Richard Turgeon : « la course en sentier est un prétexte en or pour voyager et explorer tous les recoins du Québec »

L’adresse de Richard Turgeon ne pourrait pas être plus éloquente. L’ultra-traileur presque soixantenaire réside à l’angle de la rue du Plein-Air et de l’impasse de la Course, à l’orée du parc de la Gatineau. Situé au bord de la rivière des Outaouais, qui marque la frontière entre les provinces du Québec et de l’Ontario, cet immense territoire forestier – 361 km² – a attiré le physiothérapeute et son épouse dès l’université. Leurs trois enfants y ont grandi, l’hiver sur des skis de fond et l’été dans des chaussures de course ou de randonnée. C’est en partie là, au cœur de son terrain d’entraînement privilégié, que ce passionné de longue distance a pu mesurer l’engouement grandissant pour la course en sentier dans la région. « Il y a encore une dizaine d’années, j’y croisais peu de pratiquants, se souvient-il. Aujourd’hui, le nombre de personnes qui court sur ces chemins a complètement explosé. » 

Avant de migrer à Gatineau, Richard Turgeon a passé son enfance au Nord de Montréal, dans la région de Lanaudière, qui englobe un morceau de la chaîne des Laurentides et le massif du Mont-Tremblant. Les pratiques du scoutisme et du camping développent son goût pour la nature, l’envie d’être dehors, longtemps, comme lors de ses nombreuses itinérances à travers la région de Charlevoix. « Un classique à faire à ski, quand tout est blanc, que la neige s’empile sur le toit des maisons d’où l’on ne voit sortir que la fumée du poêle à bois », décrit-il.  Ses parents ne sont pas particulièrement sportifs. Son père court un peu, pour perdre du poids, et Richard prend l’habitude de s’entraîner avec lui. Très jeune, courir devient « la colonne vertébrale » de son activité physique, à tel point qu’il s’inscrit dès l’âge de 18 ans à son premier marathon. D’autres suivent, puis des « Ironman » ainsi que des aventures en cyclotourisme, au Canada, mais aussi en Asie et en Europe.  

À l’été 2011, alors qu’il rend visite à sa sœur résidant en Suisse, le physiothérapeute en profite pour se balader dans les Alpes. À Chamonix, il est saisi par l’effervescence autour d’une épreuve dont il n’a jamais entendu parler, une course de 176 km et près de 10 000 m de dénivelé positif, faisant le tour du mont Blanc : l’UTMB. « Cela m’a fasciné et j’ai immédiatement compris qu’un jour j’y participerai moi aussi, se remémore-t-il. Je venais de découvrir une discipline qui regroupe des éléments qui me sont essentiels : le plein air, la montagne, l’endurance, la connexion avec la nature et la course à pied. » Il ignore que le « trail running » est déjà en train de se répandre tout autour de la planète et que la même année, chez lui, au Québec, l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC) est sur le point de voir le jour.

« Au Québec, la communauté autour de ce sport a tout de suite été très attachante »

Deux ans plus tard, avec son ami Frédéric, Richard Turgeon s’inscrit à la deuxième édition de l’UTHC – course pionnière au Québec -, au départ du 65 km. L’ultra-traileur en devenir retrouve alors les sentiers de Charlevoix qu’il a si souvent arpentés à ski, et toutes les racines et les cailloux d’ordinaire dissimulés par la neige, et qui rendent, à pied, la progression compliquée. « Au-delà du marathon, c’était l’inconnu, raconte-t-il. Le défi était immense. » À mesure que les heures s’accumulent, engendrant leur lot de doutes et de douleurs, le coureur s’accroche aux paysages, au fleuve Saint-Laurent qui n’est jamais très loin, aux gorges de la rivière Malbaie dont les parois rocheuses et verdoyantes l’enveloppent de toute leur hauteur. À l’ambiance aussi. « Il y avait entre les gens une entente vraiment chaleureuse, témoigne-t-il. J’ai l’impression qu’au Québec, la communauté autour de ce sport a tout de suite été très attachante. »

