Pour une société moins malade, cultivons notre littératie physique et bougeons!

La chronique du Doc Benoit

Simon Benoit
Le doc Simon Benoit et l'un de ses enfants, Édouard, à l'Ultra-Trail Harricana - Photo : courtoisie
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Je me fais un devoir d’agir en bon ambassadeur des saines habitudes de vie en ne manquant aucune occasion d’évoquer le plus souvent possible les nombreux bienfaits de l’activité physique. Il fait consensus que l’état de santé actuel et futur de notre société repose en bonne partie sur le niveau d’éducation de ses différentes communautés. Une population éduquée comprend mieux les enjeux de santé et se responsabilise davantage sur ce qu’elle peut « elle-même » faire pour maximiser son propre potentiel de santé. Je vais donc tenter ici de développer le concept de « littératie physique » afin de montrer qu’il est parfaitement réaliste d’améliorer l’état de santé de la population en changeant quelque peu nos mentalités.

La littératie physique se définit par la motivation, la compétence physique, le savoir et la compréhension qu’une personne possède et qui lui permettent de valoriser et prendre en charge son engagement physique pour toute sa vie.

La littératie physique s’apparente à la culture générale. C’est notre éducation au sport, nos connaissances et nos expériences sportives… C’est notre motivation, nos compétences physiques acquises depuis l’enfance et développées ou entretenues par la suite. C’est l’ensemble de ces acquis qui nous incite à bouger et à nous engager à demeurer actifs toute notre vie.

L’activité physique est en crise 

Le constat, dans nos sociétés occidentales modernes, est que l’activité physique est en crise à l’échelle de la population globale. Cela s’explique en bonne partie par l’abandon du transport actif au profit de la voiture, par la nature sédentaire de nos milieux de travail, par notre dépendance croissante aux technologies qui réduisent la nécessité de bouger pour être productif, par l’abandon des jeux libres chez les enfants et par notre besoin de décompresser ou de se détendre que nous comblons plus souvent qu’autrement encore une fois immobiles devant un écran.

Le Canada a élaboré en 2018 une politique nationale intitulée « Vision commune pour favoriser l’activité physique et réduire la sédentarité au Canada : soyons actifs ». Cette initiative succédait à d’autres stratégies déjà élaborées comme la Politique canadienne du sport 2.0 (2012), le Cadre stratégique pour le loisir au Canada (2015) ou encore Canada Actif 20/20 (2015). Toutes ces politiques sont intéressantes et mettent en avant des concepts tous plus novateurs les uns que les autres. Toutefois, dans les faits, tous ces beaux modèles théoriques n’ont donné place qu’à bien peu d’initiatives convaincantes et de changements concrets significatifs de la part de nos instances gouvernementales. 

Quelques chiffres à l’appui

Seulement 62 % des enfants d’âge préscolaire atteignent les niveaux d’activité physique recommandés par les Directives canadiennes en matière de mouvement sur 24 heures à l’intention des adultes. Ce chiffre dégringole à 38 % chez les jeunes de 5 à 17 ans, à 18 % des adultes de 18 à 64 ans et à 14 % des aînés de 65 à 79 ans.

En voyant chuter l’assiduité aux saines habitudes de vie avec l’âge, on comprend bien l’importance de la notion « d’engagement envers l’activité physique pour toute sa vie » soulignée dans la définition de la littératie physique. On constate que les probabilités d’être actif à l’âge adulte sont bien minces si on n’a pas développé sa littératie physique au plus jeune âge.

On note aussi qu’un adulte qui a toujours été sédentaire depuis l’enfance n’aura pas les mêmes bénéfices pour sa santé en développant tardivement un style de vie actif qu’un adulte devenu sédentaire, mais ayant développé sa littératie physique à l’enfance.

4 % des frais de santé pourraient être économisés si nous étions tous actifs

La facture de la sédentarité en frais de santé a été décrite à maintes reprises. Le traitement des maladies chroniques liées à l’inactivité physique coûte au système de santé jusqu’à 6,8 milliards $ par année au Canada, ce qui équivaut à 4 % des coûts totaux des soins de santé. Ceci ne compte pas tous les coûts reliés aux multiples cancers pour lesquels la sédentarité représente un facteur de risque direct ou indirect significatif. Rêvons ensemble à ce qu’on pourrait accomplir en utilisant cette somme dans notre système d’éducation, dans la qualité des soins offerts aux personnes âgées en perte d’autonomie ou encore dans la promotion des arts.

Actuellement, la littératie physique est bien loin d’avoir une place privilégiée dans notre système scolaire. La place offerte à l’activité physique est en effet bien pauvre dans un nombre trop élevé d’institutions d’enseignement et l’accent est trop souvent mis sur le sport élite compétitif qui, sans vouloir lui enlever ces lettres de noblesse, ne contribue pas à la mission de promouvoir l’activité physique pour tous. Dans une vision de santé publique, le sport étudiant se doit d’être inclusif.

À l’opposé du spectre nous continuons à faire la promotion de l’ennemi numéro un de la sédentarité : la voiture. Seulement au Québec, qui compte environ 8 500 000 habitants, on a noté une hausse de la flotte automobile de 50 000 véhicules de promenade entre 2019 et 2020 pour en porter le nombre à 5 273 964 au 30 juin 2020. La croissance du parc automobile est tout simplement plus élevée que celle de la population.

Le Québec est un chef de file au niveau de l’élaboration de plans de développement de littératie physique et de développement sportif des jeunes. Pourtant, force est de constater que nous nous faisons voler nos idées par des pays plus pragmatiques. Il est bien intéressant d’élaborer des modèles théoriques, mais il faut se décider à sortir de l’immobilisme pour passer à l’action si on veut un jour en récolter les fruits.

La littératie physique aussi importante que le français et les mathématiques 

Il est essentiel que la littératie physique soit favorisée dès le plus jeune âge, de la même façon qu’on le fait pour les mathématiques et la lecture.  

Les personnes qui n’ont pas les aptitudes, la confiance, les compétences et le savoir nécessaires pour être physiquement actifs sont moins susceptibles de bouger et de tirer profit des bénéfices de l’activité physique. On pense que la littératie physique peut jouer un rôle de passerelle vers l’activité physique entre autres pour les populations vulnérables.

Non seulement permet-elle de bonifier à faible coût l’état de santé de la population, mais elle contribue également à réduire l’isolement social et à favoriser une image de soi positive. Le jeu coopératif et la participation jettent les bases solides d’une bonne santé mentale et renforcent le soutien social.

Nous ne crierons jamais assez fort que la solution au problème des bouchons de circulation ne passe pas par la construction de plus grosses autoroutes et de nouveaux ponts. La solution exige une réduction massive de la flotte automobile. Ce principe se transpose directement à notre système de soins de santé. Pour réduire le problème de congestion dans nos urgences et des délais déraisonnables dans notre système de santé, il ne faut pas de plus gros hôpitaux et davantage de médecins, mais moins de malades.

La littératie physique revient simplement à inciter les gens à se comporter un peu plus comme des êtres humains normaux. Occupons-nous de la base de la pyramide afin qu’elle soit solide et fiable et puisse ainsi offrir une vraie stabilité à notre système de santé. Permettons-nous de rêver à une population responsable, plus éduquée et plus en santé.


Simon Benoit est médecin de soins critiques en urgence, en plus de tenir une pratique de bureau axée sur la médecine sportive. Il est membre de l’Association québécoise des médecins du sport. Il est également diplômé en physiothérapie et en chiropratique et est ambassadeur de La Clinique du Coureur.

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