

SOMMAIRE
Parcourir les 650 km du GR-A1 : le témoignage de l’ultra-traileuse québécoise Charlotte Levasseur Paquin

En entamant son périple à travers la Gaspésie, au matin du 18 juin 2021, Charlotte Levasseur-Paquin se souvient encore des sentiments « d’euphorie » et de « liberté » qui l’ont envahie. Enfin seule sur les bords de la rivière Ristigouche, frontière naturelle entre le Nouveau-Brunswick et le Québec, la physiothérapeute de 31 ans avait soudainement senti un poids la quitter, celui de l’impatience des jours d’affûtage et du stress qui culmine à l’approche de telles aventures. Des mois qu’elle attendait de se retrouver là, au départ du sentier international des Appalaches, le fameux GRA1, une trace longue de 650 kilomètres qui s’étire de la vallée de la Matapédia jusqu’au phare du Cap Gaspé. Native de Chandler, cité côtière au sud de la péninsule, la coureuse rêvait d’autant plus de ce voyage qu’il allait lui permettre de sillonner en intégralité son territoire d’origine. Une sorte de retour aux sources version XXL.
Les prémices du projet remontent sans doute à quelques années auparavant, lorsque la jeune femme, alors monitrice pour des camps d’été, s’était montrée intriguée par les panneaux de balisage de l’itinéraire, dressés dans la forêt, au cœur des monts Chic-Chocs. Vient ensuite, en août 2021, la performance de l’ultratraileur Mathieu Blanchard. En pleine pandémie de Covid-19 responsable de l’annulation de la plupart des compétitions, le Franco-Canadien s’était lancé dans une tentative de record du parcours, un « Fastest Known Time » (FKT) encore libre de toutes marques tant sa réalisation d’une seule traite, à ces allures, semblait à l’époque une folie. Accompagné d’une équipe d’assistance – dont l’athlète québécoise Marianne Hogan -, le récent vainqueur de la Diagonale des Fous (2024) et du Yukon Arctic Ultra (2025) était parvenu au bout de sa traversée en 7 jours, 12 heures et 4 minutes.
« Pour moi, cela a constitué un déclic, raconte Charlotte Levasseur-Paquin. J’avais la preuve qu’on pouvait entreprendre ce sentier en mode « fast packing », c’est-à-dire le moins chargée possible. Jusque-là, je ne m’y étais pas sentie autorisée, surtout en tant que femme, dans une société qui nous conditionne encore trop à nous croire moins capables que les hommes. » À la différence du coureur du Team Salomon, c’est même en solitaire que la physiothérapeute s’est projetée sur ce trajet réputé inhospitalier en raison de la technicité du terrain et de la densité de la végétation, de l’humidité ambiante ou encore de l’isolement de certaines portions, véritablement coupées du monde. « J’aime me retrouver en autonomie, confirme-t-elle. Passer des heures dans ma tête, faire des feux le soir, ne pas savoir si des animaux vont surgir ni ce que la météo me réserve mais être parée pour affronter mentalement tous types d’éventualités. »
Une fois prise la décision de tenter l’aventure, un compte-à-rebours s’est déclenché. Une préparation aux nombreuses ramifications. La jeune femme a étudié rigoureusement l’ensemble des cartes topographiques de la région, les données kilométriques ainsi que le dénivelé. Son entraînement a également évolué. Installée à Montréal, Charlotte Levasseur-Paquin a multiplié les sorties au Mont-Royal et les randonnées aux alentours de la ville, en fin de semaine. Son volume hebdomadaire a augmenté. Elle s’est mise à la musculation. Autre enjeu majeur : la logistique. Au cours des mois précédant son expédition, la coureuse a dû choisir son matériel avec soin, être sûre d‘emporter l’essentiel tout en s’allégeant au maximum pour avancer plus vite, compter le moindre gramme, arbitrer entre une tente ou un abri de fortune. « Pour dormir, j’ai opté pour une bâche que je faisais tenir avec mes deux bâtons », illustre-t-elle.
Prévoir ses ravitaillements avec précision représente par ailleurs une épreuve à part entière. Là encore, un arbitrage rigoureux s’avère nécessaire. Dans l’optique d’un « fast packing », il faut calculer ses dépenses caloriques quotidiennes de façon à disposer de quoi les compenser en permanence. Sans pour autant s’alourdir pour l’ensemble du voyage. « Je m’étais confectionnée ma propre nourriture déshydratée, explique la physiothérapeute. Je l’avais ensuite divisée en différents paquets que je récupérais au fil de ma traversée. » Sur le GRA1, celles et ceux qui le souhaitent ont la possibilité de s’envoyer à l’avance des colis alimentaires tout au long du parcours, dans des bureaux de poste ou des boîtes de dépôts prévues à cet effet. Le site officiel du sentier international des Appalaches – Québec recense ainsi, par secteur, les services de livraison disponibles.
Au sein de la réserve faunique de Matane, tout semble plus rude

