Hélène Michaux : « mon objectif est juste de ne plus avoir mal »

Hélène Michaux
La Française Hélène Michaux vit depuis 10 ans au Québec - Photo : Alister Gardner
bannière

La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. Depuis le début de l’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.

En raison d’un mal de dos persistant, mais aussi à cause de la pandémie, Hélène Michaux a fait une saison blanche en 2020. La Française, qui célèbre son dixième anniversaire de vie au Québec, souffre de deux hernies discales cervicales qui lui pourrissent l’existence, au point d’avoir dû arrêter, elle l’espère temporairement, de travailler et de courir.

Avant ces ennuis de santé, Hélène Michaux faisait partie des meilleures traileuses au Québec. Elle a notamment remporté le 50 km et le 80 km du trail de la Chute du Diable (2013 et 2014), deux fois le 80 km du Bromont Ultra (2016 et 2017) ou encore le 30 km du Trail de la Clinique du Coureur (2018).

Elle s’est également illustrée à l’international avec des victoires sur 50 miles (80 km) aux TNF Endurance Challenge de New York et de Washington aux États-Unis et, malgré ses douleurs handicapantes au dos, une belle deuxième place en France sur le 40 km du Trail du Petit Saint Bernard devant l’Italienne Francesca Canepa et une 6e place sur La Mascareignes (66 km, 3550 m D+) au Grand Raid de La Réunion 2019.

La championne de Bromont, qui partage sa vie avec un autre athlète élite québécois, Alister Gardner, ne savait pas, au moment d’écrire ces lignes, si elle pourra reprendre un jour la course à haut niveau.

Dans cette entrevue, Hélène Michaux se livre généreusement, à coeur ouvert, mais « sans vouloir faire pleurer dans les chaumières » sur les difficultés auxquelles elle fait face. Elle a raconté son histoire, poignante, à Distances+.

Hélène Michaux
Hélène Michaux – Photo : courtoisie

Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?

Hélène Michaux : Il faut que je prenne beaucoup de recul parce qu’il s’est passé énormément de choses pour moi… à cause de la pandémie, mais aussi à cause de mes problèmes de santé.

D’abord, je n’ai pas si mal vécu le côté « pandémie » dans ma vie de tous les jours, car en tant que vétérinaire pour les gros animaux, j’ai toujours travaillé. Je m’estimais d’ailleurs chanceuse lors des confinements stricts parce que mon travail m’apporte une vie sociale. Je soigne des vaches, donc je parle aux éleveurs. Ça n’a pas changé.

Mon mental a commencé à moins aimer cela fin mars quand par exemple les montagnes et les sentiers dans ma région (la Montérégie, NDLR) ont été fermés sous peine d’amende si on y était retrouvés. Là, ça ne fonctionnait plus pour moi et… pour mes chiens. Je passe beaucoup de temps dans les trails en courant et je fais d’une pierre deux coups en les emmenant avec moi. En fait, pour la petite histoire, c’est pour sortir mes chiens que j’ai commencé à courir en trail. Ce genre de choses devient assez compliqué sur la route parce que mes partenaires de course sont habitués au bois. 

Là, j’ai paniqué un peu. Ça parait peut-être extrême de paniquer pour cela, mais mon équilibre s’écroulait. J’ai finalement changé ma routine et je suis allée courir très tôt le matin, même la fin de semaine, en cachette, dans des sentiers profonds. Ce n’était pas très responsable puisque le but de fermer l’accès aux activités plein air était d’éviter les accidents et donc l’engorgement des hôpitaux, mais c’était ça où j’allais engorger l’hôpital autrement, avec un réel problème mental. Donc j’ai contourné la situation à ma façon, qui n’est sans doute pas la meilleure. J’avoue que c’est depuis ce temps-là que mon Strava n’est plus public.

Et puis tous mes projets sont tombés à l’eau!

Nous avions prévu, Alister et moi, de partir un mois en France pour voir nos familles respectives et aussi passer 15 jours avec nos meilleurs amis québécois dans les Alpes pendant l’UTMB. J’étais inscrite à l’OCC (55 km, 3480 m D+, NDLR) où j’avais une revanche à prendre sur 2019, car je ne l’ai pas fini à cause de ma blessure au dos. Et puis comme l’évènement est commandité par l’équipe Columbia, dont je fais partie, je devais participer à une grande soirée organisée pour les athlètes et les responsables de la marque venant du monde entier. C’est super et j’y fais toujours de belles rencontres. 

J’avais aussi, au début du mois d’août 2020, une course de canicross en étapes, le Trophée des Montagnes, dans les Alpes, avec Nash, l’un de mes chiens, un golden retriever athlétique, mais qui n’a pas de fond en endurance. J’avais commencé à me préparer tout l’hiver pour cette course.

