Avec huit courses au programme sur trois jours de compétition et plus de 10 000 participants, le Marathon du Mont-Blanc (MBB), traditionnellement organisé en juin par le Club des sports de Chamonix-Mont-Blanc, est un rendez-vous incontournable du calendrier des courses en montagne. Son histoire, entamée à la fin des années 1970, et son développement depuis quatre décennies sont les témoins de l’essor de la discipline.
Les parcours offerts par les différentes épreuves du MBB ont séduit plusieurs générations de coureurs, avec ces panoramas somptueux sur le massif du Mont-Blanc, le passage au col des Montets, dans la réserve naturelle des Aiguilles Rouges, l’Aiguillette des Posettes, le spectacle du lever de soleil sur le plus haut sommet d’Europe (4810 m) Mont-Blanc depuis le Brévent, point culminant de l’épreuve avec ses 2471 m d’altitude, la traversée du barrage d’Emosson, en Suisse…
Retour à la fin des années 70
Un peu partout dans le massif alpin, les courses en montagne commencent à se développer. En Suisse, la Sierre-Zinal (1974) attire de plus en plus d’adeptes. Au Club alpin français (CAF) de Chamonix, Georges Costaz et Christian Roussel — le premier à effectuer, en compagnie de Jacky Duc, le tour en autonomie complète du Mont-Blanc (en 1978, en 24 h 45) —, se disent qu’il faut absolument faire quelque chose en France. Ils créent le Cross du Mont-Blanc. Deux courses, un 23 km et un 13 km, sont au programme de la première édition.
Le 1er juillet 1979, 292 coureurs se retrouvent sur la ligne de départ. Sur le 23 km, au terme de 1 h 51 min d’effort, le Suisse Stéphan Soler ouvre le palmarès de l’épreuve. Annick Laurent (3 h 4 min) est la plus rapide des 16 femmes à l’arrivée.
« C’était le début de ce genre d’épreuves, explique Fred Comte, directeur du Club des Sports de Chamonix depuis 2006 et membre de l’équipe d’organisation depuis plus longtemps encore. On appelait ça course de montagne et pas encore trail. Plusieurs années se sont écoulées avec, en moyenne, un petit millier de concurrents au départ (le 13 km a très vite disparu). Beaucoup d’autres courses se sont créées à cette époque, mais le Cross du Mont-Blanc, avec son parcours, est devenu assez emblématique des courses de montagne. »
Fondeurs et « routiers » au sommet
Si, aujourd’hui, les spécialistes de la montagne monopolisent les premières places, ce n’était pas toujours le cas à cette époque. Avec leur « caisse », les fondeurs avaient trouvé sur les chemins alpestres une belle façon d’occuper leurs étés avant de rechausser leurs skis dès la chute des premiers flocons.
Médaillé d’argent aux Mondiaux de ski de fond 1993 sur 50 km, Hervé Balland en est le plus bel exemple avec sa victoire en 1992. Avant lui, Jean-Paul Pierrat, troisième des Championnats du monde 1978 sur 50 km et seul Français vainqueur de la mythique Vasaloppet (1978 également) a terminé 13e de l’édition 1980 du Cross du Mont-Blanc. Plus récemment, Christophe Perrillat, membre de l’équipe de France de ski de fond, vainqueur pour la première fois d’un relais de Coupe du monde, en 2004 à La Clusaz, et lauréat de la Transjurassienne 2010, était passé proche de l’emporter en 2006 sur les 23 km du cross. Il est arrivé deuxième à seulement 2 min 30 s du Britannique Lloyd Taggart.
Sur un parcours relativement roulant les premières années, avec de longues sections tracées sur de larges pistes de 4×4, les « routiers » et leur longue foulée ont également souvent brillé.
Détenteur du record du nombre de victoires sur le Cross du Mont-Blanc avec quatre succès (1984, 1985, 1987 et 1988), l’Algérien Mohamed Youkmane affiche sur marathon un record de 2 h 14 min 45 s (Lyon, 1989), qui le plaçait alors parmi les références à une époque où les chronos en dessous de 2 h 10 étaient du domaine de l’exceptionnel. Avec trois victoires en 1990, 1999 et 2001, le Marocain Chatam El Maati, vainqueur du marathon de Los Angeles 1997 et auteur d’un chrono de 2 h 10 min 51 s à Lyon l’année suivante, a lui aussi marqué l’histoire de l’épreuve.
Du côté des Français, le Dijonnais Philippe Rémond, deux fois champion de France du marathon (1994 et 2001), est venu défier la montagne avec réussite (3e en 2003 sur le 42 km et 2e en 2000 sur le 23 km). Éric Lacroix, champion de France du marathon en 1996 a lui remporté la toute première édition du Marathon du Mont-Blanc en 2003.