Au moment de s’élancer depuis le village de Matapédia, Charlotte Levasseur-Paquin n’était pas vierge de défis ni d’efforts d’endurance. Loin de là. Adolescente plutôt tournée vers les sports collectifs, la Québécoise a progressivement découvert au fil de sa vingtaine la course sur route et en sentiers, goûté aux dossards sur diverses distances comme aux itinérances en randonnée, avec sur le dos un sac d’une dizaine de kilos. Grande amatrice des longues journées dehors, à deux roues notamment, elle a dans le même temps développé une appétence particulière pour le cyclotourisme. « À vélo, j’ai fait le tour de l’Islande, parcouru l’Irlande, Terre-Neuve ou encore la Nouvelle Ecosse, énumère-t-elle. Une fois, je suis même parti de Montréal pour rejoindre la Gaspésie en quatre jours pour environ 1000 kilomètres. »
Sur le GRA1, la Gaspésienne a donc d’abord pénétré dans la vallée de la Matapédia, avec ses paysages boisés et vallonnés, parsemés de ruisseaux et de quelques villages, derniers signes de civilisation avant de basculer dans la réserve faunique de Matane. Au sein de ce royaume de l’orignal, tout semble plus rude : la solitude, l’absence quasi permanente de réseau cellulaire, les sentiers piégeux jonchés de racines, les Chic-Chocs et leur enchaînement de montées et de descentes abruptes. C’est là, au sommet en forme de dôme du mont Jacques-Cartier, le point culminant du massif, que Mathieu Blanchard avait essuyé une tempête nourrie d’une pluie glaciale, l’obligeant à se réfugier dans un baraquement en bois dont les planches laissaient passer le son strident des rafales de vent. Plus tard, en retrouvant son équipe d’assistance une fois redescendu dans la vallée, l’ultratraileur avait bien failli abandonner, secoué par la sévérité des éléments.

