Maude Mathys : « Je fais peu de volume, c’est peut-être ça la clé du succès »

Maude Mathys
Maude Mathys reste sur 9 victoires sur ses 13 dernières courses - Photo : Courtoisie

Maude Mathys possède l’un des plus beaux palmarès de l’histoire du trail. À 34 ans, l’athlète suisse, vainqueure de la première édition du championnat Golden Trail World Championship en 2020, ne se lasse pas de remporter la quasi-totalité des courses auxquelles elle participe. Elle a entre autres accroché à son tableau de chasse plusieurs courses en montagne mythiques comme Sierre-Zinal (30 km, 2300 m D+, record de course), le Marathon du Mont-Blanc (42 km, 2500 m D+) ou encore le Marathon de Pikes Peak (42 km, 2400 m D+, record de course). Elle est également triple championne d’Europe en titre de course en montagne.

Compétitive, Maude se fixe constamment de nouveaux objectifs. Elle a par exemple tenté de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo sur le marathon. Elle était en passe de réussir son pari lorsque la pandémie a frappé.

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La championne helvétique a véritablement lancé sa saison 2021 en remportant largement la première manche des Golden Trail World Series, le circuit promu par l’équipementier Salomon, à l’occasion de l’Olla de Nuria (21 km, 1930 m D+) dans les Pyrénées espagnoles. Et elle compte bien récidiver dès ce week-end, le 4 juillet lors de la seconde manche à l’occasion du Marathon du Mont-Blanc (38 km, 2630 m D+).

À quelques jours de la course, Maude Mathys a répondu aux questions de Distances+.

Maude Mathys
Maude Mathys espère se qualifier pour les championnats du monde 2022 et les Jeux Olympiques 2024 sur marathon – Photo : Courtoisie

Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?

Maude Mathys : Je l’ai très bien vécue. Ça m’a fait vraiment du bien psychologiquement parce qu’il n’y avait pas de compétitions, donc il n’y avait pas d’objectifs et pas de stress. Je me suis entraînée avec moins d’acharnement, sans plan précis.

Ça a quand même été un peu spécial parce qu’au début on ne savait pas trop si ça allait redémarrer, donc je m’entraînais quand même, jusqu’à ce que je me dise « non, il n’y aura rien », et que je me relâche un peu. À d’autres moments, j’avais l’impression que ça allait reprendre alors j’augmentais ma charge d’entraînement. C’était un petit peu en dents de scie, mais globalement je me suis relâché et j’ai dit à mon coach qu’on arrêtait avec le plan prévu pour y aller un peu au feeling. Ça m’a fait du bien psychologiquement et physiquement.

Que retiendras-tu et quels enseignements as-tu tirés de cette période insolite?

Sportivement, ce que j’ai retenu c’est que je n’ai pas forcément besoin de compétitions pour m’entraîner. Ça ne m’a pas tant manqué que ça. J’aime l’adrénaline du départ, les émotions quand j’atteins mon objectif, mais en même temps, il n’y avait pas tout ce stress de la compétition, les attentes qu’on a vis-à-vis de moi, [la pression] des médias… C’était beaucoup plus calme. Finalement, c’était tellement cool que je n’avais pas forcément envie de reprendre la compétition (rires).

Dans ma vie générale, des fois, je stresse pour rien et je surcharge mon quotidien. J’ai réalisé qu’il fallait davantage profiter de l’instant présent et c’est ce que j’ai fait pendant la pandémie.


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Qu’est-ce que la pandémie et ses conséquences ont eu comme impact sur ta carrière de coureuse de haut niveau?

Ce qui a eu le plus d’impact, c’est au niveau des JO de Tokyo. Juste avant la pandémie, j’avais fait un marathon dans le but de me qualifier pour les Jeux et j’avais des bonnes chances d’être qualifiée. Finalement, il n’y a plus eu de courses et [la Fédération internationale d’athlétisme] a élargi la période de sélection. Malheureusement, cela a eu comme conséquence de ne plus être dans les 56 meilleures temps au monde [sur la discipline].

Suite à la pandémie, j’ai laissé tomber cet objectif parce qu’il m’aurait fallu recourir un marathon en mars dernier et je n’avais pas envie de me consacrer qu’à ça. Si je m’étais qualifiée, il aurait fallu que je refasse une préparation pour le mois d’août. Je n’avais pas envie de faire une préparation tout l’hiver et tout l’été.

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Maude Mathys sera au départ du Marathon du Mont-Blanc ce week-end – Photo : Courtoisie

Quels sont tes objectifs alors maintenant?

Pour les objectifs à moyen-long terme, ça reste les courses en montagne, les Golden Trail World Series, les championnats d’Europe et les championnats du monde. Je pense encore faire ça pendant trois ou quatre ans. 

Mais j’ai toujours ce marathon en tête. L’année prochaine, il y a les championnats du monde (à Eugene aux États-Unis, NDLR) où je vais viser une qualification et je vise aussi les Jeux olympiques de Paris en 2024. C’est seulement dans trois ans, donc je me dis que c’est encore réalisable.

