Luca Papi, le papa poule ultra-traileur en quête d’équilibre

Luca Papi
Luca Papi emmène souvent son fils sur ses footings grâce à son charriot - Photo : Yohan Malliard

À la veille de s’envoler pour les Canaries fin avril, Luca Papi avait donné rendez-vous à Distances+ pour partager quelques foulées lors d’une interview-footing. L’occasion était belle d’échanger longuement avec ce coureur ultra sympathique qui aime tant « papoter ». Il a notamment été question de conciliation entraînement-famille, bien délicate quand on a deux jeunes enfants pour un adepte de très longues sorties, et des courses XXL. Il a été difficile de passer à côté de la crise sanitaire, qui est venue complètement chambouler le quotidien d’un athlète qui court et se déplace sans cesse depuis des années. 

Avant de s’élancer sur l’un des terrains d’entraînement du traileur franco-italien, Vivien, 3 ans, le fils de Luca, s’invite à la sortie. Il est dans une poussette à trois roues que Luca pousse en courant.

Sous un soleil rayonnant, Luca Papi nous emmène sur une partie du GR1 en Seine-et-Marne. Il connaît très bien ces chemins qu’il avait parcourus dans sa totalité (540 km) à la sortie du premier confinement l’année dernière. En avril dernier, il a de nouveau couru deux jours sur ce chemin de grande randonnée qui fait le tour de l’Ile-de-France. Une bonne sortie de 252,5 km en 47 h, une formalité (!) pour cet habitué des défis au long cours.


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S’adapter pour pouvoir s’entraîner

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Malgré les tentatives de Luca Papi de le maintenir éveillé, Vivien a fini par s’endormir – Photo : Yohan Malliard

La progression est assez lente lors de ce footing. Difficile d’avancer de façon linéaire, puisque Vivien veut parfois s’arrêter pour ramasser un bâton, tantôt il veut que son père roule dans l’herbe ou qu’il lève la roue avant pour éviter les secousses!

« Avant, je pouvais m’entraîner, parce que je le mettais dans la poussette et il restait dedans, raconte Luca. C’est plus difficile maintenant. Là, ce n’est plus un entraînement, c’est juste une balade! », dit-il en souriant tendrement.

C’est aussi ça son quotidien depuis qu’il est devenu père. Il est obligé de s’entraîner différemment. « Je pars avec la poussette jusqu’à 14 h (nous sommes partis à 9 h) me promener en faisant 2 ou 3 heures de jeux pour lui et ça me fait une bonne sortie. Tu mets une aire de jeu tous les quatre ou cinq kilomètres pour qu’il s’amuse et c’est bon », explique le Créçois. D’ailleurs, nous arrivons sur l’une d’entre elles et nous arrêtons une dizaine de minutes pour permettre à Vivien de dépenser un peu de son énergie.

Le coureur indique qu’il est aussi plus difficile pour lui de s’entraîner depuis qu’il est au chômage partiel. Opérateur au parc Disneyland, Luca Papi s’entraînait en allant et en revenant du travail, ce qui lui assurait une trentaine de kilomètres de course tous les jours. 

Mais, ce n’est pas impossible, assure-t-il. C’est juste une question d’organisation. La preuve, Luca a récemment repris les gardes de pompier volontaire. Il a souhaité reprendre du service après avoir déjà occupé ce rôle entre 2003 et 2013. « Ça me manquait trop », confie-t-il en s’arrêtant pour marcher.

Le terrain n’est pas des plus adéquat pour courir avec le chariot. Il est difficile de conserver sa stabilité quand les chemins sont marqués par les cailloux, les passages des tracteurs et les ornières creusées par la météo. Et Vivien qui s’agite tout le temps!

Les îles Canaries, une destination coup de cœur

Luca Papi
Cette année, Luca Papi a terminé troisième de la Trans 360° ex-æquo avec Eugenio Rosello – Photo : Trangrancanaria

C’est en partie pour pouvoir mieux s’entraîner qu’il est parti avec sa famille aux Canaries jusqu’au 7 juin. « Ça permet d’être en vacances et de s’entraîner. Quand tu es ici (à Crécy-la-Chapelle) et que tu pars deux ou trois heures, ˝madame˝ fait la grimace, alors que quand tu es aux Canaries, ce n’est pas grave » plaisante l’ultra-traileur.

La destination n’a pas été choisie au hasard. « Les deux dernières années, tu veux aller où? L’Europe, c’est fermé et les trois quarts des pays ont d’énormes restrictions. Pour aller aux Canaries, il faut un test PCR, c’est tout », détaille Luca Papi.

De plus, sur cet archipel espagnol au large de l’Afrique, les compétitions ont lieu depuis le début de l’année, comme la Transgrancanaria à laquelle Luca Papi a participé, prenant la 3e place ex aequo sur la Trans 360° (240 km, 12 500 m D+). Il prévoit aussi participer au Tenerife Bluetrail (105 km, 6100 m D+), sur l’île de Tenerife, le 6 juin.

