujourd’hui, il a envie de dépassement physique, mais sur des événements « avec un nombre de participants restreints (60 prévus en Mongolie), en forte relation avec la population locale, et qui m’ouvrent les yeux et le cœur », a confié Thierry Sellem à Distances+.
Les ultra-traileurs modernes peuvent-ils battre les Tarahumaras?
L’agenda 2022 de Jean-François Tantin est chargé, car avant sa course en Mongolie, prévue en juin, il retournera, fin avril, sur les terres des Tarahumaras. Les trois éditions dans les canyons mexicains lui ont en effet laissé un petit goût d’inachevé.
Après le coup d’essai en 2016, il avait essayé d’attirer quelques coureurs susceptibles de s’opposer un peu plus franchement aux magnifiques coureurs locaux, à l’image de Benoit Girondel, double vainqueur du Grand Raid de la Réunion, qui avait finalement dû renoncer à y participer, mais à chaque fois, les écarts sont demeurés abyssaux, à l’image des 27 heures — oui, 27 heures d’écart! – entre le vainqueur, le coureur local Juan Contreras, du premier européen, David Le Broch, pourtant spécialiste des ultras (sur route).
Cette suprématie des coureurs aux semelles de vent et aux tenues traditionnelles, si bien décrites dans Born to Run, est-elle toujours d’actualité? Se confirmerait-elle face à une équipe spécialement préparée à cette confrontation amicale? Ces questions sont à nouveau venues titiller Jean-François pendant le confinement en 2020 et tout particulièrement lors du championnat du monde de « Backyard » en octobre dernier (ce concept inventé par le fondateur de la Barkley, Lazarus Lake de courir une boucle de 6 706 km toutes les heures jusqu’à épuisement) pendant lequel les coureurs mexicains se sont particulièrement bien comportés (ils étaient encore trois en compétition au bout de 52 heures d’effort). Mais c’est un Européen, le Belge Karel Sabbe, qui l’a emporté avec 75 tours, soit un peu plus de 502 km.
De là est née l’idée de Jean-François de réunir une solide équipe d’ultra-traileurs français, des champions, capable sur le papier de batailler avec les coureurs amérindiens du Mexique et tenter d’apporter « une sorte de contradiction sportive ».
Tantin fait alors jouer ses réseaux et teste l’idée auprès de quelques aventuriers dont il est proche, comme Thierry Corbarieu, un baroudeur de l’extrême, vainqueur entre autres de la Yucon Artic Race. « J’ai senti l’engouement direct », s’enthousiasme l’organisateur.
Les coups de fil s’enchaînent et les élites contactés adhèrent au projet sans hésiter. Et non des moindres : Erik Clavery, Julien Chorier, Nahuel Passerat et Martin Kern donnent leur accord pour aller fouler les canyons mexicains en avril 2022 avec l’objectif de battre le record de l’épreuve (25 h 24). Verront-ils flotter au loin les éclatantes capes de course des Rarámuri ou, au contraire, parviendront-ils, enfin, à faire jeu égal avec ses coureurs hors du commun à mille lieues des standards d’entraînement, d’équipement, d’alimentation des traileurs élites modernes? Jean-François Tantin a hâte d’être au printemps prochain pour connaître la réponse à sa question.
L’Ultra Run Rarámuri 2022 verra se mesurer une équipe mixte des 12 meilleurs coureurs rarámuri du moment et deux équipes francophones, une équipe d’ultra-traileurs élites et une équipe d’aventuriers, composées chacune de quatre gars et deux filles — dont l’auteure de ses lignes. Distances+ et l’ultra-traileuse et documentariste québécoise Caroline Côté, qui aura donc le privilège d’être sur place pour vivre cet événement de l’intérieur, reviendra plus en détail sur cette course prochainement.
Maria Semerjian est professeure agrégée d’éducation physique et sportive à l’Université Toulouse III Paul Sabatier. Elle fait partie de l’équipe enseignante d’un cours en ligne ouvert à tous (MOOC) consacré à l’entraînement sportif en trail et en ultra-trail. À 46 ans, Maria est également une ultra-traileuse élite, avec six victoires et une vingtaine de top 3 en carrière.
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