Préparer sa stratégie nutrition et hydratation pour le Marathon des Sables

Le MDS, une course à étapes en autosuffisance

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Le MDS fournit de l'eau aux participants du Marathon des Sables - Photo : Cimbaly / MDS

Le 21 avril 2023, 1200 coureurs prendront le départ du 37e Marathon des Sables (MDS) dans le Sahara sud-marocain en autosuffisance alimentaire. Distances+ sera cette année au cœur de l’événement et vous propose à cette occasion, en amont, un dossier spécial MDS.

Comment se préparer adéquatement à cette longue épreuve d’environ 250 km en 6 étapes, dont une longue de 80 km, dans le désert?

Vous retrouverez dans cette série d’articles — qui seront publiés régulièrement jusqu’au terme de l’épreuve — des scientifiques, des entraîneurs, des professionnels de la santé et de la nutrition, des coureurs expérimentés et d’autres qui se lanceront pour la première fois dans l’aventure. Tous témoignent et partagent leur expérience et leurs connaissances sur ce périple hors du commun.

Même si, pour la plupart des participants, le MDS est « une grande aventure humaine davantage tournée vers les rencontres et le partage que vers la performance sportive », même si les barrières horaires sont très larges et que plus de 90 % des traileurs franchissent généralement la ligne d’arrivée, pour le commun des mortels, il ne s’improvise pas. Vous retrouverez tout au long de ce dossier des conseils pratiques pour une préparation réussie, que ce soit en 2023 ou pour les années à venir, afin que cette traversée du désert ne soit pas une semaine de souffrance.

Voici les athlètes qui ont répondu à Distances+ et que vous retrouverez au fil des articles : Mathieu Blanchard, Julien Chorier, Sylvaine Cussot, Brunilde Girardet, Yvan L’Heureux, Mérile Robert et Anna Sylvestre-Treiner 


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Préparer sa stratégie nutritionnelle pour le Marathon des Sables

L’une des particularités du Marathon des Sables, c’est l’autosuffisance alimentaire. Chaque participant doit transporter sept jours de réserves dans son sac à dos. C’est dire l’importance de la stratégie nutritionnelle sur cette course à étapes mythique au Maroc dans le désert du Sahara. Quel que soit le niveau de préparation, elle peut être gâchée si le corps n’est pas correctement ravitaillé au fil des étapes.

Afin de vous aider à mettre en place la bonne stratégie alimentaire en vue de cette épreuve d’une semaine dans le désert marocain, Distances+ vous partage l’expertise haut de gamme du nutritionniste spécialisé dans le sport Anthony Berthou*, auteur notamment du livre « Du bon sens dans notre assiette » et le physiologiste de l’exercice Guillaume Millet**, auteur du livre de référence « Ultra-Trail ».

Les coureurs « fil rouge » de ce dossier MDS, Mathieu Blanchard, Julien Chorier, Sylvaine Cussot, Brunilde Girardet, Yvan L’Heureux, Mérile Robert et Anna Sylvestre-Treiner ont quant à eux partagé leurs conseils « gastronomiques » ou ce qu’ils prévoient transporter avec eux.

Le règlement du Marathon des Sables impose de présenter au contrôle la veille du départ un sac contenant au moins 2000 kcal par jour, soit 14 000 kcal sur la semaine (dans le langage courant, on a tendance à utiliser simplement le mot « calorie », mais il s’agit bien de kilocalories, kcal en version abrégée).

Pour Anthony Berthou, « ces 2000 kcal réglementaires, c’est vraiment pour limiter la casse et éviter les trop grands excès de certains coureurs qui chercheraient vraiment à diminuer le poids de leur sac coûte que coûte au détriment de leur santé. Mais dans la grande majorité des cas, même si la dépense énergétique est vraiment un élément très individuel et multifactoriel, avec 2000 kcal par jour, vous serez en déficit énergétique plus ou moins prononcé. Pour faire très schématique, on peut estimer les dépenses énergétiques de base entre 2000 et 3000 kcal par jour selon les individus, et il faut ajouter entre 400 et 800 kcal par heure d’effort. »

Les « petits appétits », comme Anna Sylvestre-Treiner, pourraient être un peu avantagés. « J’ai un petit estomac, je mange peu et je cours très souvent à jeun, donc a priori, j’ai plutôt moins besoin d’apports que beaucoup, et la faim me fait moins peur, estime la coureuse parisienne. Sauf que je redoute du coup de vraiment sous-estimer mes besoins, face à un effort que je ne connais pas. »

Dans tous les cas, à de rares exceptions près, les coureurs (et marcheurs) vont se retrouver en dette énergétique à moins de porter sur le dos un sac vraiment lourd.

