L’ultra-marathonienne française Marie Léautey a franchi une nouvelle étape dans son tour du monde en courant. Le 8 mars dernier, elle bouclait la traversée de son troisième continent, l’Amérique du Sud. En transit à Londres, Marie – alias Lootie Run sur les réseaux sociaux – a de nouveau accordé un long entretien à Distances+ pour faire le bilan des 3000 km du Sud du Chili à Buenos Aires, en traversant les Andes et la pampa argentine, qui se sont ajoutés aux 21 000 km cumulés depuis son départ du Portugal en décembre 2019.
Elle a changé de continent, mais pas son rythme. Marie, imperturbable, sans blessure, sans lassitude, continue d’avancer à coup de 40 km par jour au rythme moyen de 6’38 min au km (9 km/h) qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse extrêmement chaud. Pourtant, ses journées de courses sont très diversifiées. « C’est tout ce qui fait le sel de cette aventure », commente d’ailleurs l’athlète.
« Les trois continents que je viens de traverser sont fondamentalement différents, précise-t-elle. En Europe, j’étais émerveillée par toutes les traces historiques et culturelles, aux États-Unis, j’ai fait des rencontres hors normes et vécu l’immensité des paysages grandioses, et en Amérique du Sud, c’était vraiment un autre voyage, presque comme si je partais de zéro. »
Une aventure totalement différente
C’est avant tout un continent que Marie ne connaissait pas. Elle n’en maîtrise pas la langue, mais elle a un rêve : franchir la ligne de la cordillère des Andes. Et cerise sur le gâteau, pour la première fois depuis deux ans, elle était accompagnée par son ami de longue date, James, qui l’a suivie au quotidien à vélo et en van. Ce partage de l’expérience a tout changé même s’il a fallu construire un nouvel équilibre à deux et installer de nouvelles routines.
« Pendant 21 000 km, je n’avais eu à me soucier de rien, juste à suivre ma propre discipline, mes propres décisions. C’était finalement assez simple », témoigne Marie Léautey. Et là, tout d’un coup, « la notion de temps — d’horaires, de rendez-vous à ne pas manquer —, que j’avais totalement occultée pendant deux ans, a refait surface avec toutes ses contraintes. » Il a fallu faire quelques concessions et trouver un nouveau rythme à deux. Ce n’est au final que du positif qui ressort dans les propos de Marie. « L’aventure est plus forte à deux, dans le partage des émotions et dans la mémoire commune des journées. Et puis, avoir un van à disposition c’est bien plus confortable à tous les points de vue, reconnaît-elle. Il permet d’augmenter le rayon des visites après la journée de course, de s’éloigner des grands axes routiers, de se faire un barbecue au bord de la route ou de retrouver le bonheur simple de cuisiner des pâtes! »
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Occasionnellement, principalement en Europe, Marie a été accompagnée pour quelques kilomètres par des coureurs locaux venus à sa rencontre. Mais en Argentine, un journaliste français, Franck Berteau, a mouillé plus longuement le maillot pour vivre de l’intérieur ce voyage sportif inédit et rendre compte de l’exploit dans le revue de grand reportage XXI (article à paraître dans le numéro de juin). Pendant sept jours et sept marathons, il a partagé le quotidien de Marie à travers la pampa humide et suffocante de l’Argentine. « C’était une parenthèse très agréable, nous avons beaucoup échangé au cours de cette semaine. J’espère qu’il a perçu le bonheur et la chance que je ressens dans cette façon unique de voyager et qu’il ne s’attachera pas uniquement au côté sportif de ma démarche », raconte-t-elle.
Sans la poussette il a fallu se réadapter
La présence de James sur cette portion sud-américaine a entraîné une autre modification de taille dans l’aventure : l’allègement de la charge à transporter quotidiennement. Marie a pu troquer « Bob n°2 », sa poussette de 30 kg qui contenait tout son équipement, pour un petit sac à dos de trail classique chargé juste avec un peu de ravitaillement pour la journée. Avec cet allègement, Marie aurait pu se voir pousser des ailes, mais pas du tout. « J’ai conservé mon rythme habituel, car il m’a fallu plus d’un mois pour me réhabituer à courir sans appui devant moi, raconte-t-elle. J’avais totalement perdu le balancier de bras et puis j’avais des brûlures partout liées aux frottements du sac. » En revanche, elle a confié avoir été soulagée de ne pas avoir eu à pousser « Bob n°2 » sur les nombreuses pistes non asphaltées du Chili et lors du franchissement des Andes à 3800 m d’altitude.
