Petit guide de l’abandon : les signes à reconnaître pour s’arrêter au bon moment

coureur TDS
Simon Benoit a dû abandonner sur le parcours de la TDS de l'Ultra-Trail du Mont-Blanc à cause de problèmes gastriques - Photo : Maindru Photo

Je suis médecin, mais également coureur, orgueilleux, obstiné et humain comme bon nombre d’athlètes élites et récréatifs. Prendre la décision d’interrompre une épreuve pour laquelle on s’est sacrifié et qui a occupé ses pensées pendant tant de temps est loin d’être facile.

Sur un ultra-trail, le taux d’abandon se situe habituellement entre 25 et 50 %. Les motifs invoqués sont nombreux. Le principal en cause concerne l’appareil musculo-tendineux, suivi de près par les malaises gastro-intestinaux. Une multitude d’autres motifs, allant de l’épuisement physique et mental aux ampoules, peuvent être à l’origine d’un abandon.

Dans le monde merveilleux des « ultras », le mot abandon est celui qu’il ne faut pas prononcer, celui qui fait frémir. Malheureusement, l’obstination ou l’orgueil mal placé, qui pousse parfois le coureur à continuer contre vents et marées, peut également mettre l’athlète en danger. La ligne entre la ténacité et la force mentale requises pour persévérer dans l’adversité d’un incontournable moment creux et l’obstination déraisonnable qui met le coureur en danger est mince et parfois difficile à délimiter, surtout lorsque le jugement est affecté par la fatigue.

Voici donc quelques situations à reconnaître où l’abandon est manifestement la bonne option.

La fracture de stress (métatarse, tibia, col du fémur)

Il s’agit d’une douleur qui n’est pas qu’un simple inconfort. Le coureur ressent l’impossibilité de mettre une charge corporelle complète sur un membre. La fracture peut se compliquer et, à ce moment, devenir nettement plus longue à guérir. Il ne faut jamais prendre d’anti-inflammatoires lors d’un ultra.

Les malaises gastro-intestinaux

Une irritation gastrique prolongée ou des vomissements répétés peuvent mener à des complications, comme des ulcères gastriques, ou à un syndrome de Mallory-Weiss, qui est une lacération de l’œsophage distal ou de la portion proximale de l’estomac. Si une douleur au creux épigastrique et du sang rouge clair ou en « grains de café » sont perçus, il est impératif d’abandonner immédiatement.

Les diarrhées répétées peuvent provenir d’un manque d’apport en oxygène de la paroi intestinale (ischémie mésentérique). Si la situation se détériore, les diarrhées deviendront sanglantes. Si tel est le cas, continuer devient très risqué.

Les vomissements, les diarrhées et l’incapacité de s’alimenter et de s’hydrater peuvent mener à la déshydratation et à l’insuffisance rénale. Lors de descentes soutenues, les muscles des cuisses forcent de façon excentrique (ils forcent en allongeant) et sont alors davantage à risque de subir des micro-déchirures, qui peuvent libérer des substances toxiques pour les reins (insuffisance rénale par rhabdomylolyse). On doit donc se méfier de la combinaison malencontreuse des facteurs rhabdomyolyses et de la déshydratation.

Si vous n’avez pas uriné depuis plusieurs heures et que vous vous sentez embrouillé, méfiez-vous. Buvez régulièrement, selon vos signaux de soif. Si vos urines sont sanglantes ou couleur Coke, abandonnez immédiatement. Prenez toujours le temps de regarder la couleur de votre urine, même la nuit.

L’épuisement

Il peut être difficile de distinguer l’épuisement physique de celui mental. S’il est évident que le jugement est altéré, un athlète ne devrait pas continuer.

Il est facile de se perdre de nuit si on est désorienté. On est également à risque de chuter et de se blesser gravement lors de descentes techniques si les jambes sont tremblantes ou que l’équilibre est altéré.

Commotions cérébrales

Il n’est pas nécessaire de se cogner la tête pour subir une commotion cérébrale (aussi connue sous le nom de trauma crânien mineur ou TCCL).

À la suite d’une chute accidentelle, prenez un moment pour analyser la situation. Si vous n’êtes pas en mesure de vous rappeler ce qui s’est passé, vous avez probablement subi un TCCL. Si vous êtes étourdi, vous avez mal à la tête, vous avez des bourdonnements dans les oreilles, vous avez la vision embrouillée, vous êtes désorienté ou vomissez, il est fort probable que vous venez de subir un TCCL et il serait nettement plus sage d’être évalué par un professionnel compétent.

Le site web de l’Association québécoise des médecins du sport est une excellente source d’information à cet effet.

Insolation – épuisement lié à la chaleur – coup de chaleur

La combinaison de chaleur intense, d’absence de vent, d’humidité élevée et d’effort soutenu est brutale pour l’organisme. Si vous avez de violents maux de tête, vous êtes désorienté, vous faites de la température ou avez des frissons, vous vomissez ou perdez conscience, c’est probablement que votre organisme est en surchauffe. Il faut arrêter, se mettre à l’ombre et s’hydrater; il s’agit d’une urgence. Il ne faut jamais banaliser une perte de conscience.

Hyponatrémie

L’hyponatrémie est une intoxication à l’eau. Lorsqu’elle devient sévère, elle peut s’accompagner de faiblesse, d’étourdissements, de ballonnements, de vomissements, de confusion et d’œdème des membres (prise de poids). À titre préventif, la seule bonne stratégie d’hydratation est de boire uniquement selon ses signaux de soif.

La course d’ultra-distance est en soi plutôt sécuritaire. Il est toutefois primordial de savoir reconnaître certains signes précurseurs de conditions qui peuvent mettre la sécurité d’un athlète en péril. Fixez et respectez vos limites personnelles.

Je me permets de citer Patrice Godin et son excellente œuvre, Territoires inconnus : « Dans la vie aussi il arrive qu’on abandonne. Des rêves, des amitiés, des amours… Parfois, c’est peut-être la seule façon possible de prendre du recul, ce recul nécessaire qui nous permettra d’avancer à nouveau. »


Simon Benoit est médecin de soins critiques en urgence, en plus de tenir une pratique de bureau axée sur la médecine sportive. Il est membre de  l’Association  québécoise  des  médecins du sport. Il est également diplômé en physiothérapie et en chiropratique et est ambassadeur de La Clinique du Coureur. Lisez tous ses textes !

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