Pour l’ultra-traileuse Sylvaine Cussot, 2e de l’édition 2022 du MDS, le casse-tête était surtout de ne pas alourdir son sac. « J’étais partie avec un pack pré-établi et j’ai rajouté mes produits habituels de course (barres, boisson de l’effort…). C’était très bien pour le rapport poids/calories. J’ai eu faim, c’est vrai, mais ça passe. Je referais pareil si j’y retournais, car je ne veux pas avoir à porter plus lourd. »

Dilemme poids/volume/calories

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L’une des particularités du Marathon des Sables, c’est l’autosuffisance alimentaire – Photo : Cimbaly

Afin de résoudre au mieux ce dilemme poids/volume/calories, que devraient emporter au minimum les participants, pour être performants (chacun à son niveau) au fil des étapes sans altérer sa santé?

1. Des glucides : environ 60 % 

Un marathonien boucle ses 42 km sur route à une vitesse de plus ou moins 70-80 % de sa VMA (soit entre 10,5 et 12 km/h — entre 5 min 42 s et 5 min par kilomètre — pour un coureur ayant une VMA de 15 km/h). À cette intensité, la consommation de glucides comme substrat énergétique est très importante et majoritaire.

Sur le MDS, les vitesses de déplacement vont progressivement chuter au fur et à mesure des étapes et, comme dans les ultras « traditionnels », passer sous la barre des 50 % de VMA (soit une vitesse de moins 7,5 km/h pour notre exemple). Avec cette baisse de l’intensité et l’augmentation de la durée d’effort, le corps va davantage puiser dans le gras (les lipides) pour se fournir en énergie.

Le physiologiste du sport Guillaume Millet précise que ce « point de croisement des substrats énergétiques s’observe autour de 55 % de son VO2Max (consommation maximale d’oxygène en une minute à pleine puissance). Mais cette donnée est en fait très individuelle donc on parle plutôt de zone de croisement fluctuante dépendamment de l’état nutritionnel du sportif et de son niveau d’entraînement. »

Dans tous les cas, et même à vitesse réduite, la lipolyse (le phénomène de dégradation des graisses pour les rendre disponibles par l’organisme comme source d’énergie) n’est pas responsable à 100 % de la production d’énergie. L’oxydation des glucides (le phénomène de dégradations des sucres pour les rendre disponibles par l’organisme comme source d’énergie) intervient également continuellement pour alimenter la machine.

Toutefois, contrairement aux stocks de lipides (assez conséquents même chez des coureurs présentant un faible taux de masse grasse), les réserves de glucides sont limitées. Un coureur moyen, entraîné et bien alimenté, peut engranger environ 2000-2500 kcal sous forme de glycogène stocké dans les muscles et le foie, mais pas plus. Cela représente quelques heures d’effort et c’est tout.

Il est donc indispensable d’ingérer des glucides durant l’épreuve pour compenser l’assèchement des réserves de sucre dans le corps si on veut aller au bout de la semaine d’effort.

« Les recommandations pour une alimentation équilibrée au quotidien sont autour de 50-55 % de glucides (pour 20-25 % de lipides et 15-20 % de protéines), mais sur une telle course, avec le type d’aliments que les coureurs vont consommer, le ratio recommandé va plus être autour de 60 % », dit Anthony Berthou. Il estime pour sa part qu’il faut plutôt viser 40-50 % de glucides, 30-40 % de lipides et 10-15% de protéines, en soulignant qu’on raisonne plutôt par rapport au poids corporel (1,3 à 1,5 g de protéines/kg poids corporel/jour par exemple).

  • Des glucides pendant l’effort pour préserver les stocks au maximum
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L’importance de bien se nourrir entre les étapes du MDS pour repartir le lendemain – Photo : Cimbaly

Pour le nutritionniste, « la diminution du glycogène altère la force musculaire et la qualité de la foulée, donc les performances, tout en augmentant les risques ultérieurs de blessure ». De même, elle va entraîner une baisse de la glycémie (le taux de sucre dans le sang) et un risque d’hypoglycémie d’effort, qui se matérialise entre autres par un énorme coup de mou. Cet épisode est très désagréable et vraiment contre-productif pour l’avancement de l’étape en cours, puisque cela se traduit par une baisse de concentration, une altération des performances intellectuelles et physiques, voire une perte de connaissance.

Les apports exogènes en glucides pendant l’effort, en mangeant une barre énergétique ou une boisson de l’effort par exemple, revêtent donc une importance double : sauvegarder le plus longtemps possible les réserves en glycogène musculaire pour reculer l’apparition de la fatigue et en glycogène hépatique pour maintenir le plus stable possible la glycémie sanguine.