D’où t’est venue l’envie de te qualifier sur marathon pour les Jeux olympiques?

J’ai envie de vivre l’ambiance des JO, pour me dire que j’ai été une fois aux Jeux olympiques. La distance marathon ne m’attire en fait pas plus que ça, parce que j’en ai déjà fait et que je le cours aussi en montagne.

D’un côté, je me réconforte avec le fait que ces JO ne vont pas être de vrais JO puisqu’il n’y aura pas toute l’ambiance que l’on connaît en temps normal (les tribunes seront remplies à 50 %, dans la limite de 10 000 personnes et les spectateurs devront être masqués avec l’interdiction de parler à voix haute ou de crier, NDLR). Quelque part, je suis très contente de ne pas avoir été qualifiée et de viser plutôt Paris, en espérant que ça soit de vrais JO.

Tu as raté les minimas pour seulement 1 min et 11 secondes (ils étaient fixés de 2 h 29 min et 30 s et Maude Mathys a réalisé 2 h 30 min 42 s en mars 2020 à Séville), comment as-tu vécu le fait d’être passée si près?

Sur le moment, j’étais très contente parce que j’avais battu mon record personnel de 40 secondes. C’était une satisfaction parce que je ne pensais pas pouvoir aller plus vite. Quand j’avais fait mon ancien record, j’avais fait une course parfaite, ou quasi parfaite, et je me disais que je ne pourrais jamais améliorer ce chrono.

À la suite de ça, il y a eu beaucoup de réactions, notamment de la fédération suisse, qui m’a dit que j’avais de bonnes chances d’être qualifiée. J’avais un pied dedans, j’étais fière de moi et, en plus, j’étais la seule Suissesse qui avait réussi un chrono comme ça (depuis sa compatriote Fabienne Schlumpff a réalisé 2 h 26 min 14 s, en avril 2021, NDLR). Pour moi, ce n’était pas dans la poche, mais j’étais presque sereine d’aller aux Jeux olympiques.

2024 aura l’avantage d’être à Paris, ce serait des Jeux olympiques presque à la maison pour toi… 

Oui, il y a l’avantage de ne pas avoir de changement de climat, de décalage horaire, de ne pas avoir beaucoup de voyage. Le désavantage, c’est que c’est un peu moins exotique, ça fait un peu moins rêver que d’aller à Tokyo.


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On l’a vu assez récemment avec Kilian Jornet, ce n’est pas toujours facile de passer du trail à la route (fin novembre 2020 l’Espagnol a dû abandonner sa tentative de record du monde du 24 h sur piste à cause d’une blessure au genou). Comment t’es-tu préparée?

Déjà, presque toute l’année, j’entraîne sur le plat et en montagne. Je ne fais jamais comme Kilian qui, pendant trois mois, ne fait que du ski alpinisme. Je continue à courir, et je fais une sortie uniquement sur bitume au moins une fois par semaine.

Quand j’ai préparé mon marathon, c’est clair que j’ai fait de plus en plus de bitume, mais j’ai quand même gardé des sorties vallonnées, des sorties en montée et vraiment trail. Si je ne fais que du goudron, c’est horrible pour la tête et pour les muscles.

Je suis très polyvalente dans mon entraînement de manière générale. Avec ça, j’arrive rapidement à passer de l’un à l’autre. Après, à chaque fois que je sors d’une prépa marathon, j’ai des soucis. J’ai eu une déchirure à un adducteur, j’ai eu une tendinite à un ischio, j’ai eu des tendinites au talon d’Achille aussi. Donc je n’en sors pas indemne non plus. 

Maude Mathys
Maude Mathys est montée sur le podium de ses 13 dernières courses – Photo : Courtoisie

Tu as remporté 9 de tes 13 dernières courses recensées par l’ITRA, depuis 2018 en fait. Ta « moins bonne performance » a été une troisième place, sur la Dolomyths Run Skyrace, et encore tu t’étais blessée pendant la course. Quel regard portes-tu sur ta domination dans le trail, sur les distances sur lesquelles tu t’alignes (entre 21 et 42 km généralement)? 

Je ne me considère pas un cran au-dessus de tout le monde. Je n’ai pas l’impression d’être plus forte. À chaque fois, je suis même surprise. À chaque course, je me dis « je vais me faire rattraper, ce n’est pas possible! » C’est toujours un stress, je n’arrive jamais sur une ligne de départ en me disant que c’est facile et qu’aujourd’hui je vais gagner.

Chaque course est un challenge pour moi. Il peut arriver tellement de choses. Je donne toujours le maximum parce que j’ai toujours peur qu’on me rattrape.

À l’Olla de Nuria (la première étape des Golden Trail World Series, en Espagne, NDLR), après pratiquement deux ans sans confrontation (elle a toutefois participé et remporté fin 2020 à la première édition du Golden Trail World Championship), j’étais hyper stressée. Quand je vois l’avance que j’avais, ça me réconforte un peu, mais je ne suis pas totalement sereine. Je ne me sens pas intouchable.

