Mélodie Gilbert : « J’ai choisi de ne pas me mettre de limites ! » 

Interview

Mélodie Gilbert
Mélodie Gilbert - Photo : courtoisie
3 questions à

La championne québécoise Mélodie Gilbert, 29 ans, débute sa quatrième saison de trail par une mini tournée européenne. Elle a choisi le 31 km du Trail de la Cité de Pierres (1600 m D+), en Aveyron, dans le sud de la France, puis l’Istria 100 by UTMB, en Croatie, pour préparer ses gros objectifs de l’année : le circuit Golden Trail Series et l’OCC.

Sur les sentiers de la Cité de Pierres, la jeune physiothérapeute foulera, en courant à Saint-Véran, les terres de Louis-Joseph de Montcalm, commandant en chef des forces armées françaises en Nouvelle-France, mort à Québec en 1759 dans la célèbre Bataille des Plaines d’Abraham. Ce combat éclair, sur les hauteurs du fleuve Saint-Laurent, avait vu le Royaume de France abandonner le Québec aux mains des Britanniques.

Mais au-delà du clin d’œil, c’est sa propre histoire que l’athlète de l’équipe du Canada écrit. Et elle compte bien remporter cette première bataille de l’année en France, quelques jours après avoir débarqué du Québec.

Après avoir couru pour son université et le chandail des Verts et Or de Sherbrooke, sur piste et en cross-country, Mélodie s’est essayée à la course en sentier en 2021. Elle a remporté les trois courses de 25 km auxquelles elle a pris le départ, au Gaspesia 100, au Québec Méga Trail (QMT) et à l’Ultra-Trail Harricana du Canada. L’année suivante, elle a confirmé en ajoutant trois victoires sur cette même distance, au Trail de la Clinique du Coureur (30 km) en début de saison puis en Gaspésie, encore au Gaspesia 100 et à l’Ultra-Trail des Chic-Chocs, et elle s’est testée avec succès sur les distances de 50 km, s’offrant deux podiums sur des courses du circuit Golden Trail Series (GTS) en Amérique du Nord, au QMT puis à la Whistler Alpine Meadows en Colombie-Britannique. Ses performances l’ont, à sa grande surprise, qualifiée à la finale nationale à Flagstaff, mais surtout à la finale mondiale des GTS (course par étapes sur cinq jours) à Madère au Portugal, où elle dit avoir beaucoup appris. Après avoir goûté au niveau international au cours de ce qu’elle a qualifiée de « saison de rêve » , Mélodie a poursuivi sur sa lancée en 2023, avec trois courses au compteur. Outre un triplé sur le 25 km du Gaspesia 100, elle a signé une superbe 8e place au 50 km de The Canyons Endurance Run, en Californie (course Major de l’UTMB World Series) et elle a découvert les Alpes en participant au championnat du monde de trail court en Autriche avant de terminer à une satisfaisante 34e place à l’OCC pour sa première expérience autour du Mont-Blanc. Elle visait moins de 7 heures de courses pour parcourir les 56 km et 3500 m D+ et elle a passé la ligne d’arrivée à Chamonix en 6 h 41, avec l’envie de revenir en 2024.

C’est donc avec excitation et détermination que l’athlète de Bromont, dans les Cantons-de-l’Est, s’apprête à poursuivre son ascension sur la scène internationale. Mélodie Gilbert a joué le jeu des Trois questions D+ quelques jours avant d’accrocher son premier dossard à Montpellier-le-Vieux. Entrevue !

Mélodie Gilbert
Mélodie Gilbert a terminé 34e de l’OCC (56 km, 3500 m D+) en 2023 – Photo : UTMB

Distances+ : À l’aube de ta quatrième saison en trail, c’est fini, on ne parle désormais plus de toi comme d’une « jeune pousse » dans le monde de la course en sentier au Québec. Tu fais partie des meilleures athlètes au Canada en trail court et tu gagnes en expérience sur les courses internationales. Tu as notamment participé l’été dernier au championnat du monde de trail court à Innsbruck, en Autriche. Quel regard portes-tu sur ces trois années qui viennent de s’écouler ? Quelles ont été tes plus belles émotions et quels sont les points sur lesquels tu travailles pour grandir sur la scène internationale ?