Sans altérer le décor montagneux, l’entrée dans le Parc national de la Gaspésie offre ensuite une section moins sauvage, plus fréquentée par les randonneurs et dotée de chemin mieux entretenus. Certains coureurs ayant déjà entrepris l’intégralité de l’itinéraire décrivent cette portion d’une centaine de kilomètres comme un répit salvateur, une zone de réconfort où l’on puise l’énergie nécessaire pour achever le périple, malgré la fatigue accumulée et les meurtrissures du corps. Plus loin, la mer apparaît enfin, au nord de la péninsule. La trace propose alors une alternance de sentiers côtiers et forestiers, jusqu’au Parc national Forillon et son phare rouge et blanc, symbolisant à la fois l’issue du GRA1 et le bout de ce monde qui se jette dans le golfe du Saint-Laurent. Charlotte Levasseur-Paquin se remémore encore ses ultimes foulées, marquées par l’apparition d’une baleine. « À quelques minutes de l’arrivée, j’ai d’abord entendu son souffle, raconte-t-elle. Et puis je l’ai vue, plonger et remonter à la surface, me suivant presque, c’était vraiment cool. »
L’idée de renoncer ne lui a jamais traversé l’esprit. Seule l’inquiétude de ses proches l’a à un moment perturbé, bien plus que sa peau irritée par les frottements de son sac à dos ou son tendon d’Achille douloureux. Dans les Chic-Chocs, la jeune femme n’avait plus suffisamment de réseau pour que ses messages quotidiens parviennent à son conjoint. Au pied du mont Nicol-Albert, en parvenant dans un refuge, elle avait trouvé un mot laissé par la Sûreté du Québec lui demandant de le contacter au plus vite pour lui assurer que tout allait bien. « Sur le coup, je me suis sentie vraiment mal, témoigne la physiothérapeute. Cela m’a fait beaucoup réfléchir sur l’espèce d’égoïsme qui nous pousse vers ces aventures individuelles, à prendre le risque d’inquiéter notre entourage même si, au final, je me suis surtout trouvée chanceuse d’avoir des gens qui m’aiment et qui s’occupent de moi. Ce genre de voyage provoque l’introspection. »
Le 1er juillet 2021, la coureuse a achevé son GRA1 après 13 jours et 4 heures de « fast packing », établissant un nouveau FKT dans la catégorie « self supported », c’est-à-dire sans assistance extérieure mais avec la possibilité de se ravitailler par elle-même auprès des rares commerces croisés sur son chemin. Mais Charlotte Levasseur-Paquin n’en avait sans doute pas fini avec ce sentier. Dès l’été suivant, en août 2022, la jeune femme a repris la route dans l’autre sens, du phare du Cap Gaspé jusqu’à Matapédia, parvenant cette fois-ci à boucler son périple en 10 jours, 9 heures et 33 minutes. Depuis, elle ne cesse de s’imaginer parcourant ces itinéraires gigantesques, seule, au Québec ou ailleurs. En 2025, la physiothérapeute devrait s’attaquer au GR10, une trace traversant au complet les Pyrénées françaises, entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée.

🔹 Pour plus d’informations touristiques et pratiques, consultez les sites web de Bonjour Québec et de Rando Québec
12 lieux à contempler le long du GR-A1 selon Charlotte Levasseur-Paquin
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« La chute Hélène, entre le mont Nicol-Albert et le ruisseau Bascon. Il faut sortir légèrement du sentier international des Appalaches (SIA), mais c’est un mini détour qui en vaut la peine. »
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« La chute à Pico, dans la vallée de la Matapédia, est un petit coin tout doux au bord d’une cascade, parfait pour une pause collation. C’est accessible par le SIA, mais aussi par une portion de sentier accessible depuis la route. »
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« Le refuge Le Corbeau, un lieu perché, près de Saint-André-de-Restigouche. Le paysage sur la montagne est fou et ce petit refuge est tout confo. »
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« L’abri du Lac Matane est une incroyable halte pour la nuit, au bord d’un grand lac de montagne dans lequel on peut se baigner pour se réveiller le matin. »
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« Mes monts préférés le long du GR-A1 sont les monts Collins, Matawee et Fortin. Il y a de belles crêtes qui donnent un peu le vertige avec vue sur les Chic-Chocs et la mer en même temps. Ils sont bien cachés, juste à côté du mont Logan, à plusieurs kilomètres des accès touristiques. On y croise de nombreux orignaux et on profite de prairies alpines et de grosses montées abruptes. Entrer dans la Réserve faunique de Matane par le mont Fortin nous donne un avant-goût de ce qui nous attend pour les prochains 80 km, et quand on en sort pour aller vers le Parc national de la Gaspésie, on sait qu’on en a bavé beaucoup. »
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« Le Parc national de la Gaspésie est magnifique. J’aime beaucoup les monts moins connus comme le mont du Blizzard ou le pic de l’Aube. »
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« Mais les classiques monts Xalibu, Comte et Jacques-Cartier, méritent amplement leur réputation, sur une formation géologique des Chic-Chocs nommée McGerrigle. »
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« Tous les petits abris du SIA dans le nord de la Gaspésie sont formidables : le refuge Le Zéfir dans un champ de fleurs sauvages, le refuge Le Caburon pour la vue et le confort, l’abri du ruisseau Flétan parce qu’on entend la mer. »
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« La forêt de thuyas anciens (et très gros) près de Gros Morne qui fait 1 km de grosses branches sombres tortueuses. »
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« Le village de Grande Vallée est vraiment « sweet ». C’est un point de ravitaillement qui fait du bien dans cette section du SIA avec très peu de services ou de commerces. »
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« Le Parc national Forillon est très beau partout, surtout près de l’abri des lacs, le mont Alban et les derniers (ou premiers) kilomètres qui longent la côte avec les phoques et les baleines. »
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« Le canyon Clark, dans la vallée Avignon, est vraiment magnifique, même s’il est très peu connu. Ça vaut la peine de venir faire une randonnée de trois jours. C’est très technique et sauvage avec beaucoup de « up and down » dans un canyon formé de montées rocailleuses pleines de végétation et de traversées de rivières à gué. »

