Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions, a mis la saison de tous les athlètes européens sur pause. Comment ont-ils vécu cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français. Ces entrevues ont été réalisées en avril 2020.
C’est au tour d’Anaïs Sabrié, championne du monde par équipe de course en montagne, de nous raconter son confinement, dont elle parle en mettant des guillemets.
Anaïs, qui est interne en médecine en Allemagne, fait partie du gratin français de la course en montagne. Au-delà de son titre mondial, elle s’est illustrée l’an dernier en remportant les championnats de France de la spécialité (14 km, 1000 m D+) et en signant une belle 5e place à la mythique Sierre-Zinal (30 km, 2300 m D+) en Suisse, réalisant au passage la meilleure performance féminine française depuis la création de la course en 1974.
Elle a également gagné la Skyrhune (21 km, 1700 m D+) 2018 au Pays basque.
L’athlète de l’équipe Matryx aime aussi la route. Elle a notamment remporté cinq fois le semi-marathon de Tübingen, chez elle en Allemagne. Mais c’est au semi-marathon d’Hanovre (4e) qu’elle a réalisé son meilleur chrono, avec un temps de référence sur la distance de 1 h 15 min 57.
Distances+ : Comment vis-tu la période de confinement actuelle?
Anaïs Sabrié : Je vis en Allemagne. Ici, on n’a pas de vrai confinement, mais tout regroupement de plus de deux personnes est interdit et on doit respecter le plus possible une distance physique de 1,5 à 2 mètres.
La pratique de l’activité physique seule ou à deux maximum est autorisée, et même recommandée. Je trouve ce type de « confinement » plus censé, mais jusqu’à présent l’Allemagne a été moins touchée. Et je peux vous dire qu’avec le beau temps, j’en vois des personnes faire de la marche nordique, les plus nombreux sont même ceux de la catégorie « personnes à risque ».
Du coup, je vis la période sans trop de contraintes. Les stades et autres complexes sportifs sont bien sûr fermés, alors je me passe de ma séance de piste.
Ce qui commence à me manquer, c’est d’aller nager une fois par semaine ou ma séance de muscu hebdomadaire que j’avais intégrée dans mon entraînement depuis le début de l’année. Mais c’est un problème de riche, largement au second plan au vu de la crise actuelle. Je ne me plains en aucun cas et je mesure la chance que j’ai.
Parle-nous de l’impact que cela a eu sur ta motivation.
Heureusement, j’adore courir, faire du sport, me dépenser, bouger, donc aller courir ou même faire des grosses séances ne me pose aucun souci et reste un plaisir, car j’adore l’adrénaline que cela me procure. Mais bon, le 26 avril j’aurais dû faire mon premier marathon, alors j’avais un peu le cafard. Dans ma tête, je me suis dit qu’il fallait prévoir la première compétition pour mi-septembre. Il y a quelque temps, je m’étais fixée début août, mais maintenant ça me paraît compliqué. Pour éviter toute nouvelle désillusion, autant prévoir large.
Oui, parfois, la motivation baisse, mais je ne me prends pas la tête, je pense qu’il faut accepter cette baisse de motivation, qui est tout à fait normale. Si je n’ai pas envie, bah je ne fais pas la séance et ce n’est pas dramatique. Je pense qu’on a assez de temps jusqu’à septembre ou octobre. Je ne vais pas me mettre la pression avec les entraînements. Et puis j’ai un entraîneur très compréhensif qui s’adapte facilement. Mais bon, comme je suis un peu hyperactive, en réalité il faut surtout me freiner.
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
Mon premier grand objectif était le marathon de Hanovre fin avril. J’avais fait environ la moitié de la prépa lorsqu’il a été annulé. J’avais vraiment passé de belles séances, mais j’ai pris un plaisir fou malgré des conditions pas optimales — des séances souvent calées entre des révisions, entre midi et 14 h, seule, et avec souvent des conditions météos loin d’être faciles —, mais rien n’est perdu et je me dis que pour le prochain, ça ne pourra être que plus facile.
Je visais ensuite le championnat de France et le championnat d’Europe de course en montagne. Avec mes équipières Élise Poncet et Christelle Dewalle, on voulait aller reconquérir notre titre de championnes d’Europe. Et puis, il y avait Sierre-Zinal, reportée pour le moment en septembre. C’est maintenant mon gros objectif.
Je n’ai pas fait une croix sur ma saison, mais s’il faut le faire, on le fera! En ce moment, il vaut mieux ne pas trop planifier de toute façon.
Quel enseignement tires-tu de ce que nous sommes en train de vivre?
Je respecte à 200 % le travail immense fourni par tout le corps médical à travers le monde, mais je dois avouer que je ne suis pas tout à fait en accord avec cette médiatisation du virus. Les populations ont l’air d’oublier le nombre de morts causés par la grippe, l’hépatite B, les accidents de voiture, ou tout simplement les maladies cardio-vasculaires chaque année. Un virologue allemand a expliqué que beaucoup de gens sont décédés AVEC et non À CAUSE du virus. À méditer peut-être.
Personnellement, j’ai pris encore plus conscience de l’importance d’avoir une famille et des amies, mais plus parce qu’ils me manquent que par peur de les perdre suite au virus. Car en réalité, il y a plus de probabilités que je les perde dans un accident de voiture. J’espère surtout que les gens vont un peu moins se plaindre et se rendre compte qu’on a une chance unique de vivre dans une démocratie, ce qui est loin d’être le cas partout dans le monde.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Pour être honnête, sans être égoïste, je trouve qu’il faut quand même souligner que pour beaucoup de sportifs professionnels, non « ce n’est pas que du sport ». Pour beaucoup, la vie tourne autour et grâce à ça, un peu comme un restaurateur ou un commerçant. Quand je vois que les hypermarchés tournent, je me dis qu’on aurait pu trouver une solution pour que certains pros continuent à s’entraîner.
Et puis, l’accès limité à la nature quand on habite en pleine campagne ou en moyenne montagne — attention je ne parle pas d’aller faire de la haute montagne —, j’ai du mal. Un vrai sportif, s’il se tord la cheville, il se débrouille seul pour rejoindre son domicile. Si ça fait 10 ans qu’il fait des footings sans être allé à l’hôpital, pourquoi ça arriverait maintenant ? Je suis bien sûr consciente qu’il est difficile d’alléger les restrictions à une certaine partie de la population.
En tout cas, je ne peux dire que bravo à tous ces sportifs qui ont respecté la quarantaine!
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