À 56 ans, l’ultra-traileur jurassien Patrick Bohard s’est illustré cet été en battant le record du monde de dénivelé en 24 heures. Il a confirmé une nouvelle fois son statut de coureur hors pair, après des années d’aventures et de compétitions, souvent menées à l’abri des regards médiatiques.
Détenteur du record pendant une semaine
Patrick Bohard s’est élancé le 27 août sur la bosse de la station de ski Meix-Musy, près de chez lui, pour 24 heures de montées et de descentes sèches. Il a réussi à cumuler 17 130 m de D+ répartis sur 179 tours, améliorant la performance de l’Italien Luca Manfredi (17 020 m D+), qui détenait le record depuis la fin du confinement.
Il s’est lancé dans cette aventure par hasard, à la suite d’une séance de rythme programmée par son entraîneur Sébastien Cornette, a-t-il raconté à Distances+. « Le record est parti d’une séance pacing. Il se trouve que le Musy se trouve à moins d’un kilomètre de la maison. J’ai fait cette séance de 2 h, puis une autre de 6 h. En décortiquant l’entraînement, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire. »
Une semaine après sa performance, le record a de nouveau été battu, d’un rien, par le coureur savoyard Aurélien Dunand-Pallaz, qui s’était lancé dans une tentative similaire depuis son fief, à Marthod pour une différence exacte de 87 mètres D+ à l’arrivée, qui place la nouvelle marque de référence à 17 217 m D+.
Patrick Bohard n’a pas exprimé de regrets à propos de la perte du record. « Dans l’absolu, je suis totalement satisfait de ce que j’ai fait, a-t-il commenté. Aurélien a vraiment tout fait pour bien battre ce record, ça s’est joué à pas grand-chose, à une 180e montée que j’aurais même pu faire parce que j’avais le temps nécessaire. Si je le tente une nouvelle fois, j’essayerai de monter le plus haut possible sans me mettre d’objectif de tours. »
Il a confié à Distances+ qu’il réitérerait probablement l’expérience d’ici deux ans.
Du ski de fond à l’ultra-trail
Patrick Bohard est montagnard depuis son plus jeune âge. C’est sur les skis de fond que sa vie de sportif a débuté.
« Mes parents viennent d’un petit village du Jura, souligne-t-il. Quand j’étais petit, je sortais dehors, je mettais ma paire de skis devant la maison et puis je partais. J’ai baigné dans le ski depuis tout gamin. » Comme pour bon nombre de fondeurs, la course n’a jamais été loin. La course à pied ça va avec, quand on est skieur de fond, on est aussi coureur, c’est presque obligatoire. »
Pour lui, « l’envie du dossard » est arrivée sur le tard. Il partait régulièrement en virée avec son frère, un coureur qui performait en trail sur courtes distances. Son premier dossard a été accroché sur le Trail du Sancy (70 km) en 2008. Il a fini 3e. C’est suite à cela qu’il a été recruté dans l’équipe Asics, où une jeune recrue prometteuse, du nom de Xavier Thévenard, faisait ses débuts. Il a remporté sa première TDS en 2009. « J’ai mis rapidement le pied dans l’engrenage, et c’était parti », se souvient-il.
L’ultra-trail est vite devenu l’activité principale du Jurassien qui n’a pas attendu pour s’essayer au « très long », avec des courses s’étalant sur plusieurs jours. Un choix qui faisait écho à ses traversées solitaires en vélo de montagne ou à pied à travers le monde. Il parcourait « des bonnes plâtrées de kilomètres » chaque journée, affirme-t-il.
Patrick Bohard n’est pas l’ultra-traileur français le plus médiatisé, mais il détient de prestigieuses victoires à son actif. Vainqueur de la TDS, du Grand Raid des Pyrénées, du MIUT, de la Swiss Peaks 360 (360 km, 25 400 m D+)… il est également le seul français à avoir remporté le Tor des Géants (343 km, 28 000 m D+), en 2015. Ça fait de ce champion des très longs formats l’un des plus beaux palmarès du trail français.