Hélène Michaux
Hélène Michaux a commencé le trail pour courir avec ses chiens – Photo : courtoisie

Il a donc fallu faire une croix sur tout cela.

Oui, mais honnêtement, je me suis rapidement dit que ce n’était que partie remise pour 2021. 

Et je savais aussi, depuis longtemps, que je n’ai pas besoin d’événements pour me pousser à aller courir dans le bois. D’abord parce que j’aime cela, tout simplement, et aussi parce que j’ai mes deux partenaires à quatre pattes, Nash, qui a 4 ans, et Darling alias Lingling, qui a 12 ans, qui me regardent avec insistance quand j’ai l’air de ne pas me préparer à aller courir quand c’est le moment. On tripe beaucoup ensemble. Parfois, je les vois même s’éclater comme des fous dans des sections particulières de trail parce qu’ils aiment l’endroit, et aussi parce que les chevreuils passent par là. Ils m’ouvrent les sentiers en hiver quand je ne les vois plus. Quand les conditions sont difficiles, elles le sont pour eux aussi, mais je les regarde et ils ne lâchent rien. Un chien, ça vit l’instant présent, et parfois, même souvent, c’est ce dont on a besoin, nous les humains, pour nous rappeler de vivre le moment présent. Tout cela pour dire que je m’amuse assez avec mes chiens dans le bois pour ne pas avoir besoin de courses au calendrier pour me motiver.


À lire aussi : Élise Delannoy : « les femmes ont des capacités exceptionnelles sur les longues distances »


Ce qui me rend triste dans la situation actuelle, c’est de ne pas avoir accès physiquement à ma famille. Nous n’avons pas de date de fin de toute cette histoire et cela commence à devenir très long. Étant résidente au Canada et citoyenne française, j’ai le droit de circuler, mais ce n’est pas sécuritaire pour le monde en général et je ne me vois pas sauter dans les bras de mes grands-parents en descendant de l’avion. Je m’en voudrais toute ma vie si, après mon passage, un membre de ma famille tombait gravement malade. Alors j’ai fait le choix de ne pas retourner en France pour l’instant. Mais ma famille me manque.

Ça c’est la partie Covid de 2020, mais il y a une autre partie qui n’a pas été le fun pour moi…

Ton mal de dos récurrent!

Je traîne ce mal de dos qui n’est pas vraiment expliqué au niveau des muscles trapèzes depuis mai 2018. Ce mal m’a fait arrêter des courses. Dans les meilleurs moments, lorsque la douleur était tolérable et que mon mental était peut-être plus fort, j’en ai quand même finies, comme le Trail du Petit Saint Bernard en France et la Mascareignes à la Réunion, avec des temps plus que satisfaisants pour moi. Mais ce n’était jamais sans douleur.

L’année dernière, en 2020, ça allait relativement bien, même si la douleur était toujours un peu présente. Au lieu d’aller avec mes amis dans les Alpes comme prévu, nous sommes finalement partis en Gaspésie à la fin de l’été, et nous avons tripé dans les montagnes. On a fait une grosse semaine avec du volume et du dénivelé, ça a bien été! Début octobre, j’étais inscrite au BU 80 km (Bromont Ultra, NDLR), mais il a été annulé, donc j’ai décidé de le faire en solo. Ce sont mes muscles trapèzes qui m’ont finalement arrêtée après 50 km, mais sans me laisser de séquelles. Puis début novembre, en travaillant, je me suis fait mal au cou à plusieurs reprises. Et mon mal de dos « habituel » s’ajoutait à la douleur. Travailler, courir, rester assise, conduire, dormir, tout est devenu douloureux et invivable sur le long terme. J’en suis arrivée à devoir prendre la décision d’arrêter de travailler. 

Des examens ont montré deux hernies discales cervicales. Là, il m’a fallu faire le deuil, j’espère temporaire, de deux choses importantes dans ma vie : mon travail de vétérinaire et la course. Au moins la course en ultra.

Les avis des thérapeutes et médecins sont variables quant à mon avenir dans ces deux domaines. Donc j’ai pris un gros coup au moral. Et cela a fait naître en moi de grosses remises en question…

Hélène Michaux
Hélène Michaux et ses chiens – Photo : courtoisie

Qu’est-ce que la pandémie a eu comme impact sur ta carrière de coureuse de haut niveau? Et quelle est désormais, avec ta blessure, ta vision d’avenir sur ta vie sportive?