15 choses à savoir avant de se lancer dans le Sentier International des Appalaches – Québec (GR-A1)
1. Planification de l’itinéraire
Le GR-A1 s’étend sur 650 km avec des sections de difficulté variable. Il est essentiel de planifier votre itinéraire en fonction de votre condition physique et du temps disponible.
2. Période d’ouverture du sentier
Le sentier est accessible du 24 juin au 10 octobre. En dehors de ces dates, certaines sections peuvent être impraticables en raison de la météo.
3. Réservation des hébergements
Le sentier offre plus de 46 sites de camping rustiques espacés d’une journée de marche. Il est recommandé de réserver à l’avance pour garantir votre place.
4. Accès aux sentiers et frais éventuels
L’accès est gratuit, mais certains stationnements nécessitent une contribution. Par exemple, dans la Réserve faunique de Matane, le stationnement coûte 5,44 $ + taxes par jour.
5. Conditions météorologiques
Le climat peut être changeant et imprévisible, même en été. Préparez-vous à affronter le vent, la pluie et des températures fraîches en altitude.
6. Niveau de difficulté et préparation physique
Certaines sections du GR A1 sont très exigeantes avec des montées abruptes et un terrain accidenté. Il est recommandé d’avoir une bonne condition physique et de s’entraîner avant.
7. Équipement adapté
• Chaussures robustes
• Sac à dos confortable
• Vêtements adaptés aux variations de température
• Tente et sac de couchage adaptés aux conditions montagnardes
8. Gestion de l’eau et de la nourriture
Les sources d’eau potable sont limitées. Prévoyez un filtre à eau ou des pastilles de purification. Apportez des aliments énergétiques et faciles à transporter.
9. Période de chasse et restrictions
À partir du lendemain de la Fête du Travail, le premier lundi de septembre, certaines sections du sentier, notamment dans la Réserve faunique de Matane, peuvent être restreintes ou dangereuses à cause de la chasse.
10. Sécurité et signalisation
Le sentier est balisé, mais certaines portions sont isolées. Il est conseillé d’avoir une carte détaillée, une boussole et un GPS pour éviter de se perdre.
11. Faune et flore
Vous pouvez croiser des orignaux, ours noirs et autres animaux sauvages. Soyez vigilant et suivez les consignes de sécurité pour limiter les risques de rencontre.
12. Respect de l’environnement
Pratiquez le “Leave No Trace” :
• Ramenez tous vos déchets
• Respectez la flore et la faune
• Ne faites pas de feux en dehors des zones autorisées
13. Communication et urgence
Le réseau cellulaire est limité sur certaines portions. Un téléphone satellite, une balise GPS ou encore une application cartographique fonctionnement hors réseau, comme Ondago, sont recommandés pour contacter les secours en cas de besoin.
14. Transport et accès aux points d’entrée
Plusieurs points d’accès existent le long du sentier, mais l’organisation du transport est essentielle, car les options sont limitées. Pensez au covoiturage ou aux services de navette.
15. Expérience et préparation mentale
Le GR-A1 est une randonnée engagée qui demande autonomie et endurance mentale. Soyez prêt à affronter des journées longues, des conditions météorologiques imprévisibles et des défis physiques.
🔹 Pour plus d’informations touristiques et pratiques, consultez les sites web de Bonjour Québec, Rando Québec et du SIA (sentier international des Appalaches).

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