Cette question vient directement me créer un petit sentiment de désarroi et de nostalgie. Comme je déteste vieillir et voir le nombre restant de bonnes années de course diminuer si rapidement  ! J’aurais bien aimé rester pour toujours la petite nouvelle qui commence en trail avec fougue et ardeur. Par contre, je suis tellement fière de mon évolution et de l’expérience que j’ai acquise dans les dernières années. Je suis bien plus avisée et réfléchie et je me concentre à faire bien les choses.

En regardant mon parcours des trois dernières années, je dirais que je n’ai aucun regret. J’ai commis des erreurs, ça oui, mais rien qui ne m’ait pas fait évoluer et apprendre sur moi. J’ai saisi toutes les opportunités qui m’ont été offertes. J’ai osé sortir des sentiers battus et tracer mon propre parcours. J’ai choisi de me consacrer au « sub-ultra », les courtes distances en course en sentier, avant même que ce soit reconnu dans le monde du trail au Québec. J’ai fait ma chance et je me suis lancée sur le circuit Golden Trail Series en Amérique du Nord dès ma deuxième année, puis sur le circuit UTMB World Series à ma troisième.

Je me souviens que l’annonce de ma qualification pour les finales mondiales des Golden Trail Series au Portugal a été un moment fort de ma carrière. Téléphoner à sa mère en pleurant de joie et de fierté pour lui apprendre la nouvelle, ça vaut de l’or. J’ai aussi vécu une émotion incroyable quand j’ai gagné mon ticket pour ma première OCC (l’épreuve de 55 km à l’UTMB) lors de la Canyons Endurance Run (8e du 50 km), en Californie. Cela m’a apporté un sentiment de satisfaction le plus complet. J’ai tout laissé sur ce parcours, vidant la moindre parcelle d’énergie de mon corps et de mon esprit afin d’assurer ma qualification. Rien de plus satisfaisant que de travailler si fort et de réussir en bout de ligne.

Maintenant, afin de grandir sur la scène internationale, j’apporte certains changements à mon entraînement, mais aussi à mon mode de vie et à ma carrière.

Niveau entraînement, j’ai augmenté cette année mon volume d’heures total en ajoutant d’autres sports, comme le ski de rando, le vélo et la musculation, tout en gardant mon volume de course habituel. J’accorde aussi une plus grande importance à ma récupération. Si je veux m’entraîner fort, je dois bien récupérer au quotidien. Il n’y a pas de secret, le meilleur moyen reste le sommeil et la nutrition.

Ensuite, vient un aspect dont on ne parle pas souvent, mais afin de m’illustrer en tant qu’athlète en 2024, il est nécessaire d’être présente sur les réseaux sociaux. J’y accorde plus d’importance et de temps dernièrement et j’adore ça. Je suis assez active sur Instagram, j’ai lancé dernièrement une infolettre dans laquelle je raconte humblement mon quotidien d’athlète et je fais, à l’occasion, des collaborations avec des marques que j’apprécie. Le storytelling sur internet est devenu presque aussi important que les performances pour se faire remarquer et obtenir des contrats. 

Cependant, je ne le fais pas seulement pour avoir de la visibilité, je le fais aussi pour inspirer celles et ceux qui me suivent. C’est super gratifiant de pouvoir motiver ou d’être un modèle pour de jeunes, et même moins jeunes, coureuses ou coureurs. J’aime vraiment partager et aider les gens autour de moi dans leur parcours de course.

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Mélodie Gilbert
Mélodie Gilbert près de chez elle dans les Cantons-de-l’Est – Photo : David Larivière

Comment abordes-tu la saison 2024 ? Quelles sont tes envies et tes ambitions ? Qu’est-ce qui va changer par rapport à ton début de carrière ?

Pour 2024, j’ai choisi de ne pas me mettre de limites. J’ai plusieurs grandes courses au calendrier. Quand je dis « grandes courses », je ne parle pas de distance, mais plutôt de courses de renommée internationale avec un calibre très relevé au départ. Je veux courir aux côtés des meilleurs.

La série mondiale des Golden Trail ainsi que l’OCC sont mes gros objectifs de la saison. Je voudrais augmenter ma cote UTMB au-delà de 700 (en date du 20 mars, sa cote UTMB affiche 680 et sa cote ITRA 685, NDLR) et confirmer mon statut d’athlète élite. Enfin, j’ai l’intention de me qualifier de nouveau en équipe nationale pour les prochains championnats du monde de trail en 2025 et porter le chandail du Canada.