Luca est comme chez lui aux Canaries. C’est la troisième fois en moins d’un an qu’il s’y rend (il y était déjà en novembre avant d’y retourner en février puis en mai). Il est notamment très fidèle à la Transgrancanaria où il est présent chaque année. Il a remporté trois des cinq éditions de la Trans 360°.


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Alors que nous quittons pour un instant les sentiers du GR1, Luca explique comment les courses se déroulent malgré la pandémie aux Canaries et détaillent les deux protocoles généralement mis en place.

« À l’entrée du sas de départ, on prend ta température. Dans le sas de départ, on est tous espacés de deux mètres, il y a des cônes de placé et tu dois garder ton masque jusqu’à ce que tu sois à ta place. Quand tu y es, tu peux le retirer parce que tu es à deux mètres de tout le monde, raconte-t-il. Il y a un commissaire Covid qui est au départ de la course et qui te donne le top départ en passant devant les coureurs un à un toutes les quatre ou cinq secondes. Au niveau du chrono, le chronométreur déclenche ton temps à la sortie de la zone de départ. Donc jusqu’à la sortie, ta seule préoccupation c’est de garder tes distances. »

Les zones de ravitaillement ont aussi été agrandies pour limiter les regroupements et l’assistance n’est pas autorisée. Le deuxième protocole consiste à faire des vagues de départ de 10 athlètes toutes les 10 secondes.

En France, « chaque organisateur sort un protocole »

Il regrette qu’en France, les organisateurs n’aient pas pris le temps de se réunir pour établir un protocole universel et le faire approuver par le gouvernement, comme ce fut le cas aux Canaries. « Ce protocole a permis d’organiser la Transgrancanaria alors que l’île était au niveau trois sur une échelle sur quatre, quatre étant le plus restrictif. En France, chaque organisateur sort un protocole », estime-t-il.

À noter que le collectif événementiel sportif outdoor (CESO), qui rassemble plusieurs acteurs de différents sports en France, a toutefois récemment proposé aux autorités une reprise en trois phases s’étalant du 15 mai au 15 juillet. L’idée est de mettre en place des jauges pour les coureurs et le public au mètre carré, très restreinte au début et de les élargir au fur et à mesure.


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Faible probabilité de transmission sur les courses

Luca Papi, qui autrefois participait à une course presque chaque week-end, trouve aberrant que les compétitions ne reprennent pas en France. Selon lui, la probabilité de transmettre le virus est très faible lors de ces événements en plein air. Il assure d’ailleurs n’avoir entendu parler d’aucun cas lors des courses auxquelles il a participé. 

Une impression que semble confirmer la science. L’université de Queen Mary à Londres a récemment publié une étude qui a conclu que « le pourcentage de coureurs infectés par la Covid-19 au cours d’une épreuve de 263 coureurs n’était que de 0,015 % ».

Un duo avec Claire Bannwarth

De retour sur le sentier, Luca Papi confie son inquiétude pour la survie de certains événements. « Je pense que l’UTMB et le Tor des Géants ont intérêt à se faire. Si eux, ils ne le font pas, je pense qu’ils n’organiseront plus » lâche-t-il amer. D’un point de vue personnel, le coureur espère que le Tor sera bel et bien organisé, car il est inscrit sur le Tor des Glaciers (450 km, 32 000 m D+), épreuve dont il est le tenant du titre.

Le calendrier de sa saison 2021 est d’ailleurs bien chargé. Après le Tenerife Bluetrail début juin, il sera au départ du Défi du Viaduc les 19 et 20 juin où il compte enchaîner le 110 km et le 20 km. Il devrait ensuite participer au PT281+ Ultramarathon (280 km, 6300 m D+) le 21 juillet, à l’Aguas de Teror Trail (33 km, 1900 m D+) de nouveau aux Canaries le 31 juillet, à la Swiss Peaks (366 km, 26 610 m D+) le 29 août, puis au Tor des Glaciers le 10 septembre et trois autres courses en septembre, encore aux Canaries.

Dans cette planification, il intégrera également un off en août en compagnie de Claire Bannwarth lors duquel ils vont enchaîner les cinq parcours des cinq éditions de la Trans 360°. Une épreuve que Claire a remportée chez les femmes cette année.


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Les courses, un prétexte pour des vacances en famille

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Luca Papi – Photo : Vincent Champagne

Malgré ce programme chargé, Luca Papi n’oublie jamais son rôle de père. Pour divertir son fils, nous passons successivement devant des chevaux, des moutons et des vaches, pour le plus grand plaisir du petit garçon. Outre le fait d’emmener Vivien dans son chariot lors de ses sorties, il part la plupart du temps en famille sur ses compétitions. Sa petite dernière, Iris, âgée de 3 mois vit en ce moment son premier déplacement aux Canaries.

