Elle a tout récemment remporté le classement féminin du Trail du Ventoux (46 km, 2350 m D+), première étape du circuit français des Golden Trail Series, il est monté sur la 3e marche du podium du classement général. Les athlètes Katie Schide et Germain Grangier, partenaires dans la vie comme à l’entraînement, ont l’habitude de tout faire ensemble. Entrevue croisée!
Le couple franco-américain se distingue dans le monde du trail. À quelques jours de leur prochain grand objectif, le Lavaredo Ultra-Trail (120 km, 4800 m D+), dans les Dolomites italiennes, et à quelques heures du début de leur événement de course en duo One & 1 dans le sud de la France, les deux traileurs reviennent pour Distances+ sur leur carrière et leur façon d’allier vie de couple et pratique du trail.
Ayant un français encore un peu hésitant, Katie a répondu à nos questions avec l’appui de Germain, qui a assuré la traduction.
Une arrivée tardive à la course à pied
Lorsqu’ils étaient plus jeunes, aucun des deux ne pratiquaient la course à pied. Lui était plutôt branché ski lorsqu’il vivait en Isère, puis vélo lorsque ses parents ont déménagé du côté de Nice. Elle faisait du hockey sur gazon jusqu’à ses années universitaires dans l’Utah.
Cependant, Germain Grangier a dû faire une croix sur le cyclisme au début des années 2010 à cause d’une endofibrose (une lésion de l’artère iliaque). « Mentalement, ce n’était pas évident puisqu’il fallait que je fasse une chirurgie assez lourde, se souvient-il. J’ai préféré ne pas la faire parce que je n’avais que la vingtaine. Je me suis dit que c’était l’occasion de finir mon diplôme d’ingénieur en géologie. »
C’est à ce moment-là qu’il s’est mis à la course à pied avec quelques amis de son école qui couraient aussi. « Ça m’allait bien parce que je faisais 30 minutes et j’étais complètement claqué, j’avais mal partout, s’amuse Germain en y repensant. J’avais l’endurance du vélo, mais pas le châssis du coureur. »
L’Isérois commençait à courir en montagne, au début pour aller d’un site d’escalade à un autre, puis pour se mettre au trail. « Ça m’intriguait vraiment. Je me disais “mais comment ils font pour courir des distances comme ça” alors que moi je fais 12 km et je reviens avec trois tendinites » lance-t-il avec humour.
Katie Schide a quant à elle délaissé son sport de prédilection pour des raisons pratico-pratiques. « C’est assez lourd en termes de logistique. Tu as besoin de 22 personnes pour jouer, un terrain spécifique, du matériel spécifique, tout ça au même moment de la journée. À l’inverse, le running est une forme de liberté », argumente-t-elle.
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À partir de 2011, année de son entrée à l’université, elle s’est mise à travailler l’été dans des refuges de la forêt nationale de White Mountain (chaîne de montagnes à cheval entre Québec, et les États du Maine — d’où elle est originaire — et le New Hampshire). « J’ai commencé le trail, mais c’était beaucoup plus du saut entre les rochers que de la course, se remémore Katie. Je crapahutais parce que le terrain est technique là-bas. »
De retour en Utah, la jeune Américaine a commencé à faire des traversées du parc national de Zion, « sans trop savoir ce qu’elle faisait », précise-t-elle. Mais c’est un défi en « off » qui lui a donné la piqûre. « Dans les White Mountains, où je travaillais, il y a huit refuges d’affilée qui étaient la propriété d’une même association (Appalachian Mountain Club) et la traversée faisait à peu près 72 km, raconte-t-elle. Le challenge, c’était de partir d’un refuge et de passer par les sept autres. Chaque jeune qui travaillait là-bas essayait de le faire. J’ai fait ma première traversée en 24 h et je l’ai refaite plusieurs fois depuis. La dernière fois, il y a deux ou trois ans, j’ai dû mettre à peu près la moitié de mon premier temps. »
Allier vie de couple et performance
Les deux néophytes ne se connaissaient pas à l’époque, mais ils avaient deux points communs : des études en géologie et leur éclosion comme athlète élite la même année, en 2015. Cette année-là, sur trois courses, Katie en a remporté deux et terminé 7e de la célèbre Speedgoat (50 km, 3700 m D+). Germain, lui, après plusieurs excellents résultats a signé une troisième place de prestige sur l’OCC (52 km, 3330 m D+) à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc.
L’année d’après, Katie Schide s’est installée en Suisse, à Zurich, pour commencer une thèse sur les conséquences des tremblements de terre sur les glissements de terrain au Népal, qu’elle est sur le point de terminer). En Europe, elle a retrouvé une amie avec qui elle avait travaillé dans les Rocheuses et qui l’a emmenée sur quelques courses dont la Skyrhune, au Pays basque, au mois d’août, où un certain Germain Grangier participait au 20 km. Le jeune athlète français connaissait lui aussi cette amie, qui fêtait son anniversaire le jour même et à l’occasion duquel il a rencontré Katie.