En revanche, « consommer des glucides sous forme solide et liquide pendant l’étape n’est pas “naturel” pour tous les coureurs », précise Anthony Berthou. Il préconise donc « un véritable entraînement du système digestif qui doit lui aussi s’adapter à l’effort et à l’ingestion, bien plus importante qu’au quotidien, de ces fameux glucides ». D’où le conseil très souvent répété d’intégrer la notion d’alimentation comme paramètre de l’entraînement à part entière.

Les sorties longues et éventuellement les compétitions préparatoires sont en effet les meilleurs moments pour tester grandeur nature toutes les compotes, gels et autres boissons de l’effort. À la fois pour s’assurer qu’elles vous conviennent, mais aussi pour rechercher votre seuil de tolérance à chacun des produits que vous consommerez en course.

  • Combien prévoir d’énergie glucidique pour chaque étape?

Les besoins et les habitudes de chacun sont évidemment individuels, mais les recommandations d’Anthony Berthou « fluctuent entre 50 et 80 g de glucides par heure (c’est une moyenne, certains coureurs peuvent supporter d’ingérer 90 g voire jusqu’à 120 g de glucides dans certains protocoles expérimentaux) sous forme de compote (100 g de compote de l’effort = 30 g de glucides), fruits secs (une poignée d’abricots secs = 17 g de glucides, mais attention à la tolérance digestive de ce type de produit), pâtes de fruits, barres (une barre ou une pâte de fruits de 25 g = 17 g de glucides) et boissons. À chacun de bien lire les étiquettes des compositions de chaque produit et de bien les tester pour trouver ses glucides les plus digestes possible. »

Cette notion de digestibilité est particulièrement importante pour le physiologiste Guillaume Millet. « Toute la difficulté réside dans le subtil équilibre entre le fait d’apporter assez de glucides (pour limiter l’épuisement des stocks glycogéniques) et le fait de les tolérer sur le plan digestif », car en ultra-trail traditionnel comme sur l’UTMB, « les causes d’abandons liées aux différents problèmes digestifs (douleurs abdominales, nausées, vomissements, diarrhées) sont de l’ordre de 20 %. » Avec la chaleur comme élément perturbateur supplémentaire, le choix des produits de l’effort sera donc déterminant pour franchir la ligne d’arrivée de chaque étape.

Les boissons de l’effort peuvent être un vrai plus pour le confort digestif et pour un lissage plus régulier des apports glucidiques. Par contre, attention au bon dosage des produits. « La valeur ne doit pas dépasser 60 à 80 g de glucides par litre. S’il fait chaud, on descendra à 50 g par litre. Et si c’est la canicule on descendra à 30/40 g par litre, car la consommation de boisson sera accrue », estime-t-il.

N’oublions pas qu’il faut cumuler les apports en glucides solides et liquides et, au total, ne pas dépasser 70-80 g par heure (suivant la tolérance de chacun).

Exemple de ravitaillement consommé sur une heure : 500 ml de boisson moyennement dosée (= 30 g de glucide) + 2 barres de 25 g (= 30 g de glucide), donne un total de 60 g de glucides ingérés, soit une valeur dans la moyenne, a priori bien tolérée par la majorité des coureurs.

Si on rajoute un gel de 25 g (= 15 g de glucide) et si on boit une flasque supplémentaire (= 30 g de glucide), cela nous donne un total de 105 g de glucides ingérés par heure, soit un seuil à haut potentiel d’inconfort.

« En plus d’un fort risque d’écœurement particulièrement accru en ambiances chaudes, les problèmes digestifs liés à la trop grande concentration en glucides dans le système digestif, le ralentissement de la vidange gastrique et le ralentissement du passage des nutriments dans le sang, les diarrhées sont fortement à craindre », conclut le chercheur, spécialiste de l’ultra trail, y compris comme pratiquant.

Pour éviter la saturation et apporter du sel, le conseil est d’alterner avec des produits énergétiques salés (biscuits apéritif, fruits secs salés, barres goût pizza ou romarin de certaines marques…), comme le fait l’expérimenté Mérile Robert qui, au fil de ses participations, a changé pas mal de choses concernant son alimentation. « J’ai essayé d’optimiser le rapport poids/calories sur l’ensemble des repas, explique-t-il. En particulier, j’ai réduit le nombre de barres et gels énergétiques que je prends en course, car je suis assez vite saturé par ces goûts sucrés. J’en garde quelques-unes, mais j’alterne avec des oléagineux et des fruits secs. »