Comme de nombreux pratiquants locaux, le physiothérapeute reconnaît que la course en sentier constitue une merveilleuse incitation au voyage, un prétexte en or pour explorer tous les recoins de la province. Sa trajectoire de coureur épouse d’ailleurs celle des épreuves qui, tout au long des années 2010, ont essaimé dans la plupart des régions. En 2015, Richard Turgeon participe ainsi à l’Ultra-Trail du Mont-Albert, en plein cœur de la Gaspésie, l’ancêtre de l’Ultra-Trail des Chic-Chocs, du nom du massif montagneux dominant la péninsule. À son actif, il compte également des dossards sur deux autres rendez-vous incontournables du calendrier : le Québec Méga Trail (QMT) et le Bromont Ultra, lancés respectivement à l’été 2012 et à l’automne 2011. « Les Cantons-de-l’Est, voilà encore une autre destination, d’autres paysages, énumère-t-il. Traditionnellement, le Bromont Ultra a lieu en octobre, lorsque toutes les feuilles des arbres virent au rouge, c’est toujours spectaculaire. »

« Je me suis souvent fait la réflexion qu’à un moment ou à un autre, l’enthousiasme pour la discipline allait plafonner, poursuit-il. Pourtant, force est de constater que les gens se mobilisent presque un an à l’avance, dès l’ouverture des inscriptions, et que de nouvelles courses continuent de voir le jour. » En août 2023, l’ultra-traileur s’est ainsi présenté au départ de la première édition de l’Ultra-Trail du Fjord du Saguenay, dont le parcours sillonne cette ancienne vallée glaciaire débouchant sur l’estuaire du fleuve Saint-Laurent. Avec son fils de 26 ans, le benjamin de la famille – qui se prénomme d’ailleurs Benjamin – le traileur vétéran s’est lancé sur l’épreuve de 100 km, rendu boueux par les pluies torrentielles tombées quelques jours auparavant. Ensemble, ils ont franchi la ligne d’arrivée au pied du mont Edouard, station de ski réputée qui, comme de nombreux sites au Québec, profite de l’apparition d’un nouveau genre de pratiquants, en short et en chaussures de course. « Partager tout ça avec ses enfants, c’est extraordinaire », assure-t-il. 

L’an passé, en 2024, neuf ans après sa participation à l’Ultra-Trail du Mont-Albert, Richard Turgeon faisait aussi partie des cinquante premiers hommes et femmes qui ont inauguré un « 100 miles » linéaire et inédit – en l’occurrence 172 kilomètres et 9300 mètres de dénivelé positif – à travers le territoire sauvage des Chic-Chocs, en partie sur la trace du sentier international des Appalaches, le fameux GRA1. « Organiser une course de cette ampleur dans un territoire si reculé, c’est unique, explique-t-il. Et puis c’est tellement technique et exigeant. Le Québec pourrait même se vanter d’accueillir là-bas l’une des épreuves d’ultra-trail les plus dures au monde. » De nouveau aux côtés de Benjamin, le Gatinois s’est élancé malgré la fatigue héritée de sa Hardrock 100, disputée un mois plus tôt dans le Colorado, aux États-Unis. Contraint à l’abandon environ à mi-parcours — ce qui ne lui était jamais arrivé au cours de sa carrière d’athlète —, il est retourné récupérer son véhicule pour assister son fils au mieux, lors des derniers kilomètres, aux alentours du mont Albert. Après 45 heures et 36 minutes d’effort, Benjamin Turgeon a été l’un des vingt « finishers » de la plus longue distance de l’Ultra-Trail des Chic-Chocs. Un passage de témoin en quelque sorte, entre père et fils, qui prouve que la course en sentiers au Québec a encore de beaux jours devant elle.

D’ailleurs, un autre ultra-trail verra le jour en août prochain, l’Ultra-Trail Sayam, également en Gaspésie, avec notamment un 100 km annoncé « roulant » au programme, mais cette fois dans la vallée de la Matapédia, au départ de Val-Brillant (Bas-Sainr-Laurent). Une nouvelle destination à venir assurément découvrir en courant.

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