Même s’il court beaucoup et qu’il gagne souvent, l’ultra-traileur Pau Capell est animé par un seul grand objectif, érigé de son propre aveu en obsession : boucler l’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) en moins de 20h. Le champion espagnol s’est confié à Distances+.
Après avoir survolé la course en 2019 en battant le record de l’épreuve sur le tracé officiel de l’UTMB (20 h 19), il a tenté en off et en solo de « casser » cette barrière en 2020, même si le « sommet mondial du trail » avait été annulé en raison de la pandémie. Il est longtemps resté en avance sur les temps de passages, mais a relâché son effort au cours des dernières heures lorsqu’il a compris qu’il ne parviendrait pas à réussir son défi. Le Catalan ne s’est pas avoué vaincu pour autant et tentera à nouveau de battre ce record et de descendre sous les 20 heures cet été. Pour y parvenir, il est notamment allé s’entraîner dans le temple du demi-fond et du fond, au Kenya, et il porte désormais une chaussure à plaque carbone développée en partie pour lui.
Pau Capell est l’un des tous meilleurs ultra-traileurs au monde. Il est deuxième, juste derrière l’Américain Jim Walmsley au classement ITRA (sur le format XXL).
Il affiche un palmarès impressionnant avec des victoires, outre l’Ultra-trail du Mont-Blanc, à la Transgrancanaria (quatre titres consécutifs entre 2017 et 2020), à la Mozart 100, à l’Ultra-trail Australia, à l’Eiger Ultra-Trail, mais aussi des deuxièmes places de prestige au Lavaredo Ultra-trail, au MIUT et à Ultra-Trail du Mont-Fuji. Il a également remporté le circuit Ultra-trail World Tour en 2018 et 2019.
Sur ses 17 dernières courses, il en a remportées 14, soit plus de 80 %, et il a terminé 16 fois sur le podium.
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Distances+ : L’année 2020 a été particulière avec la pandémie, comment l’as-tu vécu?
Pau Capell : C’était – et c’est – une situation très difficile, bien sûr. Ma vie et mon entraînement ont été affectés, mais pas autant que la vie normale des gens. J’ai dû passer d’un entraînement toujours en extérieur à un entraînement chez moi, ce que j’ai trouvé compliqué. J’avais tout le matériel nécessaire pour continuer de m’entraîner, mais plus pour maintenir mon niveau physique que pour m’améliorer.
Après, j’ai quand même pu réaliser mes trois projets : la tentative de moins 20 h à l’UTMB, le projet à Minorque (il a battu le record du tracé du trail de Menorca Camí de Cavalls, course où il avait couru son premier ultra-trail, en 16 h 46 min et 48 s, NDLR) et le projet à Ténérife (il a établi un nouveau sur le tracé de la « ruta 040 » en 6 h 13 min et 20 s, NDLR). Ça m’a fait une grosse charge physique en 2020. J’en ai d’ailleurs un peu subi les conséquences avec cette fracture de fatigue, que je suis encore en train de soigner (il a dû déclarer forfait pour sa course de coeur, la Transgrancanaria, début mars, NDLR), mais je suis sur le point de courir à nouveau.
Cet été, tu as tenté de réaliser moins de 20 heures sur le parcours de l’UTMB. On a l’impression que cet objectif tourne à l’obsession, est-ce le cas?
En ce moment, c’est mon obsession, si tu veux appeler ça ainsi (rires). Passer sous la barre des 20 heures à l’Ultra-trail du Mont-Blanc est mon obsession. Je suis focalisé dessus et ma carrière passe aujourd’hui par cet objectif. Je l’ai dans la tête et je pense vraiment que c’est faisable.
Mais passer sous les 20 heures ne veut pas dire gagner l’UTMB, parce qu’un autre coureur peut le faire plus vite. C’est un objectif personnel, une obsession personnelle.
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Dans cette perspective, tu es allé t’entraîner au Kenya avec le meilleur coureur sur marathon, Eliud Kipchoge, pour gagner en vitesse. Qu’est-ce que t’as apporté ce voyage ?
Je me suis rendu compte que la philosophie du sport est très différente en Europe et en Afrique. Notamment sur les ressources. Nous avons beaucoup de moyens (en Europe). Nous pouvons nous entraîner avec du meilleur matériel. Pour eux, les ressources sont très limitées, hormis pour Eliud.
Les coureurs kenyans s’aident entre eux pour devenir les meilleurs du monde. En Europe nous avons plus de moyens, mais c’est dommage, nous sommes plus individualistes. Ce que ça m’a appris, c’est que, très souvent, si tu t’entraines et que tu t’aides avec d’autres athlètes pour devenir meilleur, le groupe sera meilleur. C’est pour ça que les Kenyans sont les meilleurs du monde.