Selon le classement général de l’ITRA, tu es la meilleure traileuse au monde. Pourquoi es-tu la meilleure selon toi? 

C’est une bonne question! Ça me fait sourire parce que j’ai commencé comme tout le monde, au bas de l’échelle, en souffrant et dégueulant à la fin des courses. Voir le parcours jusqu’à aujourd’hui, c’est trop beau!

Les montées sont vraiment mon point fort, mais j’ai travaillé énormément [tout le reste]. J’ai notamment profité de mes grossesses pour m’entraîner plus. Avec eux, ça me faisait du poids en plus et j’ai peut-être développé une certaine musculature grâce à eux.

Je fais peu de volume, c’est peut-être ça la clé du succès. Je ne m’entraîne pas tous les jours deux ou trois heures. Je suis à maximum 15 heures par semaine, ce qui n’est rien pour certains. Je fais plus de la qualité que du volume. Je varie beaucoup aussi avec moitié vélo, moitié course à pied et beaucoup de renforcement musculaire.


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Je suis une athlète professionnelle, mais je n’ai pas que le sport dans la vie et si ça ne va pas, je m’arrête ou je relativise en me disant que ce n’est que du sport. Peut-être que ça, ça me fait une force mentale dans les courses et moins de stress. 

Alors, [pourquoi suis-je la meilleure?] C’est sûrement un mélange de tout ça. Et puis physiologiquement, je pense que j’ai ça en moi. Mes parents étaient sportifs, mon papa notamment faisait du marathon. Depuis toute petite, je suis nulle au sprint, mes muscles étaient faits pour être endurants.

L’une des athlètes qui semblent la plus en capacité de te battre aujourd’hui, c’est ta compatriote Judith Wyder. Comment vois-tu le fait que ta principale rivale soit une Suissesse aussi?

Je trouve ça génial d’avoir deux top athlètes suisses, c’est de bon augure pour des courses par équipe. En plus, on a le même entraîneur et on s’entraîne un peu de la même façon, même si on ne s’entraîne jamais ensemble. Je ne la vois pas du tout comme une rivale, c’est une concurrente comme une autre.

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Maude Mathys est la meilleure traileuse au monde selon le classement ITRA – Photo : Courtoisie

Il y a de jeunes traileuses qui montent et qui performent à chaque course, comme les Françaises Blandine L’hirondel bien sûr, mais aussi Élise Poncet, Lucille Germain, Mathilde Sagnes, qui ont toutes répondu présentes sur l’Olla de Nuria récemment. Qu’est-ce que tu penses des Françaises?

C’est génial. Tant mieux qu’il y ait de la relève. C’est ça qui me fait aussi stresser et qui fait que je ne me repose pas sur mes lauriers. Je sais que, derrière, ça peut venir très vite et qu’en cinq ou six mois, il peut y avoir une fille qui a énormément progressé.

C’est chouette pour la concurrence, c’est chouette pour le show et pour les courses.


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Quel est ton principal objectif cette saison? Tu évoquais plus tôt à la fois les Golden Trail World Series (GTWS) et les championnats du monde.

Pour l’instant, je me concentre sur les Golden Trail World Series, avec d’abord le Marathon du Mont-Blanc puis Sierre-Zinal (7 août) dans le but de me qualifier pour la finale des GTWS en Patagonie. Mais je vise aussi les championnats du monde en Thaïlande, même si je sais déjà que ce ne sera pas possible de faire les deux. On a regardé avec mon coach et c’est trop court. Il y a trop peu de jours entre les deux. 

Mais comme on ne sait pas comment la situation va évoluer, je vise les deux. Comme ça, si j’ai le choix tant mieux, même si, d’un côté, j’espère ne pas avoir le choix parce que ça va être difficile de choisir.

Et dans l’éventualité d’une participation aux championnats du monde quelle épreuve vas-tu choisir?

Là aussi, j’ai deux options. Soit je fais le trail court de 40 km, soit je fais le kilomètre vertical et la course de montagne. Ça dépendra de la fatigue et de mon envie du moment. Peut-être qu’à force de faire des 30 ou 35 km, j’en aurais ras le bol et j’aurais envie de faire autre chose.

Pour finir… tu as presque tout gagné, qu’est-ce qui te motive encore et qu’est-ce qui te fait rêver? 

Ce que j’aimerais, c’est de pouvoir être à ce niveau-là le plus longtemps possible. Et ce qui serait beau, c’est de battre le record de chaque course à laquelle je participe. C’est un joli challenge de chasser les records.

Ce qui est embêtant avec la Covid, c’est que ce n’est pas toujours le même parcours. Du coup, les records ne sont pas homologués.

Mais ce qui me fait rêver et que je n’ai toujours pas réussi, ça reste les Jeux olympiques!