Depuis lors, une structure s’est formée autour des deux athlètes, les réseaux sociaux laissant parfois penser que leur duo est une équipe à lui tout seul. « Petit à petit, on s’est dit : pourquoi ne pas construire notre image autour des mêmes partenaires? » se souvient Germain Grangier. « Ça faisait sens pour nous. Il y a cette impression de team parce qu’on est assez uniforme avec nos partenaires et dans notre communication », selon lui.
Ski de randonnée l’hiver, off, courses, les deux amoureux partagent tout, y compris les victoires, les podiums et les déceptions. « C’est assez rassurant de se dire qu’il y a deux fois plus de chance de faire quelque chose, comme un podium ou une victoire », plaisante Germain.
Mais l’équilibre est précaire lorsque les deux membres d’un couple évoluent au plus haut niveau. « Si l’un de nous abandonne ou fait une mauvaise course, il y a toujours l’autre qui peut faire un résultat, poursuit le traileur. Après au jour le jour, ce n’est pas si facile, il faut gérer. Par exemple, sur des ultras, c’est assez compliqué de partir sur la même ligne de départ, et même les jours d’avant, chacun à sa façon de gérer [l’imminence de la course]. Même si on fait les choses ensemble, Katie a sa façon d’aborder les courses et moi j’en ai une autre. Parfois, ce n’est pas si évident d’être dans une relation et d’être des compétiteurs chacun de notre côté. »
Le Français a plutôt tendance à aborder les courses avec distance et relâchement alors que l’Américaine doit composer avec le stress. « C’est important d’être chacun dans sa bulle tout en restant ensemble », précise-t-elle.
Mais il y a aussi beaucoup d’avantages à mener une vie d’athlètes de haut niveau à deux. « C’est la partie plus positive parce qu’on partage plein d’entraînements ensemble, on échange sur notre façon de voir la course et de la préparer, s’enthousiasme Germain Grangier. En général, chacun prépare son plan de course de son côté et après on en discute. C’est pas mal, ça nous permet de ne pas passer à côté de points que l’on aurait pu oublier. »
« Généralement, on fait les mêmes courses donc ça nous permet aussi de partager nos préparations, même si, à l’entraînement, on va travailler différemment parce qu’on a des points faibles et des points forts différents, complète Katie Schide. Être deux pour préparer une course, c’est pas mal. »
La Pierra Menta été, une expérience mémorable
Leur meilleur souvenir en trail est justement une expérience vécue à deux lors de la Pierra Menta été (76 km, 7300 m D+) 2018, leur première course en duo. « Peut-être que l’aspect compétitif est un petit peu plus mis de côté, mais c’est assez sympa parce qu’il y a pas mal d’entraide quand on court à deux, confie Germain Grangier à Distances+. Et puis on se connaît très bien. »
« C’était important pour moi parce que c’était la première fois que quelqu’un me faisait confiance pour aller au-delà de mes limites, explique pour sa part Katie. Comme Germain allait plus vite, il y a certaines limites qui ont sauté. »
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Pourtant, Germain se souvient qu’au début Katie lui disait de ne pas courir avec elle, pour pouvoir aller plus vite. D’ailleurs, « aux arrivées de ces courses, il y avait des hommes qui me disaient “t’es pas un peu frustré de ne pas courir devant”, raconte-t-il. Franchement, ce n’est pas quelque chose qui m’était venu à l’esprit. À partir du moment où je le fais avec Katie, je ne suis pas dans la frustration, et à cette vitesse, je ne fais pas non plus de la randonnée! »
En racontant ce souvenir à Distances+, Germain s’est fait la réflexion qu’il aimerait bien refaire ce genre de course. Katie n’a pas mis longtemps à approuver.
Varier les sports et les plaisirs
En dehors des compétitions, le couple aime aussi partager des aventures, sans objectif absolu de performance. L’année dernière, ils avaient rallié Chamonix après s’être élancés de Cervinat et cet hiver ils ont réalisé une traversée du Mercantour à ski.
