Mathieu Blanchard s’apprête à prendre le départ de la dernière course de sa première vraie saison de trail internationale, celle où, dit-il, il a pu « enfin » exprimer son potentiel, avec en point culminant une prestigieuse 3e place à l’UTMB, qui demeure l’ultra-trail le plus relevé de l’année à l’échelle planétaire. Il a également remporté le 45 km du Xterra Tahiti, en Polynésie française, au printemps, et plus récemment le 64 km du Cappadocia Ultra-Trail, en Turquie. Il sera ce samedi matin sur la ligne de départ du 100 km (4700 m D+) de l’Ultra-Trail Cape Town, en Afrique du Sud, ultime épreuve de l’Ultra-Trail World Tour 2021, et de l’Ultra-Trail World Tour tout court d’ailleurs puisque le circuit va disparaître au profit de l’UTMB World Series dès 2022.
Mathieu aura à ses côtés plusieurs « fusées », à l’image de Jim Walmsley, Sébastien Spehler et quelques-uns des centbornards les plus rapides d’Afrique du Sud. Il y a aura aussi Courtney Dauwalter ainsi que ses amis et coureurs élites québécois Marianne Hogan, Jean-François Cauchon et Rémi Poitras, qui ont tous les trois une carte à jouer ce week-end.
Comme à son habitude, Mathieu Blanchard a répondu généreusement aux questions de Distances+ à quelques heures du départ de cet Ultra-Trail Cape Town (UTCT). Il semble heureux, décontracté et prêt à finir en beauté en se faisant plaisir. Entrevue!
Distances+ : Comment te sens-tu avant cette dernière course de l’année?
Mathieu Blanchard : Au top, je me vais super bien! En Afrique du Sud, on est dans l’hémisphère sud, on se croirait au printemps dans le sud de la France, c’est très agréable.
Les organisateurs ont, ceci dit, publié une alerte aux vents violents. Quelles sont les conditions attendues sur la course?
A priori, le temps serait pluvieux, mais la météo varie énormément autour de Cape-Town justement à cause du vent. C’est plein de microclimats entre la ville, le bord de mer et la montagne (concentrés dans un même espace). C’est en partie dû à l’influence des océans puisqu’on a d’un côté l’océan Indien et de l’autre l’océan Atlantique. Ces derniers jours, on a eu effectivement beaucoup de vent fort.
Les températures peuvent descendre jusqu’à 5 degrés et grimper à 40 degrés au soleil et on peut avoir tous les temps en une seule journée. D’ailleurs, quand tu regardes les prévisions, pour une seule journée, c’est quatre pages! Bref, il va falloir s’adapter à ça. Pendant la course, j’aurai sur moi autant mes manchons et ma veste Gore-Tex que mon bandana pour me mettre de la glace si j’ai trop chaud, et on verra bien…
Tu es arrivé il y a deux semaines en Afrique du Sud pour t’acclimater. Comment tu as trouvé les sentiers?
Je suis allé reconnaître le parcours entièrement les trois premiers jours. Je m’attendais à des sentiers plus roulants, moins techniques, mais en fait il y a des passages où il faut carrément mettre les mains, avec des prises d’escalade comme en via ferrata. Et ce sont des chemins très rocheux qui font mal aux pieds. Il y a aussi beaucoup de sentiers qui montent ou descendent en escaliers, avec des marches très très hautes et ça, ça fait mal. Ça casse musculairement si tu n’es pas entraîné pour ça!
Sur l’ensemble du parcours, à part les 15-20 derniers kilomètres où c’est un beau chemin facile et à l’ombre, c’est aride, avec peu d’arbres. On est exposés en permanence au soleil et c’est très technique. J’adore les sentiers ultra techniques, mais je me suis pas mal entraîné sur du roulant cette année en vue de l’UTMB. Par contre, sur cette fin de saison je me suis bien préparé musculairement donc ça devrait aller.
Franchement, ça peut être difficile à gérer cette course et il ne va pas falloir partir trop vite.
Sauf qu’on peut s’attendre à ce que, justement, ça parte vite avec des gars comme Jim Walmsley et Seb Spehler…
Oui, je m’attends au départ le plus rapide qui soit. Il y a Jim et Seb, mais il y a aussi une dizaine de gars du coin habitués du Comrades Marathon (le plus ancien ultra sur route — environ 90 km — et le plus rapide au monde, NDLR) et qui sont capables de courir des 100 km à des vitesses folles. En plus, le départ se fait dans un stade, puis sur une belle route goudronnée en descente sur 1 km, alors il va y avoir des flammes derrière eux.
Tu ne vas pas essayer de partir avec eux?
Ah nan nan, ils sont plus rapides que moi, ce serait trop dangereux. J’aime bien être un peu fou au départ, mais je ne suis pas stupide non plus (il rit). Mais c’est très bien, moi ça m’arrange qu’ils partent vite. Ils vont se tirer la bourre pendant 50 km et peut-être qu’ils exploseront ensuite. Je mise là-dessus.
Jim a dit qu’il voulait le record (9 h 51), même si le tracé a été un peu modifié pour être encore plus trail, alors c’est sûr qu’il va partir à fond. Il y aura aussi le détenteur du record de l’UTCT, qui est un coureur sur route (Prodigal Khumalo), et le triple vainqueur du Comrates Marathon et vice champion du monde de 100 km sur route (Bongmusa Mthembuet) et tous les autres coureurs élites sud-africains qu’il ne faut surtout pas sous-estimer. Il y a également le Suisse Pascal Egli (vice-champion du monde de course en montagne longue distance et champion du circuit Skyrunner World Series 2018, NDLR). Lui, je ne le connais pas, mais il a l’air très fort. Bref, ça va être un vrai feu d’artifice!