« Encore une fois, la consommation de ces produits salés seront à valider selon la tolérance digestive de chacun, tient à nuancer Anthony Berthou. Car ces collations sont généralement assez grasses et riches en protéines, ce qui ralentit la vidange gastrique (la digestion). »

  • Des glucides avant et après l’effort pour constituer et reconstituer les stocks 
Sylvaine Cussot
La Française Sylvaine Cussot, 2e du Marathon des Sables 2022 – Photo : Cymbaly / MDS

Comme sur tout ultra, l’objectif est d’arriver au départ de la course avec des stocks de glycogène gonflés au maximum. Les buffets d’avant-course prévus par l’organisation sont assez diversifiés pour que chacun puisse y constituer ses réserves. Par contre, l’objectif n’est pas d’en profiter pour se gaver en se disant que faire des réserves comme les marmottes est une bonne idée avant une semaine de restrictions. Les capacités de stockage des glucides étant limitées individuellement et rapidement atteintes, lorsque ce seuil de saturation du glycogène est atteint, le surplus est directement stocké sous forme de graisses. Cette surcharge, cette fois-ci pondérale, n’est pas vraiment la bienvenue en course à pied. Le paquetage sera déjà assez lourd à porter pour le corps.

Même avec des réserves de glycogène à bloc au départ, l’organisme va se servir, utiliser ces substrats énergétiques pour son fonctionnement et progressivement vider les réserves dès le premier jour. Les petits déjeuners et les repas sur le camp doivent donc être suffisamment riches pour remplir à nouveau le niveau des réserves afin de pouvoir enchaîner les étapes.

Muesli, porridge, crème sport pour le petit déjeuner (100 g de ces produits représente environ 400 kcal que l’on peut enrichir avec des fruits secs et des oléagineux par exemple) sont souvent au menu du matin des coureurs.

Pour le Québécois spécialiste de l’ultra-endurance Yvan L’Heureux, c’était « petit-déj à la blédine pour bébé, car c’est super riche et ça se réhydrate en un clin d’œil », argumente-t-il. 100 g de céréales en poudre pour enfant représente environ 400 kcal, 80 g de glucides et 14 g de protéines.

Mérile Robert prépare lui-même ses petits déjeuners. « C’est assez facile à faire », dit-il. Pour lui, c’est céréales classiques ou muesli avec un peu de lait en poudre animal ou végétal et quelques fruits secs. 

Mathieu Blanchard opte lui pour un mélange « gruau de flocons d’avoine + huile d’olive + sucre ».

Le soir, c’est dégustation de plats lyophilisés! Il en existe de toutes sortes, des plus simples aux plus exotiques. La lecture des étiquettes est importante pour orienter ses choix avant l’achat en gardant en tête que pour 100 g de produit, il faudrait idéalement trouver 500 kcal à raison de 50-60 g de glucides et 20-25 g de protéines.

Mérile consomme des « lyophilisés du commerce chaque jour pour le plat de midi ou du soir pour garantir un apport énergétique suffisant. Je sélectionne les produits dont le rapport poids/calories est optimal, en évitant des plats épicés, je préfère les assaisonnés moi-même, dit-il. Je complète aussi certains repas avec une purée, de la viande séchée ou une soupe lyophilisée que l’on trouve dans n’importe quel commerce. »

2. Des lipides : environ 25-30 %  

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Lever de soleil sur le Marathon des Sables – Photo : Franck Oddoux

Contrairement au glycogène, les stocks d’acides gras sont très importants, même chez les sportifs présentant des taux de masse grasse faibles. Par exemple, un sportif pesant 60 kg et ayant un taux de 10 % de masse grasse dispose de l’équivalent d’environ 54 000 kcal en réserve, sachant qu’un gramme de lipides fournit 9 kcal.

Les efforts répétés dans le sable ne vont pas suffire à siphonner toutes les réserves au cours de la semaine. Malgré cela, l’apport en lipides dans la ration journalière est bien à prendre en compte, car cette catégorie de nutriment n’assure pas qu’une fonction énergétique. « Ils jouent également des rôles essentiels au maintien d’une santé optimale et des performances, notamment en garantissant une souplesse membranaire et un contrôle positif de l’inflammation, tient à rappeler Anthony Berthou. C’est le rôle en particulier des acides gras polyinsaturés, les oméga 3. »

« Au quotidien, je suis très attaché à la qualité des lipides ingérés, mais sur ce type d’épreuve la contrainte est vraiment énergétique, alors le sportif peut consommer des graisses saturées sans grande conséquence » assure le nutritionniste. Il reconnaît que « c’est compliqué de transporter une bouteille d’une bonne huile dans son sac, mais par contre, on peut miser sur les oléagineux en collation et pourquoi pas sur des petites boîtes de conserve de sardines. C’est un produit avec un très bon rendement en lipides comme en protéines », conclut-il. Avis aux amateurs qui digèrent bien ces petits poissons gras!