« Les emmener avec moi, ça me fait plaisir, ça me permet de les voir, dit Luca Papi. Je m’assure aussi de ne pas les laisser là tout seul et m’arrange toujours pour qu’il y ait une ou deux personnes en plus qui nous accompagnent. » 

La durée des voyages va bien au-delà de la course pour pouvoir en profiter en famille. « Je vais faire le Tenerife Bluetrail, mais en fait on part un mois et demi, illustre-t-il par exemple. En septembre, on repart trois semaines aux Canaries pour faire trois courses, mais ces trois courses ne vont me prendre que quatre jours sur ces trois semaines. Le reste du temps, on va passer de bonnes vacances ensemble. »

Mais avoir des enfants augmente les possibilités d’aléas. Luca Papi avait par exemple bien failli ne pas partir aux Canaries au moins de novembre, car Vivien s’était sectionné partiellement l’index la veille du départ. « On a su à 19 h, après l’opération, qu’on avait le droit de partir » en rigole-t-il aujourd’hui.

L’expérience ne semble pas avoir traumatisé le jeune garçon qui s’énerve simplement de temps à autre quand des brins d’herbe s’accrochent à son pansement.

Bon pour l’éducation

Luca sait que le temps est compté et qu’il ne pourra pas indéfiniment emmener sa famille aussi souvent dans l’année lorsque ses enfants seront rentrés à l’école. Vivien doit faire son entrée à la maternelle au mois de septembre. Son père compte d’ailleurs ralentir le rythme à partir de l’école élémentaire, car il estime que la maternelle est surtout faite pour apprendre aux enfants à vivre avec les autres.

« Ça lui fait du bien de venir avec moi, affirme-t-il. Par exemple, aux Canaries il a rencontré d’autres gens et à la fin du séjour il parlait déjà quelques mots d’espagnol » dit le papa poule, alors que Vivien commence à fatiguer.

« Au primaire et au collège, j’essaierai aussi de caler ça sur les vacances scolaires », précise Luca Papi. Conscient de cette limite qui sera imposée par la scolarité, le pompier volontaire promet qu’il va en profiter à fond.


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« Si je ne m’entraîne pas et que je ne teste pas le matériel, ça ne sert à rien d’y aller »

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Luca Papi – Photo : Waa Team Equipement

Alors que nous entamons une dernière petite boucle, Vivien se fait plus calme et commence à s’endormir malgré les tentatives de son père de le garder éveillé. Cette accalmie permet néanmoins d’accélérer un peu le rythme et surtout de le conserver. Cela ne sera pas suffisant, Luca Papi compte retourner s’entraîner le soir même. D’autant qu’il doit encore tester du matériel parmi lequel sa lampe frontale en courant de nuit.

« Aller faire des courses comme le Tor et la Swiss Peaks, si je ne m’entraîne pas et que je ne teste pas le matériel ça ne sert à rien d’y aller », lâche-t-il dans une portion descendante. C’est aussi dans cette optique qu’il avait parcouru durant deux jours les sentiers du GR1 quelques jours plus tôt. « J’ai testé ma frontale et ma montre, je sais par exemple que ma frontale dure X temps et que, pour le Tor, il faut que je prenne trois batteries entre le départ et la première base vie » indique le coureur expérimenté.

D’après lui, une trop grande partie de coureur ne prend pas le temps de tester le matériel ou de choisir un matériel adéquat au besoin de l’épreuve. « Lorsque je suis parti sur le GR1, j’avais une montre qui n’affichait pas de cartographie, seulement la trace et elle me signalait lorsque je quittais le chemin, décrit Luca Papi en attaquant l’ultime descente vers son domicile. On m’a dit pourquoi tu ne prends pas une montre avec cartographie? Tout simplement parce que je n’en avais pas besoin, la cartographie c’est ce qui consomme le plus de batterie et moi j’avais besoin d’une bonne autonomie. Au moins, je sais qu’avec cette montre je peux faire entre 66 et 70 heures alors qu’avec la cartographie je pourrai peut-être faire 30 ou 35 heures. »

Que ce soit dans la vraie vie ou sur ses réseaux sociaux, l’ultra-traileur n’est jamais avare de conseils pour ce qui concerne le matériel. Il refuse simplement de conseiller des coureurs pour les chaussures, car choisir une paire de chaussures est « trop personnel ».

Le footing se termine sur ces paroles alors que Vivien ouvre timidement ses yeux. Bilan de la sortie : 11,7 km pour 1 h 35 min de temps de course auquel il faut ajouter presque 25 min d’arrêt. À peine ce constat dressé, Vivien, qui a repris du poil de la bête grâce à sa petite sieste, rappelle Luca Papi à sa vigilance de père de famille. Le petit garçon court dans les escaliers pour remonter chez lui.