La pandémie a eu moins de conséquences que ma blessure sur ma vie de sportive. Si j’essaie de mettre de côté ma blessure et si je regarde, de mars à octobre 2020, je pense que la pandémie a juste mis une pause mentale sur ma carrière. Dans le sens où il n’y a pas eu vraiment à préparer de courses officielles, sauf le BU 80 que j’ai choisi de faire fin septembre parce que je revenais en forme de la Gaspésie. J’avoue que je fais normalement des entraînements d’intervalles lors de ma saison de courses, mais cette année, j’ai lâché prise là-dessus.

J’ai fait une course virtuelle seulement avec le 28 km de l’Ultra-Trail Harricana qui a quand même bien été. Je l’ai partagé avec mon ami et très bon coureur Alexis Lussier. Je me suis poussée sur cette courte distance et ça a été satisfaisant.

Comme le monde des courses a de toute façon été mis sur pause, je dois admettre qu’avec ma blessure, j’ai sûrement ressenti moins de frustration de ne pas pouvoir m’entraîner à fond et courir ces courses que si l’année avait été « normale ». Même si, quand je vois Ali (Alister Gardner, NDLR) qui parfois est déçu d’avoir juste fait 100 km dans sa semaine et non 120 km comme espéré, je ris un peu jaune, même si je ne lui en veux en aucun cas.

Ma vision sur du court terme de ma vie sportive est une vision multisports dans la mesure du possible. Je sais que mon cerveau me ramène toujours à la course s’il sent que mon corps peut courir sans trop de douleurs. Mais je dois être raisonnable et essayer de pousser mon corps autrement et donc favoriser un entraînement croisé. La course ne semble pas être responsable de mon problème d’après les médecins. Je cours juste sur un corps déséquilibré depuis trop longtemps.


À lire aussi : La « chance exceptionnelle » de l’ultra-traileuse Suzanne Lefrançois Couturier


helene michaux
Alister Gardner et Hélène Michaux, lors d’une reconnaissance dans le cirque de Mafate avec les Guerriers du Grand Raid – Photo : Nicolas Fréret

À quoi, alors, devrait ressembler ta saison 2021?

Malheureusement, vue ma rééducation en cours et l’incertitude du résultat, c’est difficile de faire des plans. Je me laisse espérer pouvoir faire les deux objectifs de 2020 en 2021, à savoir le Trophée des montagnes avec Nash et l’OCC, mais mon objectif principal est juste de ne plus avoir mal ni dans la vie ni dans le sport. Je suis dans le mode « un jour à la fois ». 

Ce qui est certain, c’est que je ne peux plus me mettre aucune pression de performance, car pour être franche, je me vois juste actuellement régresser de semaine en semaine dans la course, ce qui n’est pas agréable. J’essaie de me recentrer sur le temps que je peux quand même passer à jouer dehors. Mais il faut que je ris en regardant les temps sur ma montre. Sinon ma vie de coureuse de haut niveau pourrait s’arrêter là.

Hélène Michaux
Hélène Michaux donne à boire à l’un de ses partenaires de course – Photo : courtoisie

Qu’est-ce que tu retiendras de cette période insolite?

Je retiens deux mots très importants : « PLAN B », que j’ai décliné pour tout :

