Boris Ghirardi : trop de « handis » ne savent pas qu’ils peuvent pratiquer une activité physique

Boris Ghirardi
Grâce à sa nouvelle lame, Boris Ghirardi peut courir sur tous les terrains - Photo : Loïc Bailliard

Terminer un trail ou un ultra pour un athlète valide est parfois compliqué, alors imaginez pour un athlète amputé! Mais ce n’est pas impossible, comme s’évertue à l’affirmer Boris Ghirardi, qui a lui-même subi une amputation à la jambe gauche la suite d’un grave accident de moto en 2019. À 47 ans, le Toulousain aurait pu tout perdre, mais le sport est resté au cœur de sa vie et il a continué de courir en montagne. Deux ans plus tard, il se bat par delà les sentiers pour faire changer les mentalités et permettre aux personnes en situation de handicap de pratiquer une activité physique. Portrait!

Étant jeune, Boris Ghirardi est venu à la course à pied par ce qu’on pourrait appeler la « voie classique ». À 12 ans, il se souvient avoir terminé deuxième ou troisième du cross scolaire. Un entraîneur lui a alors fait faire un test durant lequel il devait courir pendant 20 min. « Je n’avais aucun repère de temps et je suis partie pleine balle, rit aujourd’hui l’intéressé. J’ai maintenu l’allure et il s’avère que j’ai fait le record du collège. »

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« Je ne connaissais même pas le cross », avoue-t-il. À la suite de ce test, l’entraîneur l’a inscrit dans un club d’athlétisme. Mais Boris Ghirardi n’était pas un compétiteur dans l’âme. « Si je fais de la compétition, il faut qu’il y ait une raison, souligne-t-il. J’ai commencé à faire des compétitions pour faire plaisir à mon entraîneur parce que lui était tout content en voyant mes chronos. »

Boris Ghirardi a fait de l’athlétisme jusqu’à ses 17 ans, mais ce qu’il aimait surtout, c’était les arts martiaux. Dans sa jeunesse, il a fait de l’aïkido, avant de se mettre au karaté puis au ju-jitsu (traditionnel). « J’ai beaucoup travaillé sur la connaissance de soi, la maîtrise de soi et sur les valeurs que les arts martiaux portent », détaille-t-il. 

Et comme il aime toucher à tout, il s’est aussi mis un peu plus tard au CrossFit. « Avec le CrossFit, j’ai découvert ce que c’était d’aller au-delà de mes limites, ce qu’est le pur dépassement de soi, raconte-t-il. Parce que dans la course à pied, j’avais l’impression d’avoir atteint une certaine limite. »

Le sport comme soin physique et mental

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Boris Ghirardi participera à la MCC lors du prochain UTMB – Photo : Loïc Bailliard

Mais le 9 août 2019, la vie de Boris Ghirardi a basculé en quelques secondes. S’il est sorti vivant de ce grave accident de moto, les médecins n’ont pas eu d’autres choix que de lui amputer la jambe gauche juste en dessous du genou. Depuis, il a « physiquement un pied dans la tombe » comme il dit.

« J’ai été amputé tout de suite après mon accident quand j’étais encore conscient donc je n’ai pas eu la surprise de me réveiller sans ma jambe », se souvient-il. Lui qui, d’habitude, se désintéresse de la compétition et de la performance s’est lancé alors dans un long combat. L’enjeu allait au-delà du sport et était tel que Boris Ghirardi s’est mis dans un état d’esprit de compétiteur. 

Il était papa d’une fillette de trois ans et l’idée de ne pas pouvoir être présent pour elle et de ne pas pouvoir jouer avec elle ou de ne pas pouvoir lui courir après était inconcevable. D’autant que pour la petite Romy, son papa n’a rien perdu. « Ça a été hyper naturel. Elle m’a dit “papa tu as perdu un pied, je vais t’en choisir un autre et je vais dessiner dessus” », raconte Boris en se rappelant toute l’innocence de cette phrase d’enfant. Par la suite, après qu’il ait obtenu sa première prothèse, sa fille lui donnera le nom de « pied de robot », devenu son surnom sur Instagram.

« S’il y a bien une fois où j’ai fait une performance, c’est pour ma rééducation », raconte-t-il fièrement, même si « j’ai été un peu trop rapide et que je me suis blessé. Ça m’a fait reculer de trois semaines dans ma rééducation. Mais je l’ai vraiment pris en me disant que je n’aurais pas de deuxième chance ce coup-ci. »

Pour cette rééducation et son équilibre mental, il s’est notamment reposé sur ses connaissances acquises grâce aux arts martiaux et au CrossFit. Il a recommencé à courir au bout de seulement trois mois. « On me l’avait interdit et, en plus, j’avais une prothèse provisoire qui n’était pas du tout adaptée pour le sport », confie-t-il à Distances+. Malgré l’interdiction des médecins, l’essentiel était ailleurs puisque Boris avait retrouvé des sensations qui lui étaient familières.

