En 2015, l’ultramarathonien Scott Jurek, qui a connu son heure de gloire dans les années 2000, s’est attaqué à la fameuse Appalachian Trail. Il a tiré un livre de son expérience, que notre chroniqueur a lu.
« Il était 14 heures 05 minutes, le 12 juillet 2015. J’avais couru la Appalachian Trail en 46 jours, 8 heures, 7 minutes. J’avais battu le record par 3 heures et 13 minutes. » [traduction libre]
Voici le résumé le plus court que l’on puisse proposer de North. Finding My Way While Running the Appalachian Trail. Mais ce serait une grossière erreur de ne voir dans le livre que la seule histoire d’un record. En effet, Scott Jurek est non seulement un athlète hors du commun, mais c’est également un auteur qui a des choses à dire (et à écrire).
Il en avait fait la preuve dans son premier livre Eat and Run (titre horriblement traduit en français par Manger pour gagner). S’il emmène bien le lecteur et la lectrice à la découverte d’un chemin mythique dans l’imaginaire américain, il les convie aussi à une aventure humaine et à un voyage intérieur.
Le titre du livre conduit à faire cette double lecture : le nord renvoie tout d’abord au choix qu’a fait Scott Jurek de s’attaquer au Fastest Known Time (FKT pour les initiés) en parcourant le sentier des Appalaches du sud vers le nord, partant de son extrémité méridionale en Géorgie pour finir au sommet du mont Katahdin, dans le Maine. Une balade de plus de 3500 kilomètres!
Or, le parcours dont il est question est à la fois un déplacement géographique et une quête intérieure. Scott Jurek évoque lui-même à la toute fin du livre un « pélerinage ».
Il explique : « Je voulais trouver quelque chose que je pensais avoir perdu, tester des forces que je pensais ne plus avoir, rallumer le feu que je croyais éteint depuis longtemps. Le voyage était l’outil dont j’avais besoin pour m’examiner. » [traduction libre]
Un livre à quatre mains
Si la quête est personnelle, l’aventure n’est pas celle d’un homme seul. Cela est clairement affirmé sur la couverture puisque le nom de Jenny Jurek s’affiche juste en dessous de celui de Scott.
Si ce dernier est bien l’auteur principal, chacun des 17 chapitres qui composent le livre s’achève par quelques pages dans lesquelles sa conjointe offre un point de vue inédit depuis les coulisses de l’exploit, témoignant ainsi de son engagement dans l’aventure.
L’association de ces deux voix a pour effet de montrer que le livre est, par-delà l’exploit sportif et humain, une formidable histoire d’amour au cours de laquelle les liens entre Scott et Jenny ont été mis à l’épreuve, mais en sont ressortis plus forts.
Une aventure à plusieurs
En plus de Jenny, d’autres personnes se sont investies dans l’aventure. On peut même dessiner des cercles concentriques autour de Scott, chacun comprenant des personnes avec lesquelles il est plus ou moins proche. Le premier cercle est celui des amis intimes qui prennent en charge la stratégie, établissent le programme de chaque journée. Il s’agit principalement de l’ultramarathonien de course en sentier et entraîneur David Horton, qui a établi un record sur le sentier des Appalaches en 1991 et un autre sur le Pacific Crest Trail en 2005, et de Speedgoat, alias Karl Meltzer, qui a amélioré en 2016 le record de Scott Jurek de 9 heures et 28 minutes.
Vient ensuite le cercle de tous les coureurs anonymes qui n’hésitent pas à parcourir parfois plusieurs centaines de kilomètres et dormir dans leur voiture pour être sur le chemin dès l’aube, et ainsi accompagner leur champion.
Enfin, le dernier cercle comprend ceux que Scott appelle les « anges des sentiers », celles et ceux qui l’ont furtivement croisé, mais dont un sourire, un encouragement ou un mot amical a suffit à relancer la machine.
Toutes les personnes qui gravitent autour de Jurek ont joué un rôle fondamental. Il écrit dans les dernières pages : « J’avais besoin de plus que mes propres forces à ce moment-là. J’avais besoin de la force transmise par les gens qui se tenaient au bord de la route et qui m’encourageaient. » [traduction libre]
Il faut dire que les derniers jours ont été particulièrement éprouvants, au point que Jurek avoue progresser dans un état de semi-conscience, avançant quand on lui dit d’avancer et dormant quand on l’y invite. Cet état de semi-conscience est accompagné d’une transformation physique dont témoignent parfaitement certaines des photos incluses dans le livre. Sur l’une d’entre elles, le visage de Jurek est émacié, son regard est dans le vide.
Il le reconnaît lui-même : « J’étais vraiment dans la douleur. J’avais l’impression de perdre mon propre corps. » [traduction libre]
Bien évidemment, les coureurs amateurs ne feront probablement jamais une telle expérience. Néanmoins, la puissance du témoignage de Scott Jurek réside dans sa capacité à dépasser le cadre personnel de son vécu pour lui donner une portée universelle, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’être un coureur confirmé pour trouver une source d’inspiration durable dans son récit.