3. Des protéines : environ 15 % 

Contrairement aux glucides et aux lipides, les protéines ne constituent pas un réservoir énergétique aisément utilisable sauf en cas de dette sévère et/ou d’efforts prolongés, ce qui risque d’être le cas de pas mal de coureurs en fin de semaine. « On estime que l’oxydation (donc la destruction) des acides aminés branchés (ou BCAA pour branched-chain amino acid) très abondants dans le tissu musculaire couvre 3 à 10 % de la dépense énergétique totale d’un effort de longue durée », précise le nutritionniste. Même si elle reste minoritaire, cette oxydation va avoir des répercussions importantes sur le fonctionnement de l’organisme qui va devoir reconstruire ses propres briques lors des phases de récupération. L’apport exogène de protéines et en particulier d’acides aminés essentiels (ils sont dits « essentiels parce que l’organisme ne sait pas les fabriquer ») va aider à cette reconstruction.

De plus, les protéines, « bien au-delà de n’être que de “simples” constituants des muscles, sont indispensables à la synthèse de nos hormones, de nos enzymes, des anticorps de notre système immunitaire ou encore de nos neuromédiateurs », complète le nutritionniste, d’où la nécessité de bien atteindre la proportion préconisée de protéines dans les rations journalières.

Dans cet objectif, Anthony Berthou conseille d’intégrer dans les menus « de la viande séchée, des boissons de récupération, des barres et des poudres protéinées (comme la whey ou la protéine de chanvre pour les coureurs ne consommant pas de protéines animales) pour augmenter la part de protéines. » Il précise que « sur ce type de semaine, on va constater des déficits importants en acides aminés essentiels et en BCAA, il faut vraiment intégrer cette donnée dans toutes les collations. On peut même prévoir une supplémentation en Leucine (un des trois BCAA les plus impliqués dans la synthèse des protéines) à hauteur de 2 à 4 g dans sa ration de récupération » pour optimiser la réparation tissulaire.

Brunilde Girardet, qui s’élancera pour la première fois dans ce genre d’aventures, se fait aider dans sa programmation par Edwin Lucas, diététicien-nutritionniste et kayakiste de haut niveau pendant 15 ans (il suit notamment de jeunes sportifs du CREPS de Toulouse). Il lui conseille de « vraiment veiller à l’apport suffisant en protéines et de prévoir un rapport 60-80 g de glucides et 15-20 g de protéines pour chaque collation importante de la journée quitte à enrichir les préparations commerciales avec de la poudre d’œuf ou de la poudre de lait pour augmenter la teneur en protéines, si elle les tolère au niveau digestif. »

Anna Sylvestre-Treiner va quant à elle opter pour une alimentation très végétale. « Je pars sur un pack végétarien, je ne suis pas stricto sensu végétarienne, mais je mange très peu de viande et sous la forme lyophilisée ça me ragoûte encore moins, dit-elle. Je vais commencer à étudier les offres en lyophilisés pour tenter malgré tout de varier un peu les repas, ne pas trop avoir de sentiment de lassitude, et que cela soit un petit moment de plaisir quand même ».

Les recommandations vont plus loin. Edwin Lucas, lui, préconise « de se tourner vers les plats lyophilisés à base de soja, de miser sur le seitan séché par exemple pour remplacer la viande séchée, de forcer sur les fruits à coques, en particulier les noix, très riches en protéines, mais aussi en bons oméga 3, indispensables à la régénération et cicatrisation des tissus ». 

4. De l’eau, mais pas seulement, et dans les bonnes proportions

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Récupération sur le campement du MDS – Photo : Cimbaly

Évidemment, l’autonomie alimentaire n’inclut pas l’autonomie en eau. Cette denrée essentielle existe bien elle aussi sous forme déshydratée, mais l’organisation ne pousse pas le concept jusque là. Environ tous les 10 km sur les étapes et le soir au bivouac, chaque coureur recevra ses précieuses bouteilles d’eau tiède. 

  • Boire quand on a soif 

Les chercheurs s’accordent sur la nécessité de « tuer le mythe », qui résiste pourtant bien dans tous les pelotons de sportifs, selon lequel la déshydratation cause une baisse des performances (plus précisément, qu’une déshydratation entraînant une baisse de poids d’à peine 2 % se traduirait par une baisse des performances de 20 %). Que les choses soient claires, selon les données scientifiques probantes  : c’est faux!