Le Marathon en renfort du cross en 2003
Cette année-là, sous l’impulsion de Julien Patty, alors directeur du Club des sports de Chamonix, les organisateurs ont en effet décidé de créer un marathon sur le modèle de la Jungfrau, en Suisse. Un 10 km est également proposé pour offrir une approche plus accessible aux coureurs moins expérimentés. Sur le marathon, 455 coureurs sont au départ. Mais pour cette première édition, une boucle de 19 km sur route est simplement ajoutée au début de la course avant d’aller emprunter les 23 km du cross. « On est loin du trail d’aujourd’hui, se souvient Fred Comte. L’année d’après, on a retiré cette portion de bitume et petit à petit, le parcours est devenu plus technique avec, en 2006 ou 2007, la première montée aux Aiguillettes des Posettes. Ce parcours n’a plus changé depuis. »
Un parcours où les panoramas plus grandioses les uns que les autres se succèdent tout au long de la course, avec une arrivée unique, à Planpraz, à plus de 2000 m d’altitude. « Je défends bec et ongle cette arrivée au sommet, clame le directeur de la course. Nous n’avons dû y renoncer qu’à quelques reprises en raison de la météo, comme il y a trois ans où il faisait à peine 4 degrés là-haut et que ça devenait bien trop risqué. Mais une telle arrivée, face au Mont-Blanc, ça n’existe pas ailleurs. Quand il fait beau, et c’est souvent le cas, c’est mythique! En juin, avec les fleurs, les chemins très bien entretenus par les collectivités, c’est magique. C’est une de nos valeurs ajoutées. Nous devons rester atypiques. À Chamonix, une arrivée au sommet, ça a un vrai sens. »
17 000 candidats pour 5300 dossards
Le Marathon séduit vite un large public et devient la course phare du week-end chamoniard. Dès 2010, les organisateurs se retrouvent obligés de limiter le nombre d’inscriptions.
« Et dire qu’au lancement, nous rêvions d’atteindre un jour les 2000 participants, se souvient le directeur. Ça nous semblait presque inaccessible. Nous avons finalement dû faire face à un flux incroyable. En 2014 ou 2015, nous avons même eu 20 000 connexions en 20 minutes à l’ouverture des inscriptions et le serveur n’a pas pu suivre. Dans la nuit, on a dû tout refaire. C’est une frustration aujourd’hui, car nous sommes une association et non une société commerciale. Notre but n’est pas de faire de l’argent, mais de proposer aux coureurs une expérience unique. Alors c’est difficile (d’avoir le sentiment de) faire plus d’insatisfaits que de satisfaits, puisque nous avons désormais 10 000 demandes pour 2300 places sur le marathon, 5000 demandes pour 2000 dossards sur le cross et 2000 candidats pour le 90 km qui ne peut accueillir que 1000 participants. »
Depuis dix ans, le Marathon du Mont-Blanc, soutenu par Salomon depuis 2004 et étape des Golden Trail World Series depuis la création du circuit en 2018, a continué d’évoluer et de grandir. « Nous avions à cœur de créer une course pour les jeunes, car c’est notre vocation de club sportif, explique Comte. Comme nous avions encore de l’énergie, en 2011, on s’est lancés dans un kilomètre vertical, épreuve qui n’était pas très répandue. Puis l’équipe de Skyrunning nous a approchés pour organiser un championnat du monde et nous a demandé de réfléchir sur une course de 80 km. Je suis passé dans le bureau d’à côté et j’ai sorti de ma bannette le tracé sur lequel nous avions travaillé deux ans avant sans donner suite. Tout était prêt. Voilà comment est né le 80 km, devenu ensuite le 90 km. »
La première édition « test », en 2013, du 80 km a été remportée par François D’Haene et Michel Lanne main dans la main à l’arrivée, et Caroline Chaverot chez les femmes. Un an plus tard, le MMB a été le cadre des Championnats du monde de skyrunning. L’Italienne Elisa Desco et l’Espagnol Kilian Jornet ont été sont sacrés sur le 42 km. La Suédoise Emelie Forsberg et l’Espagnol Luis Alberto se sont adjugés le 80.
Les champions fidèles au rendez-vous
François D’Haene, Michel Lanne, Xavier Thévenard, Sylvain Court, Marco de Gasperi, Emelie Forsberg, Caroline Chaverot, Mimmi Kotka, mais aussi Corine Favre, Maud Gobert, Karine Henry ou encore Isabelle Guillot, toutes ces vedettes de la course en montagne se retrouvent au palmarès des différentes épreuves du Marathon du Mont-Blanc, ce qui témoigne de la place prise par cet événement dans le paysage du trail international.
Sans oublier Kilian Jornet, révélé aux yeux du grand public en 2008 lors du premier de ses trois succès sur l’UTMB, à seulement 19 ans. L’Espagnol a bien évidemment laissé une empreinte marquante sur le MBB. En 2012, il a établi un nouveau record sur le marathon (3 h 38) qu’il a amélioré les deux années suivantes (3 h 23). Il avait également décroché la victoire sur le kilomètre vertical. Un doublé qu’il réalisera à nouveau en 2014. Avec cinq victoires sur le Marathon du Mont-Blanc, l’Espagnol s’inscrit tout en haut des tablettes. Comme souvent.
« Après tant d’années, il est difficile de sortir une édition par rapport aux autres, estime Fred Comte. Sportivement, il y a les éditions où Nicolas Pianet est revenu de nulle part pour s’imposer dans les 300 derniers mètres. C’était génial de le voir débarquer comme ça.
En tant qu’organisateur, il y a aussi des moments forts avec de grosses montées d’adrénaline. Une année, alors que j’étais en train de monter à l’arrivée pour accueillir le premier, je reçois un coup de fil du préfet. Il m’informe qu’il place la région en alerte rouge, car de violents orages arrivent et que je dois tout arrêter. Autour de moi, il fait grand beau et j’ai 2000 coureurs sur le parcours puisque les premiers ne sont pas encore arrivés. Le vent se lève brutalement, le ciel s’assombrit. Là, tu te dis, “je fais comment?” Coup de chance, 20 minutes après le ciel redevient tout bleu, le vent cesse et les orages vont éclater ailleurs.
Mais plus généralement, ce qui me rend heureux, c’est de voir arriver sur le trail tous ces jeunes comme l’Italien Davide Magnini vainqueur l’an dernier du marathon à seulement 22 ans. Ils sont en train de tout bousculer et c’est super pour la suite. Ils donnent une nouvelle image à la discipline. Nous, notre bonheur, c’est de faire briller les yeux des coureurs. »
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