« Ça a été comme une madeleine de Proust et ça m’a apporté beaucoup, poursuit-il. J’avais couru à l’adolescence et je retrouvais ces sensations de liberté, de vent sur le visage. »

Mais ce qui a été une source de motivation pour lui, c’est d’être capable de se rendre par lui-même jusqu’aux  points de vue lors de ses sorties. « Chez moi, il y a des coteaux et, pour le coup, ce n’est pas quelqu’un qui me montre une photo, c’est moi qui vais le voir par moi-même », argumente-t-il.

La rééducation a tout de même été un long chemin de croix et, fin décembre 2019, Boris Ghirardi a dû se faire opérer une nouvelle fois, car son péroné avait repoussé. L’opération a eu lieu à la fin du mois de février et début mars. Il devait aller de nouveau dans un centre de rééducation, mais le confinement a fait qu’il est finalement rentré chez lui. 

Petit à petit, il a retrouvé de la mobilité et a repris une activité physique. « Je suis allé marcher et j’ai augmenté progressivement mes distances. J’ai fini par marcher 5 km sans me faire mal et j’ai voulu commencer à intégrer de la course. J’ai commencé en faisant 100 m par kilomètre, c’est très long », s’amuse-t-il aujourd’hui. Il a continué ainsi jusqu’à réussir à courir 10 km à 10 km/h.

Rendre le sport accessible aux « handis »

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Boris Ghirardi ne souhaite pas se limiter dans sa pratique du sport – Photo : Loïc Bailliard

Aujourd’hui, le Toulousain court avec une relative facilité. Il a notamment terminé le 18 km (400 m D+) de l’Écotrail de Paris il y a quelques semaines en 2 h et 15 min. Il participera ce week-end à l’emblématique course en montagne Sierre-Zinal (31 km, 2200 m D+) puis à la MCC (40 km, 2300 m D+) lors de l’UTMB fin août et, si la récupération se passe bien, au 16 km (950 m D+) de la Maxi-Race d’Annecy fin octobre. 

Cependant, courir pour un athlète amputé d’un membre inférieur a certaines particularités. « Ce qui est très difficile physiquement, c’est la montée, parce que ça me coûte entre 25 et 30 % de plus d’énergie que des valides », explique Boris Ghirardi. En revanche, en descente, grâce à sa lame en carbone, il peut être projeté très vite vers l’avant et emmagasiner beaucoup de vitesse. Son poids suffit à plier la lame qui ensuite lui renvoie de l’énergie, comme le font des chaussures équipées d’une plaque de carbone, mais de manière encore plus importante. Il faut tout de même apprendre à gérer cet aspect pour ne pas se laisser emporter dans des descentes techniques.

Il doit aussi adapter sa foulée, car l’athlète ne court pas de la même façon sur la jambe valide que sur la jambe équipée de la prothèse. Le renforcement musculaire n’est pas non plus le même. Il faut s’assurer qu’il n’y a pas de déficit, ou du moins pas un déficit important, entre les deux jambes. « Purement physiquement, on a besoin de cet équilibre-là parce qu’il y a des compensations qui vont se faire naturellement et le sport permet de rééquilibrer. Sinon on aura tendance à se reposer sur les parties valides », avertit-il. Pour Boris cette vigilance concerne les muscles de la cuisse étant donné qu’il a été amputé sous le genou.

Si Boris Ghirardi a la chance de pouvoir faire du sport, ce n’est pas le cas de tout le monde. Outre la potentielle impossibilité sur le plan médical, le prix des prothèses n’encourage pas les personnes amputées d’un membre inférieur à se mettre au sport. Il faut savoir qu’une prothèse pour la vie de tous les jours n’est en effet pas conçue et donc pas adaptée à la pratique sportive et, inversement, une lame prévue pour le sport n’est pas adaptée à la vie quotidienne.

« Ma lame coûte 10 000 €, mais j’ai eu la chance d’être accompagné par des sponsors qui ont pris en charge une partie de cette lame, explique l’athlète. J’ai été obligé de me rendre compte que tout le monde ne pouvait pas faire du sport parmi les amputés parce que c’était très, très cher et les lames pour le sport ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale. » 

Il regrette énormément qu’elle ne soit pas plus accessible, car, selon lui, le sport participe grandement à l’équilibre mental et physique durant la rééducation et la reconstruction.