Guillaume Millet l’atteste : « cette idée reçue est basée sur des études relativement anciennes et elle ne résiste pas bien à l’analyse de ce qui se passe sur le terrain. À force d’entendre dans tous les magazines (mais jamais sur Distances+ NDLR) qu’il faut boire avant d’avoir soif et que la déshydratation est le pire ennemi du coureur, certains sont tombés dans l’excès inverse : trop boire », constate le chercheur.

« Les recommandations actuelles sont désormais de boire quand on a soif (et non avant d’avoir soif), même si cela peut entraîner une perte de poids plus importante (autour de 5 % sur de longues distances par exemple) », ajoute-t-il.

« Évidemment, il existe de vrais risques de déshydratation en ultra, mais il existe aussi des risques de surhydratation, souligne le chercheur. En dehors des problèmes gastriques qu’elle peut induire, une autre conséquence plus grave peut en découler : l’hyponatrémie, c’est-à-dire la diminution du sodium (du sel) dans le sang. Le moyen le plus simple de prévenir une hyponatrémie est de vérifier son poids. Il ne doit pas augmenter fortement (prise de poids par rétention d’eau). D’autres signes sont la nausée, les maux de tête, des œdèmes, le vomissement d’eau pure ou encore la confusion mentale pouvant aller jusqu’à la perte de connaissance. » 

Donc le premier conseil pourrait se résumer ainsi : « il faut boire régulièrement tout au long de l’étape, mais sans excès, en écoutant ses sensations. »

Concrètement, en volume, les recommandations peuvent varier du simple au double suivant les personnes et les conditions climatiques. La moyenne très générale est de boire environ 500 ml par heure, mais en conditions chaudes on peut préconiser de 400 à 800 ml par heure. Ce ne sont que des tendances, car dans la pratique c’est vraiment du cas par cas, chaque coureur est différent et chaque coureur doit apprendre à se connaître et à jauger ce qui lui convient pour être opérationnel le jour J.

  • Enrichir son eau tiède 

Que peut-on ajouter dans ses rations d’eau distribuées environ tous les 10 km à chaque « chek-point » pour améliorer sa journée ? Voici les différentes options, à prendre souvent avec précaution :

– Des glucides pour soutenir la dépense énergétique, comme vu précédemment en vérifiant toujours bien les concentrations des poudres ajoutées (pour rappel pas plus de 50 g de glucides par litre s’il fait chaud).

– Du sodium pour équilibrer les concentrations, mais avec la bonne proportionnalité. Anthony Berthou recommande « un apport de 500 mg à 1 g de sodium par litre de boisson » (pour info les petits sachets individuels de 1 g de sel de table contiennent 400 mg de sodium, ils peuvent être pratiques pour doser ses boissons. Mais attention à la surdose, la boisson devient vite imbuvable et mal équilibrée).

Par contre, le nutritionniste ne « cautionne vraiment pas l’usage des capsules de sel fournies par l’organisation, car elles apportent une trop grande concentration d’un coup. »

Guillaume Millet est d’accord et affirme même que « c’est la meilleure voie pour accentuer la déshydratation et provoquer des troubles digestifs (par effet d’osmose, “l’eau quitte l’organisme”) délétères pour la performance finale, car très souvent, c’est synonyme d’abandon sur un ultra classique ».

« Le dosage du sodium est donc à manier avec précaution », conclut Anthony Berthou qui explique que, d’un côté, on court le risque d’une baisse de son taux de sodium dans le sang si les apports apports salés sont insuffisants, mais de l’autre côté, si la consommation des boissons ou aliments très salés est trop importante, elle va augmenter la sensation de soif, on va en conséquence ingérer potentiellement beaucoup trop d’eau et risquer une trop grande dilution du sodium et donc des problèmes gastriques. En résumé, il faut que l’apport de sel soit proportionnel aux volumes d’eau consommé. C’est de la biochimie.

– Des électrolytes, en plus du sodium déjà cité. L’utilisation des tablettes ou des sachets d’électrolytes peut venir enrichir la composition des boissons de l’effort. Anthony Berthou attire toutefois l’attention « sur la qualité des propositions commerciales et la quantité réelle des éléments contenus dans les préparations. Il est important encore une fois de bien déchiffrer les étiquettes des produits. »

– Des protéines. En 2021, Mathieu Blanchard a participé à son premier Marathon des Sables. L’athlète, qui a terminé 3e de l’UTMB cette année-là et 2e l’année suivante, aime s’impliquer dans les domaines « recherche et développement » avec ses partenaires. Ainsi, avec son sponsor nutrition, Naäk (également partenaire majeur du podcast de Distances+, La Bande à D+), il a contribué à mettre au point une boisson de l’effort spécifique contenant, outre les classiques glucides, des protéines et BCAA pour éviter au maximum le catabolisme (la dégradation) des fibres musculaires. Pour Mathieu, ces protéines pendant l’effort participent à « la durabilité de l’athlète ». « Sur des courses à étapes, il faut pouvoir durer le plus possible. Si tu perds trop (de tout) sur une journée, tu ne peux pas repartir le lendemain », illustre-t-il.