J’ai compris aussi qu’il fallait être plus focalisé sur nos objectifs. Dans mon cas, je me consacre professionnellement au sport, et ça vient avec des obligations. Nous avons beaucoup d’engagements (vis-à-vis des sponsors) comme accorder des interviews, faire des shooting photos, devoir faire certains déplacements…
C’est poids supplémentaire et, au final, si tu regardes bien tu ne fais pas que courir, tu fais beaucoup plus de choses dans la journée que de t’entraîner et courir. Or, la base, pour bien courir, c’est tout simplement de courir et de se reposer. C’est pourquoi ce petit voyage m’a aidé à réaliser que si on veut être le meilleur du monde et continuer à gagner l’Ultra-trail du Mont-Blanc, il faut courir et se reposer. Il est important de se concentrer davantage sur cet aspect.
Penses-tu vraiment que ton entraînement au Kenya et tes nouvelles chaussures (les Vectiv, les premières à plaque carbone dans le trail, développées par son équipementier partenaire, The North Face) vont te permettre d’atteindre ton objectif ?
Je pense que mon entraînement au Kenya m’a permis d’en connaître davantage sur la culture de la course à pied, et il me permet de mieux me concentrer sur mon entraînement. Les Vectiv me permettent de mieux m’entraîner. Bien sûr, elles ne me permettront pas de gagner à elles seules. Je devrai m’entraîner très dur, mais il est vrai que c’est un bon point pour atteindre mon objectif.
Tu accumules une charge d’entraînement très importante et tu enchaînes beaucoup de courses, malgré tout, tu restes toujours en forme et tu es toujours à la lutte pour la victoire. Parfois, on peut même se demander si tu te reposes. Comment fais-tu pour réussir à tout allier et toujours être à ce haut niveau de performance ?
Je me donne à 100 % dans mon sport. Je m’entraîne beaucoup, mais j’ai aussi des temps de repos. La récupération est extrêmement importante pour pouvoir m’entraîner autant. Je fais des sessions avec au moins deux entraînements tous les jours. Entre chaque session d’entraînement il est important de récupérer. Je le fais avec de l’électrostimulation, avec des traitements de physiothérapie ou en me reposant tout simplement. Le repos est important pour faire ce que je fais.
Pour les courses, cette année ça va un peu changer. Jusqu’à présent, sur toutes les courses où j’allais, j’arrivais à 100 % pour pouvoir gagner. Cette année, je suis beaucoup plus focalisé sur l’Ultra-trail du Mont-Blanc. Dans les courses prévues avant l’UTMB, il y en a certaines qui seront là pour servir de préparation seulement et d’autres où l’objectif sera de gagner.
Mais c’est dans mes gênes, je suis très compétiteur. Quand tu arrives à contrôler cette envie, c’est très bien, mais quand tu ne peux pas la contrôler, tu joues contre elle.
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Les projets comme les off ou les Fatstest Known Time (FKT) se sont beaucoup développés pendant cette période de pandémie, tu en as toi-même fait plusieurs, est-ce tu continueras à en faire après le retour des courses ?
Maintenant, chaque année, je pense organiser un ou deux projets, mais bien sûr je veux rester compétitif et je vais d’abord me concentrer sur les courses. Les projets seront plus quelque chose d’ouvert que des FKT.
À la fin de l’année 2021, je vais faire un autre projet comme ceux de l’année dernière. Il n’est pas encore finalisé, mais il devrait se faire en Amérique du Sud au mois de décembre. Je ne peux pas en dire plus, mais ça sera une très longue distance, environ 200 km en continu. Cette fois, ça sera une tentative de FKT. Ça se fera sur l’un des chemins les plus célèbres au monde, mais encore une fois je ne veux pas en dire plus parce que tout n’est pas définitif.
Tu es aussi ambassadeur du nouveau circuit international Spartan Trail. Par rapport à ceux qui existent déjà, quel regard portes-tu sur ce nouveau circuit ?
Je pense que Spartan est un circuit qui a été fait sérieusement et je crois en ce projet, c’est pour cela que j’ai accepté d’être ambassadeur. Ce qui est important, c’est d’aller sur chaque continent, c’est essentiel pour moi pour faire un circuit. Les courses qui en font partie sont des courses importantes. Il en manque quelques-unes comme par exemple, selon moi, l’UTMB, mais il pourrait intégrer le circuit plus tard.
C’est bien aussi de garder un circuit avec un nombre limité de courses. Le problème qui se pose avec l’Ultra Trail World Tour, même si j’y ai toujours participé, c’est qu’il y avait trop de courses. C’était compliqué de pouvoir être compétitif face aux meilleurs athlètes sur toutes les courses. Au final, on en faisait trois ou quatre au maximum. Le Spartan Trail satisfait beaucoup de coureurs.
Quelles sont les deux courses que tu rêves de gagner ?
La première course que je rêve de gagner c’est l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, encore une fois. C’est mon objectif principal chaque année. L’autre course que je rêve de gagner, c’est l’Ultra-Trail du Mont Fuji. Il y a deux ans, j’avais terminé deuxième, mais j’avais perdu la première place à environ 5 km de l’arrivée. Je rêve aussi de gagner une autre course aux États-Unis. J’aimerais participer, et bien sûr jouer la victoire, sur la Hardrock 100.
Traduit de l’espagnol par Yohan Malliard