L’esprit trail n’a pas changé selon lui
Si la compétition n’est jamais loin, la vision de Patrick Bohard n’est pas celle d’un compétiteur de trail obnubilé par la course. Elle est celle d’un amoureux de la montagne doué, à la recherche constante de nouvelles expériences et du dépassement de soi. « Le sport ne m’a jamais quitté une seule journée de ma vie, dit-il. Ça me suivra jusqu’à la tombe. C’est un besoin vital. Quoi qu’il arrive de ma vie, je pratiquerai toujours du sport. »
Cette philosophie de vie, il la partage en famille et l’a transmis à sa fille Manon, athlète et nutritionniste, qu’il a récemment suivie sur la Swiss Peak. « Le rapport que j’ai avec ma fille est génial, se félicite Patrick. Elle m’apporte beaucoup, car elle est spécialiste en nutrition, et je lui apporte de mon côté l’expérience. On fait des sorties longues et elle a un tel niveau que ça me fait de gros entraînements. »
Membre de l’équipe Hoka, qui réuni de nombreuses vedettes du trail français, depuis 2013, Patrick s’éclate aussi bien avec les vieux briscards que des athlètes de la nouvelle génération dont il a deux fois l’âge et qu’il regarde progresser avec bienveillance.
Le monde du trail a beaucoup évolué sous bien des aspects, mais l’athlète expérimenté qu’il est aborde ce milieu de la même façon depuis le début : « Je n’ai jamais eu de pression parce que je mets un dossard. Sur l’ambiance des trails, je trouve que rien n’a changé. Pour moi, il y a toujours beaucoup de partage, peu importe les générations. »
La passion et l’envie guident ses choix depuis toujours. C’est peut-être le secret de la longévité pour ce Jurassien de souche qui a connu, quoi qu’on en dise, un trail différent, et pour qui l’envie de courir et le goût du défi sont toujours présents. « Je suis toujours dans le plaisir et le projet, dit-il. En ce moment, j’ai envie de repartir plus sur des courses plus courtes, autour de 100 km, où la concurrence est plus élevée. Je veux retrouver cette ambiance de battle où tu joues ta place jusqu’au bout. »
Un personnage multifacettes
Patrick Bohard a mené et mène encore plusieurs vies. Il réside toujours dans le Jura et tient une auberge où il accueille régulièrement, avec sa femme, des groupes pour des stages de trail, organisé notamment avec l’entraîneur Pascal Balducci, sa fille Manon et des intervenants réguliers comme Julien Chorier, Sébastien Cornette et bien d’autres.
Lorsqu’il n’accueille pas ses convives, Patrick s’entraîne. « J’ai toujours un moment de la journée ou je peux caser une séance, assure-t-il. Je mets deux minutes à me préparer et je me sauve en montagne ». Et parfois, il endosse sa casquette d’organisateur d’événements pour la GTJ200, la Grande Traversée du Jura, une course de ski de fond d’ultra endurance, la plus grande au monde.
Ses gammes, Patrick les maîtrise donc dans de nombreux sports. Il les a aussi littéralement apprises sur le manche de sa guitare. Multi-instrumentiste, il a passé une partie de sa vie à sillonner les routes avec son groupe de rock. Un style de vie atypique assuré pendant plusieurs années entre deux mondes qu’on dit souvent incompatibles. « Le rock, c’était hyper festif, c’était la grande vie, s’enthousiasme-t-il. J’avais 18 ans. C’était une période absolument incroyable. Mais j’ai toujours réussi à mettre du sport dans ma vie. »
L’athlète jurassien a toujours trouvé un moment pour s’échapper « quand ils étaient au bar, je partais courir. »
Une fois de plus, la passion l’emportait. C’est cette recette qu’il cultive depuis ses débuts et il ne compte pas s’arrêter. Il rêve par exemple de la Hardrock aux États-Unis. « C’est une course qui me fait rêver. Je n’ai pas eu la chance d’être tiré au sort jusqu’à présent. Si j’y vais un jour, c’est le Graal, je peux mourir à la fin. »
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