  • Bien gérer l’eau pour maximiser sa récupération sur le camp
Mathieu Blanchard
Mathieu Blanchard félicité par Patrick Bauer lors du Marathon des Sables 2021 – Photo : CIMBALY / MDS

Les bouteilles distribuées sur le camp suffisent a priori pour bien se réhydrater après l’effort de la journée. Elles permettent de varier les plaisirs en se reposant, grâce à des sachets de thé ou de soupe déshydratée que vous aurez apportés dans votre sac par exemple. Ce sont des petits sachets qui ne pèsent pas lourd et qui peuvent améliorer grandement le quotidien.

Sylvaine Cussot estime ne pas avoir assez bien anticipé cette phase où, en fin de journée, on peut prendre soin de soi en s’offrant des petits plaisirs gustatifs lors de la période de repos. « Si c’était à refaire, je gérerais mieux la phase de récupération et en particulier l’hydratation post-course, car l’eau distribuée suffit sans problème », analyse-t-elle.

Pour pouvoir repartir chaque jour dans des conditions correctes, cette phase de récupération est primordiale et les coureurs devraient intégrer dans leur protocole cette boisson (ou ration) dite de récupération (composée de glucides + protéines + sodium + minéraux et vitamines). Attention toutefois, en amont, à bien lire les étiquettes des produits, qui n’est pas toujours en parfaite adéquation avec l’accroche marketing.

Par expérience, Mérile Robert, 7e participation au MDS en 2023, est tout particulièrement à ce point clé de la réussite de cette course à étape. « En course, je prends des boissons d’effort avec un goût assez neutre que je dilue beaucoup et j’alterne avec de l’eau claire, puis sur le bivouac j’ai aussi une boisson de récupération. C’est très important pour refaire les niveaux après plusieurs heures d’efforts en milieu chaud et sec. ».

Mathieu Blanchard se prépare pour sa part « un shaker de protéines et de BCAA dès l’arrivée sur le camp ».

Pour Julien Chorier aussi la récupération commence le plus tôt possible une fois passée la ligne pour profiter de la célèbre « fenêtre métabolique ».

Anthony Berthou définit cette fenêtre « comme une période au cours de laquelle notre organisme est particulièrement enclin à récupérer. Elle concerne en particulier la restauration des réserves en glycogène et de l’intégrité musculaire. Plus la consommation de glucides se réalise tôt, plus la quantité de glycogène resynthétisé est importante. Toutefois, cette donnée n’apparaît véritablement utile que si vous êtes amené à réaliser un nouvel effort rapidement », souligne-t-il. Sur le MDS, c’est le cas donc cette recommandation est sérieusement à considérer, car sur une course à étapes, il faut récupérer pour être capable d’enchaîner.

« Dès la fin de l’étape, j’utilisais la première bouteille pour ma réhydratation immédiate en ajoutant un stick de boisson de récupération à l’intérieur, se souvient Julien Chorier. Je grignotais ensuite un mélange de fruits secs auquel j’avais rajouté des fèves de cacao et des baies d’aguaymanto. » 

Et le plaisir dans tout ça?

Mérile Robert
Mérile Robert – Phoo

« Continuer à s’alimenter est l’une des clés de la réussite sur un ultra classique », selon le physiologiste Guillaume Millet. Même si la problématique n’est pas tout à fait semblable sur une course à étapes, il va falloir dépasser l’écœurement et la lassitude des repas en sachet pour boucler toutes les étapes.

Yvan L’heureux en a fait la douloureuse expérience. « En voulant gagner un peu de poids et de volume, j’avais tout passé au mixeur avant de partir, mes noix, mes graines, mes lyophilisés. J’avais bien les calories, mais pas le plaisir, c’était dégueu et ça a failli mal se terminer, car j’avais la nausée et pas le goût de manger cette bouette (cette boue en québécois) infâme », témoigne-t-il.

Anthony Berthou conseille de rester prudent quant aux petits plaisirs qui, parfois, peuvent se retourner contre nous. « Les apports énergétiques sont indispensables pour couvrir les besoins physiologiques et tous les petits bonus peuvent faire du bien à la tête, mais attention à la contrainte et à la tolérance digestive de ces bonus. Il faut donc plutôt les consommer après l’effort lors d’une phase de récupération  ou d’avoir vérifié leur tolérance à l’effort à plusieurs reprises à l’entraînement».