Cette vision de ma saison est très différente de mon début de carrière. À cette époque, la seule chose que je souhaitais, c’était gagner ! En toute honnêteté, il m’arrivait même de souhaiter que les bonnes coureuses québécoises ne prennent pas les mêmes départs que moi afin de me faciliter la victoire. Désormais, je ne cherche plus les succès faciles ou éphémères. Je ne vise pas non plus le podium à tout prix. Je veux me challenger, me pousser et donner le meilleur de moi-même pour faire face à la compétition.

Je suis arrivée en France il y a quelques jours pour lancer concrètement ma saison de compétitions. J’ai décidé de faire ma mise en jambes dans la région Occitanie au Trail de la Cité de Pierres, là où s’étaient déroulés les championnats de France l’an dernier. Après discussion avec Guilhem Prax, le directeur de course, je comprends que le niveau est moins relevé que l’an passé alors, j’aimerais monter sur le podium et honorer l’invitation et l’accueil qu’il m’offre.

Je poursuivrai mon voyage vers la Croatie pour prendre le départ du 69 km d’Istria 100 by UTMB. Un podium m’assurerait une place pour l’OCC 2025. Je suis déjà qualifiée pour 2024. C’est donc un objectif important pour moi. Je vais faire mon maximum.

Ceci dit, je suis stressée et sans aucune certitude, car je débarque en terrain complètement inconnu ! Je vais donner le meilleur de moi-même et voir ce qu’il en ressort.

Quel regard portes-tu sur l’évolution et le niveau de la course en sentier au Québec et quelles différences fais-tu avec ce que tu as découvert lors de tes aventures ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe ?

Au Québec, c’est tellement différent ! J’adore la communauté unique que nous avons. C’est un petit cercle où l’ont fini par connaître tout le monde. Chaque événement est comme un petit festival pour courir, mais aussi célébrer et partager avec les autres coureurs tout au long du week-end. On voit une évolution dans le sens ou de nouveaux événements émergent chaque année, la popularité des courses augmente sans cesse et fait en sorte qu’elles sont sold out super rapidement. On voit aussi des clubs de trail se former dans toutes les régions du Québec. C’est super beau à voir !

Par contre, je trouve que nous avons un retard évident en ce qui concerne le trail de haut niveau. Il est très difficile pour les athlètes élites québécois de se faire reconnaître, d’obtenir des contrats et d’atteindre un niveau compétitif. Ici, les contrats sont loin d’atteindre les normes des États-Unis ou de l’Europe et nous n’avons malheureusement pas d’événements qui attirent suffisamment les athlètes de haut niveau internationaux. Ce qui fait en sorte que nous devons voyager hors du pays pour participer aux courses importantes, mais avec nos propres moyens. Je souhaiterais vraiment une évolution à ce niveau pour le trail québécois.

Pour ce qui est des paysages, des sentiers et des montagnes, nous n’avons certes pas de dénivelé ou de grande montagne comme en Europe, mais nous avons quelque chose d’unique que je n’ai jamais vraiment retrouvé lors de mes voyages : la forêt, nos sentiers enfouis dans les bois, le silence et la paix d’être loin de tout, les racines et la bouette. Ça, c’est typique au Québec !

Mélodie Gilbert
Mélodie Gilbert a découvert l’OCC en 2023 autour du Mont-Blanc – Photo : UTMB

Question subsidiaire : On a commencé cette interview en regardant en arrière, mais si on regarde devant, comment tu vois la Mélodie Gilbert du futur ? Jusqu’où souhaites-tu te rendre ? Quel est ton rêve comme sportive ?

Je suis une rêveuse, ambitieuse, travaillante, alors je ne me mets pas de limites ! Mon rêve ultime serait de devenir athlète pro. J’aimerais être un peu plus nomade et m’entraîner hors du Canada certaines périodes de l’année afin d’optimiser ma progression.

J’ai une vision long terme, je veux jouer la longue ride et être une coureuse constante et performante pour encore plusieurs années. Une chose est sûre, je n’ai pas fini ! 


À écouter aussi : Mélodie Gilbert dans le podcast La Bande à D+ lors des championnats du monde de trail 2023 à Innsbruck en Autriche

À lire aussi : Mélodie Gilbert, la révélation 2021 du trail québécois

À voir aussi : L’entrevue à chaud de Mélodie Gilbert à son arrivée de l’OCC 2023 à Chamonix sur le compte Instagram de Distances+ :

 
 
 
 
 
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