Le prix des lames pour le sport doit être plus abordable

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Boris Ghirardi a présenté sa lame lors d’une conférence à l’occasion du Paris Running Festival – Photo : Yohan Malliard

Étonnamment, « ce qui m’a permis d’être complètement à l’aise, c’est le surf, prend-il comme exemple. Mais ce n’était pas le fait de surfer, c’était d’être sur la plage et de me changer sur la plage et donc de me mettre à nu sans ma prothèse. »

Dans l’idée de faire changer les choses, il est devenu ambassadeur du projet Hopper. Ce dernier a pour but de réduire drastiquement le coût de la lame faite pour le sport. « L’objectif est de faire descendre le prix autour de 1000 ou 1500 € pour rendre l’utilisation des lames beaucoup plus accessible », avance Boris Ghirardi.

Cette lame sera confectionnée tout en carbone grâce à un partenariat avec Airbus qui fournira des restes de carbone que l’entreprise n’utilisera pas. Mais celle de Boris est encore plus particulière, car adaptée à la pratique du trail. En effet, le dessous de sa lame a été équipé d’une semelle fabriquée par Salomon. Cette dernière s’apparente quelque peu à une semelle extérieure que l’on peut retrouver sur les différentes chaussures de trail de la marque.

Association Level Up

Au-delà de rendre les lames, et donc le sport, plus accessible à tous, Boris Ghirardi souhaite surtout éveiller les consciences. D’après lui, trop de « handis » ne savent pas qu’ils peuvent pratiquer une activité physique et trop de valides pensent que les « handis » ne peuvent pas le faire.

« J’ai été contacté par un gars qui m’avait demandé des renseignements sur un pied multisport (un type de prothèse permettant notamment de faire du football, du basket-ball ou du handball, NDLR) et, en parlant, il me dit qu’il aimerait bien se mettre à courir, se remémore l’athlète. Ça faisait 15 ans que ce gars-là était amputé et personne ne lui a dit qu’il pouvait courir, alors qu’en plus il était sportif et il faisait beaucoup de vélo. Ça ne devrait pas exister! »

Lui confie qu’il apprécie que ses amis ne se posent plus la question de savoir s’il est capable de les accompagner sur une longue sortie ou sur des portions techniques. « C’est exactement ça qu’il faut réussir à obtenir, les valides aussi bien que les handis ne doivent plus se poser cette question », affirme-t-il. 

Mais il faut aussi faire de la sensibilisation auprès des valides, à commencer par les médecins et les kinés. En effet, ces derniers lui avaient dit qu’il ne pourrait pas faire de trail, pensant que ce n’était tout simplement pas possible pour un athlète amputé comme Boris. Selon lui, la prise de conscience des valides de cette possibilité pour les « handis » est un facteur déterminant pour les « handis » eux-mêmes. 

« Pour que quelqu’un se sente intégré quelque part, il faut que toutes les personnes soient en adéquation avec celui qui a une différence, sinon, ça ne va pas marcher. Si dans le regard de l’autre, cette différence n’existe pas, il n’y a plus de différence, on devient juste un athlète ou une personne comme une autre », philosophe Boris Ghirardi.

Dans ce but, il a créé son association Level Up. Cette dernière intervient directement dans les centres de rééducation afin que ceux qui sont déjà passés par là partagent leur expérience pendant la rééducation et la reconstruction des personnes en situation de handicap. La seconde partie de son action consiste à faire prendre conscience et à atteindre le plus haut-potentiel de vie de chacun.

« Si, pour une personne âgée, son plus haut potentiel de vie c’est juste de pouvoir accompagner son petit-fils ou sa petite-fille à l’école et qu’on arrive à atteindre ce stade, pour moi c’est gagné, illustre le Toulousain. Si quelqu’un veut faire de la performance et de la compétition, on va l’accompagner dans cette direction. »

Projet Hopper 3000

Pour donner un peu plus de visibilité à la pratique du sport pour les handis, Boris Ghirardi a mis en place un projet nommé « Hopper 3000 ». Cette aventure, qui se déroulera à la mi-septembre, consiste à former quatre binômes, composés à chaque fois d’une personne en situation de handicap et d’une personne valide. Ils devront monter jusqu’à un sommet culminant à 3000 m d’altitude autour du refuge du Fond d’Aussois dans les Alpes, celui-ci n’a pas été déterminé pour le moment.