Donc il ne faut pas s’étonner si on ne te voit pas aux avant-postes dans les premiers ravitos?
Non, il faut plutôt s’attendre à ce que je sois 10 ou 15e jusqu’à la mi-parcours. L’idée, c’est de gérer ma course et de rester en contrôle jusqu’à la base de vie Hout Bay à un peu plus de la mi-parcours (km 59). C’est un endroit qui me fait penser à Courmayeur à l’UTMB où plein de coureurs arrivent pétés et abandonnent. À partir de là, si je me sens bien l’idée sera de prendre des risques et de sortir de ma zone de confort. Mais attention, moi ma saison, elle est réussie, je suis content. L’Ultra-Trail Cape Town, c’est du bonus. Que ça se passe bien ou mal, peu importe…
En gros, tu vas de nouveau appliquer ta stratégie de l’UTMB?
Exact! Ce n’est pas parce que la recette a marché cette année que ça va marcher à chaque fois, mais, là, il y a un contexte. Il y a des fusées devant et c’est avant tout une stratégie que je choisis en fonction de ça. Parce que je les connais, je sais comment ils courent et que j’ai envie de prendre du plaisir et certainement pas d’être en souffrance dès le 10e kilomètre. La ligne d’arrivée, c’est au km 100, pas après les deux tiers de la course.
Ta saison s’achève, avec au compteur une 3e place à l’UTMB, deux victoires à Tahiti et sur le Cappadocia Ultra Trail en Turquie, mais aussi une 2e place au Montreux Trail Festival en Suisse, une 5e place au Marathon des Sables au Maroc (malgré une gastro) et une 6e place à la Transgrancanaria aux Canaries (malgré des problèmes d’estomac). Tu viens aussi d’intégrer l’équipe internationale de Salomon, qui est la meilleure équipe de trail running au monde depuis plusieurs années. Qu’est-ce que tu retiens de cette belle saison?
Pour moi, c’est le vent qui tourne enfin en ma faveur. Je sais le travail que j’ai accompli depuis 2-3 ans et jusque-là, je n’avais pas eu trop de chance. Je me suis blessé pour la première fois en 2019 juste après avoir quitté mon poste d’ingénieur, avec ce fonctionnement trop figé de bureau, pour rejoindre l’entreprise libérée de La Clinique Du Coureur et adapter mon entrainement pour me mettre à fond dans le trail, ce qui m’a beaucoup ralenti. Après un gros entraînement hivernal, j’ai bien repris au début de l’année suivante avec une 2e place au Tarawera Ultramarathon en Nouvelle-Zélande, mais la Covid nous est tombée dessus et tout s’est de nouveau arrêté. En 2021, j’ai l’impression d’avoir enfin pu m’exprimer au niveau international et prendre de la confiance. Tant que tu n’as pas montré ce que tu vaux, tu n’as rien prouvé. Je n’ai jamais été en pleine confiance au départ des grosses courses comme je pouvais l’être les premières années sur les courses au Québec ou aux États-Unis. Encore au début de cette année, à la Transgrancanaria, au départ de la course les mecs devant ne savent pas qui je suis. Ça ajoute un peu de pression, un peu de stress. Mais, bon, il va falloir que je réussisse plus de courses à l’international pour avoir un niveau de pleine confiance, alors j’ai hâte à 2022!
Puisqu’on évoque l’avenir, qu’est-ce que ton intégration au Team Salomon va changer à ta façon de planifier tes courses?
On prend du recul et on essaie de penser à horizon 4-5 ans. Ça reste à définir, mais l’année prochaine, contrairement à ce que je prévoyais, je n’irai pas à la Western States (sa 3e place à l’UTMB était qualificative directement, NDLR) parce que mon objectif sera de nouveau l’UTMB.
Il y a plusieurs dimensions dans l’ultra-trail. Tout ne s’équivaut pas. Il faut être capable de s’adapter à des caractéristiques de course particulières. En courant beaucoup en montagne cette année, par exemple, j’ai créé des adaptations à ce milieu-là. Si je lâche ça pour aller courir la Western States, où il y a un faible dénivelé et de la chaleur, ou un autre ultra qui n’a rien à voir avec ma préparation, c’est du gâchis. Mieux vaut que je reste sur ce à quoi je me suis adapté et que je progresse là-dedans. Avant je faisais avant tout des choix de cœur, mais il faut que je fasse maintenant des choix de raison et mixer la Western et l’UTMB, ça ne marche pas!
À l’UTMB, je sais que je peux encore progresser donc je veux mettre le focus là-dessus. Cette année, je suis arrivé avec un surplus d’énergie et je termine 3e, alors je sais que je peux améliorer mon temps largement si les étoiles s’alignent. Je veux me donner les moyens et ça passe par faire une croix sur la Western States. C’est plus intelligent et logique.
Et avant d’arriver à l’UTMB, tu penses courir quelles courses?
Le MIUT à Madère et le Lavaredo en Italie a priori, mais entre-deux je veux aller faire des courses plus courtes comme le Xterra Tahiti en Polynésie, parce que j’aime ça, que ça me fait du bien et que ça me réussit. Et pourquoi pas tenter Sierre-Zinal en juillet aussi.
Mais d’ici là tu as deux victoires en 2021, il t’en manque une, non?
Ouais, c’est vrai, jamais deux sans trois (il rit)
Que feras-tu après cette dernière course de la saison?
Je vais retourner passer l’hiver au Québec, jusqu’au mois d’avril où se déroulera le stage de pré-saison de Salomon, probablement au Cap Vert, ce qui serait parfait pour la prépa à Madère.