  • « PLAN B » pour les entraînements. Je ne suis pas la seule athlète qui se retrouve face à une blessure, mais mon problème reste que mon avenir dans la course en tant qu’athlète d’ultra est plus qu’incertain. Sur le coup, ça brise un cœur de coureuse ce genre de nouvelle. Il a fallu que je redirige mon cerveau vers une autre source d’endorphines que la course. Honnêtement, c’est difficile, et je n’ai pas trouvé d’équivalent. Mais mes nouveaux meilleurs amis sont mon trainer de vélo et mon entraîneur Monsieur Zwift (application de simulation pour cycliste, NDLR). La bonne chose avec cette application, c’est qu’il y a des plans d’entraînement avec des intervalles et que je peux aussi rouler avec mon frère, son avatar en fait, alors qu’il est en France. Ça fait un prétexte pour se retrouver et se parler en même temps à distance. Ça me permet aussi de partager autre chose que la course avec mes amis au Québec qui sont des cyclistes en plus d’être coureurs. 
  • « PLAN B » pour le renforcement musculaire. Je disais toujours que ma musculation, je la faisais à mon travail tous les jours en réalisant tous les gestes forçant que mon travail impose. Sauf qu’au final, cette musculation-là n’est pas contrôlée et la résonnance magnétique que j’ai passée montrait aussi de grosses dissymétries musculaires, et un corps complètement en torsion. Une salle de sport est maintenant apparue dans mon sous-sol (un autre PLAN B face aux gyms fermés). 
  • « PLAN B » pour la course. Je cours encore, mais disons que je trottine plus. Je ne cours plus avec mes partenaires humains habituels, déjà très rapides à la base. C’était devenu pour moi désagréable de les suivre. J’en suis triste, parce que c’est cool quand même de courir avec ses amis humains, et ça me manque. Mais voilà, c’est la chose à faire pour que courir reste agréable et que mon cerveau n’associe pas toujours la course à une douleur. Il y a eu un moment où juste mettre mes vêtements de course faisait naître mon mal de dos.
  • « PLAN B » pour pouvoir aller courir avec les chiens. Il m’a fallu trouver d’autres endroits que les montagnes habituelles. J’ai découvert des spots intéressants autour de chez moi dans les champs et dans les vergers, que je n’avais encore jamais exploités. Ils sont encore aujourd’hui mon terrain de jeu.
  • « PLAN B » pour des vacances. Comme je l’ai déjà écrit, avec mes amis coureurs, nageurs, cyclistes, marcheurs, joueurs d’échec, yogistes, bitcoiners, pêcheurs, pagayeurs, chanteurs – oui mes amis ont plein de talents -, nous nous sommes rabattus vers la Gaspésie, une grande mode au Québec cette année. Nous sommes partis en fin d’été, donc un peu seuls au monde. Au final, nous avons coupé avec la pandémie, on a créé notre petite famille dans notre chalet pendant 10 jours et ça a fait le plus grand bien à nos cerveaux. Et nos sorties de course ont été très cool. Au moins, cela nous a permis de changer de terrain et de paysage.
  • « PLAN B » pour la rencontre avec la team Columbia. Finalement, nous avons eu des rencontres sur Zoom afin de partager notre année entre athlètes. J’ai eu la chance aussi de participer à la conception des nouveaux modèles pour 2022. L’équipe Columbia nous a donné cette chance de nous inclure beaucoup dans le processus et l’expérience a été très enrichissante. Nous n’aurions pas pu faire cela à Chamonix je pense, dans une ambiance plus festive que de travail. 

À lire aussi : David Jeker : « le plus important est de continuer à rêver »


  • « PLAN B », et pas des moindres, pour mon travail. J’aime mon travail et le discours de certains médecins n’a malheureusement pas été très encourageant quant à mon avenir professionnel. Ça fait super mal de se prendre ce genre de constatation en pleine figure. Après rééducation, je vais retourner soigner des vaches progressivement mais je voudrais travailler moins, sans doute 80 % du temps, pour mettre en place un autre plan B : commencer des études en ostéopathie humaine! Je suis déjà ostéopathe vétérinaire pour les animaux et cela me passionne. Si jamais un jour mon corps ne m’autorise plus à continuer d’être vétérinaire, j’aurai ce plan B. J’espère cependant rester vétérinaire le plus longtemps possible.
Hélène Michaux
Hélène Michaux entretient une relation fusionnelle avec ses chiens – Photo : courtoisie

Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?

Notre vie tourne autour d’une passion. On se laisse pas mal emporter par cette passion, donc petit à petit, nous devenons très spécialistes de notre activité. Notre vie voit un de ses principaux ancrages dans cette passion, c’est normal, mais quand les événements ou la vie font que cette passion devient impossible à vivre comme avant apparaît une grande frustration. On peut se sentir vide. Je pense que nous devrions, en tant que sportifs, essayer d’élargir notre ouverture d’esprit et ne pas hésiter à avoir plusieurs passions et centres d’intérêts. C’est bizarre de le dire comme cela, mais ces passions devraient mettre en jeu différentes parties de notre corps, des jambes à l’intellect. 

Ainsi, quand il arrive une pandémie, par exemple, il nous reste des activités sur lesquelles rebondir, qu’elles soient sportives, artistiques ou peu importe…

Mon corps m’a définitivement lâchée fin 2020, et sans lui, je ne peux plus vivre deux de mes passions comme avant : mon travail et le trail. Quand cela occupe 70 % de ta journée, c’est un gros vide. 

Courir dans le bois, c’est génial et c’est ressourçant pour tout le monde. Mais il faut apprendre à se ressourcer différemment ailleurs. Soit seul, soit entre amis, pour ne pas tomber de haut quand notre passion n’est plus accessible du jour au lendemain. 

Et par-dessus tout, ne pas oublier les humains qui nous entourent. On passe notre temps à s’isoler dans le bois et, un jour, lors d’une pandémie, on se voit couper du contact humain partout. Ça fait réfléchir. J’aime toujours galoper seule dans le bois, ça ne changera pas. Mais cette année a été vraiment moins difficile qu’elle aurait pu l’être pour moi car j’ai la chance d’avoir des amis exceptionnels qui sont ma famille ici au Québec. Ça n’a pas de prix et je suis sûre que ça fera encore face à tous les mutants du virus initial.