Julien Chorier avait calibré tous ses repas, mais il avait pensé aussi « à des petits plaisirs comme des bonbons qui vous rappellent de bons souvenirs, parce que ça permet de se ménager et c’est une bouffée d’oxygène de se faire plaisir pour switcher quand ça ne veut plus avancer », assure-t-il en vieux briscards de l’ultra-trail.

Mathieu Blanchard n’avait rien emporté de superflu lors de sa première participation (il sera de retour dans le désert du Sahara en 2023), mais il s’est fait offrir quelques petites gourmandises comme des M&M’s (qui a priori ne fondent pas dans le désert!) ou de la viande séchée. Il a souvenir d’avoir bien apprécié.

Anna Sylvestre-Treiner, qui s’élance dans l’inconnu, a déjà prévu sa botte secrète. « Il y a un mois, lors d’une sortie longue, j’ai été prise d’une fringale, j’avais terriblement envie de sucre. À la fin du run, j’ai filé dans un supermarché et je me suis acheté deux Snickers. Ça faisait peut-être 15 ans que je n’avais pas mangé de truc comme ça! Et c’était trop bon avec cette faim, raconte-t-elle. Bref, j’ai gardé le deuxième pour qu’il me suive sur le MDS, en cas de fringale ou de besoin de réconfort, même si évidemment, le chocolat tout ça, ce sera sans doute tout fondu, mais tant pis! ».

Brunilde Girardet, elle, pense emporter du chocolat en poudre hyper qualitatif pour se faire une boisson réconfort au coin du feu! 

Avant de se retrouver autour du feu de brindilles devant leur tente, il reste quelques semaines aux coureurs pour tout tester, noter et faire les meilleurs choix.

« J’aime bien cette phase de préparation où tu réfléchis à tous les éléments de la course, souligne Brunilde. J’aime tout planifier dans ma pratique et, avec les conseils de mon diététicien, j’ai commencé à construire un gros fichier pour compiler les données (poids, calories, répartition glucides/lipides/protéines) de toutes les rations journalières », confie-t-elle.

Une fois, toutes les cases remplies, il ne « restera » plus qu’à trier, ranger et serrer dans son sac ses précieuses vivres pour la semaine.


Les experts interrogés dans le cadre de cet article :

*Anthony Berthou est nutritionniste spécialisé en micronutrition et en sport-santé. Il est conférencier auprès des professionnels de santé et du sport et formateur du cours de nutrition pour La Clinique du Coureur. Il a également enseigné à l’École Polytechnique de Lausanne et en université. Ancien membre de l’équipe de France junior de triathlon, il intervient depuis plus de 10 ans auprès de nombreuses équipes de France et olympiques. Vous pourrez retrouver une mine d’informations et de conseils sur son site web Santé et Nutrition. Il est également auteur de différents ouvrages dont le guide « Les 100 notions clés de l’entraînement et de la nutrition en trail », publié en collaboration avec le coach Pascal Balducci aux éditions Outdoor. Son dernier ouvrage, « Du bon sens dans notre assiette – Ce que nous avons oublié de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs » vient de sortir, aux éditions Actes Sud.

**Guillaume Millet est chercheur, physiologiste de l’exercice et professeur à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Ses recherches visent à mieux comprendre les déterminants physiologiques, neurophysiologiques et biomécaniques de la fatigue lors d’exercices extrêmes notamment. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le trail. Vous pourrez retrouver tous ses conseils dans la nouvelle édition (2022) de son livre de référence, « Ultra-trail : plaisir, performance, santé » (Outdoor éditions) ou suivre ses travaux sur son site web.


Maria Semerjian est professeure agrégée d’éducation physique et sportive à l’Université Toulouse III Paul Sabatier. Elle fait partie de l’équipe enseignante d’un cours en ligne ouvert à tous (MOOC) consacré à l’entraînement sportif en trail et en ultra-trail. Maria a également porté l’étiquette d’ultra-traileuse élite, avec une soixantaine de trails à son actif, dont six victoires (Grand Raid des Pyrénées, 100 miles du Sud de la France, Festival des Hospitaliers, Restonica Trail…) et une vingtaine de top 3 en carrière. Elle a notamment terminé 3e du Tor des Géants, 6e de la Diagonale des fous et 8e de l’UTMB. En 2022, elle a terminé 3e du 100 miles de la Swiss Alps (160 km, 9900 m D+).


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