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Outre les modifications techniques de la course et physiques du corps (Marie a remarqué qu’elle avait perdu de la masse musculaire au niveau des bras, du dos et un peu des jambes NDLR), l’absence de poussette sur ce continent a également transformé le regard porté sur elle par les gens qu’elle a rencontrés. La poussette, donc cette idée de la mère de famille qu’elle renvoyait aux autres, était une sorte de « protection ». Marie se sentait en sécurité derrière ce fragile rempart, mais, paradoxalement, elle ne passait jamais inaperçue sur les routes et était systématiquement abordée. En Amérique du Sud, elle a couru quasiment à « nue », sans son « armure ». À son grand soulagement, elle n’a rencontré aucun problème sur les routes du Chili et de l’Argentine, deux pays les plus sécuritaires du continent (le choix de la route entre Pacifique et Atlantique ne s’était pas fait au hasard, NDLR) et dans le même temps, elle est devenue plus « invisible ». Même si les touristes se font rares et que la course à pied n’est pas particulièrement à la mode dans ces coins du globe, avec juste son short et son petit sac, Marie attirait moins l’attention et la curiosité des populations rencontrées. Cette relative « transparence » n’a pas empêché les belles rencontres et la découverte de paysages grandioses.
Le moment le plus intense sur cette route mondiale
Quand on lui demande son meilleur souvenir, Marie répond sans hésiter : « le franchissement des Andes avec le passage à 3854 m de la frontière entre le Chili et l’Argentine, avec cet immense Christ Rédempteur qui nous accueille ». La traversée des Andes « était vraiment un moment unique de trois jours de montée par palier, d’abord sur une route exceptionnelle en lacets, puis sur un chemin de montagne assez escarpé », rapporte-t-elle. « J’ai ressenti une joie indescriptible, une immense émotion à l’arrivée. Pour l’instant, c’est le moment le plus intense qu’il m’est arrivé de vivre sur cette route mondiale », souligne Marie.
La coureuse a un peu déchanté du côté argentin avec de longues journées dans la pampa locale, très humide, suffocante et infestée de moustiques. Ça, c’était pour les mauvais souvenirs!
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Mais l’accueil festif qui lui a été réservé quelques jours plus tard à Buenos Aires a effacé ces désagréments. Après les honneurs consulaires à Istanbul et à New York, cette fois c’est l’ambassadrice qui a enfilé son short et ses baskets pour partager avec Marie les derniers kilomètres de son périple sud-américain de 3000 km. Elle a également été accompagnée par la directrice du lycée français et plus d’une centaine de jeunes lycéens. L’ultra-marathonienne garde en mémoire cette arrivée bourrée de symboles qui lui tiennent particulièrement à cœur. Elle s’est tenue un 8 mars, Journée internationale de la femme, avec une organisation orchestrée par des femmes de pouvoir (il y en a peu dans ces sphères diplomatiques) et de nombreuses discussions avec les jeunes lycéens très sensibilisés aux droits des femmes et aux questions d’égalité dans leurs programmes scolaires.
Marie a juste un petit regret : ce beau final, à la fois protocolaire avec cérémonie et petits fours et plus informel avec les multiples échanges avec toute l’assemblée, ne l’aide pas à faire décoller sa collecte de fonds pour l’association d’aide aux femmes victimes de guerre Women for Women International.
Suite et fin
Au moment d’écrire ses lignes, en avril 2022, Marie et James étaient en pause contrainte à Londres dans l’attente de leur visa de 6 mois pour l’Australie. L’île rouvre très progressivement ses frontières et le duo espère pouvoir repartir dans quelques jours pour la quatrième et ultime traversée de continent. Même si la coureuse au long cours s’est déjà frottée un peu aux routes australiennes, elle sait que la partie ne sera pas facile. Il va falloir en particulier avaler 1600 km de déserts inhospitaliers avant de toucher le Graal et entrer dans le cercle hyper restreint des finisseurs de tour du monde en courant. Seuls six athlètes ont réussi cette performance jusqu’à présent.
Pour revivre le tour du monde de Marie Léautey :
- Marie Leautey fait le tour du monde en courant 650 marathons
- Marie Leautey alias Lootie Run traverse les États-Unis de Seattle à New York
- Après l’Europe et les États-Unis, Marie Léautey s’élance dans la traversée de l’Amérique du Sud en courant
Si vous souhaitez suivre Marie Leautey sur sa route, elle publie tous les jours les données de son étape (photos, commentaires, données GPS…) sur son blog : lootie-run.com. Vous pouvez également la suivre sur les réseaux sociaux. Un lien est également disponible sur son site pour faire un don sécurisé pour l’association WFWI.