La pandémie a d’ailleurs renforcé leur conviction. « La coupure de courses nous a fait vraiment prendre conscience du pourquoi on faisait ça, dit Katie Schide. Même s’il n’y avait pas de course, on a voulait quand même s’entraîner. »
« Même si ce ne sont pas des compétitions, on peut apprendre beaucoup », estime Germain Grangier. Il y a pas mal de moments similaires où l’on doit gérer plein de choses. Ce qui m’attire vraiment dans ces projets-là, c’est la différence avec la course où il y a des règlements, une assistance, on est toujours suivis. Dans nos projets, on se débrouille tout seul. Je préférerais honnêtement faire un UTMB sans assistance, ça ne serait pas mal. »
Les deux athlètes aiment également varier les sports, avec notamment une pratique intensive du ski de randonnée l’hiver. « Le ski de rando c’est assez agréable parce qu’au final c’est beaucoup moins traumatisant, juge Germain Grangier. On peut faire plein d’heures, ça passe tout seul et la descente est beaucoup plus fun. »
Dans les Dolomites pour préparer le Lavaredo Ultra-Trail, les deux amoureux ont d’ailleurs découvert un terrain de jeu qu’ils aimeraient visiter en hiver. « Ça a l’air vraiment super pour le ski », assure Germain.
Objectif UTMB
Cette saison, les deux traileurs ont tous les deux comme principal objectif de performer sur l’UTMB au mois d’août. Ils espèrent faire mieux qu’en 2019, où Katie Schide avait terminé 6e femme et Germain 9e, grâce à une expérience plus importante.
Ils comptent notamment s’équiper de bâtons, ce qu’ils n’avaient pas fait la dernière fois. « On se disait que les bâtons, c’étaient pour le ski », ironise Katie. « C’était une belle erreur de ne pas les avoir, analyse avec du recul Germain. L’ultra c’est une course de radin, c’est celui qui arrive le plus à s’économiser et qui est le meilleur radin qui gagne. »
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Pour se préparer, le couple ne s’est pas particulièrement focalisé sur les courses de longues distances en début de saison, comme en témoigne leur participation au Porte di Pietra en Italie, et au Trail du Ventoux cette année, ou encore à l’Ubaye Trail en 2020 (40 km, 2420 m D+).
« On aime bien balayer toutes les distances, du 10 km l’hiver au 100 miles lors de la saison estivale, remarque Germain Grangier. Je trouve que le court apporte au long et que le long apporte au court, donc c’est bien de mixer un peu de tout. »
Les deux amoureux ont également fait quelques séances sur piste et sur route pour travailler la technique de course. « On a un manque de technique, on est plus des montagnards crapahuteurs que des purs runners » estime Germain. « À la base, on vient tous les deux de la montagne et c’est la montagne qui nous a menés à la course à pied, et pas l’inverse », ajoute Katie.
Une casquette d’organisateur
Très impliqués dans la communauté trail, le couple participe à l’organisation du One & 1 run to Camp, dont l’édition 2021 a lieu ce week-end (19 et 20 juin). Avec un ami de Germain, ils ont créé cet événement à la suite d’une expérience personnelle. « On faisait notre deuxième course en duo dans le Colorado, la Transrookie Run. C’était sept jours d’aventure plus que de course. On faisait entre 25 et 50 km par jour et tous les soirs on bivouaquait. On est revenus de cette expérience là en se disant que c’était vraiment cool. »
Avec Sylvain Risso, le co-organisateur du One & 1 Run to Camp, ils ont monté un événement qui mélange, course à pied, partie technique avec des baudriers et bivouac le soir, à Tourrettes-sur-Loup, au cœur des Alpes-Maritimes.
Cette expérience en tant qu’organisateur a eu une incidence sur le comportement de Germain Grangier coureur. « D’un point de vue extérieur, c’est extrêmement lourd comme travail par rapport aux bénéfices qui sont perçus. Tu te rends compte que c’est vraiment un truc de passionné, détaille-t-il. Quand on contacte des organisateurs et qu’on a des réponses, on comprend largement mieux ces dernières ou certaines actions. Ça nous a clairement ouvert les yeux sur pas mal de choses. »
« On est beaucoup plus conscients qu’il y a des gens qui travaillent sur ces événements et qui donnent beaucoup de leur temps sans avoir quasiment aucune rétribution » complète Katie Schide. Néanmoins, la traileuse américaine avait déjà plus ou moins ce regard. « Aux États-Unis, les gens considèrent l’organisation d’une course comme un vrai travail, indique-t-elle. Il n’y a pas de dossard à moins de 100 $ et quand tu t’inscris, la dernière chose que tu regardes, c’est le prix. Tu te plains moins aussi de détails comme l’emplacement des ravitaillements. »
Cette mentalité, différente en France, attriste quelque peu Germain Grangier. « Ce gars-là (l’organisateur), en plus de son job normal, il a passé presque 10 heures par semaine à bosser sur son événement. Des fois, je préférerais payer 20 euros de plus pour qu’il puisse vivre un peu de son événement plutôt que de me plaindre après sur les réseaux sociaux », avance-t-il.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que le couple assure essayer de participer d’une manière ou d’une autre à l’organisation lorsqu’ils s’inscrivent à des courses locales.