Jean-François Cauchon félicite David Jeker après son passage sur la ligne d’arrivée de la Transgrancanaria – Photo : Nicolas Fréret
DISTANCES+ À LA TRANSGRANCANARIA – Les athlètes Jean-François Cauchon et David Jeker ont lancé leur saison dignement le week-end dernier à la Transgrancanaria, troisième étape de l’Ultra-Trail World Tour 2019. Ils ont terminé respectivement 14e (15 h 42) et 51e (18 h 28) d’une épreuve à laquelle participaient de très nombreux coureurs élites internationaux. Frédérick Viens est lui aussi allé au bout de ce 128 km pour 6425 m de dénivelé positif aux Canaries. Six autres coureurs de la Belle Province ont participé à l’épreuve de 65 km pour 2525 m D+, dont les patrons de la Maison de la Course et de la Clinique du Coureur, les hyperactifs Josée Prévost et Blaise Dubois.
Il n’est pas forcément évident de quitter l’hiver et la neige pour aller courir un ultra-marathon sur une île volcanique aux sentiers techniques où il fait beau et chaud toute l’année. Mais quand on aime ça, il y a pire que d’aller souffrir au soleil.
Il faisait d’ailleurs bon et doux les jours précédant la compétition, mais le vent chaud chargé de sable provenant du Sahara, la calima, a débarqué. Les montagnes ont alors disparu de l’horizon, l’air s’est considérablement asséché, comme les lits de rivières empruntés par la traversée de Grande Canarie, et la température a grimpé au-delà des 30 degrés en après-midi, entraînant coups de chaleur et déshydratation, ce qui ne semble pas avoir perturbé plus que ça nos coureurs québécois.
Jean-François Cauchon le métronome
Tel un Antoine Guillon à l’île de La Réunion, Jean-François Cauchon a laissé partir les fauves à toute allure sur la plage de Las Palmas et réglé son allure sur ses prévisions de temps. Au premier ravitaillement, à Arucas, après 17 km de course, il pointait à la 29e place, puis il n’a cessé d’en grappiller jusqu’à se retrouver dans le top 10 pendant une vingtaine de kilomètres, notamment dans la terrible montée vers le sommet Roque Nublo. Métronome, Jean-François s’est répété à plusieurs reprises qu’il devait faire attention de ne pas trop pousser la machine sous prétexte qu’il se sentait bien.
Il a constaté dès le début de la course que sa réserve d’eau fuyait, mais il n’a pas paniqué, prenant le temps de la remplir à chaque ravito, et d’échanger quelques mots. Au point de contrôle d’Artenara (km 64), malgré l’adversité et alors que le jour était encore loin de se lever, Jean-François disait son plaisir de vivre cette course. « La nuit est belle, c’est malade, s’est-il enthousiasmé tout en picorant dans les plats de fruits secs. Il y a un beau clair de lune, une belle luminosité et pas de nuages dans le ciel, il ne fait pas trop chaud, pas trop froid, c’est vraiment agréable! »
En maîtrise, le champion de Québec s’est toutefois laissé surprendre par ce qu’il croyait être une fin de course plutôt facile. En effet, une fois le sommet gravi, il reste 42 km, un marathon, majoritairement de la descente, « mais je l’ai sous-estimée, a-t-il expliqué. On pensait avec David Jeker que ce serait plus roulant et plus facile (ce qui était le cas avec l’ancien tracé), alors que c’est vraiment technique, avec des trails rocailleuses. J’étais dans les temps, mais la fin, en descendant, c’était tough. Au début, ça allait quand même bien, mais à partir de l’avant-dernier ravito, à Ayagaures (km 111), j’ai commencé à avoir deux points dans le ventre. J’ai beaucoup marché, parce que je n’arrivais plus à courir. J’avais trop mal et je me suis fait dépasser. J’ai eu l’impression que j’avais trop bu, alors j’ai arrêté un peu de boire, et j’ai pris un gel… À la fin je courais avec les mains qui me serraient le ventre. J’avais de l’avance, alors j’ai marché longtemps avant que le monde me dépasse. J’ai quand même bien géré, les jambes étaient là, mais je n’étais presque plus capable de courir. »
À l’arrivée, Jean-François avait le visage grave et les traits tirés. Il n’a pas célébré ce premier ultra réussi de l’année, filant tout droit, sans rien boire ni manger pour aller se coucher dans l’herbe, à l’ombre, pendant un long moment pour récupérer et tenter de se départir de ces crampes. Il a ainsi attendu son ami David, qui mettra un peu moins de trois heures avant de le rejoindre à Meloneras.
« C’est vraiment une belle course, a-t-il commenté après avoir pris un peu de recul. Les paysages sont impressionnants, il y a du beau relief. Plus au nord, d’où on est parti, il y a beaucoup de végétation, et plus on va vers le sud, plus c’est désertique. Par endroit, ça faisait quasiment penser au Grand Canyon. »
David Jeker : « Je n’ai plus à revenir ici »
David Jeker avait pris le départ de la Transgrancanaria trois fois déjà avant cette vingtième édition. Et chaque fois, il avait dû jeter l’éponge. Alors, même s’il était déçu de son temps sur la ligne d’arrivée samedi, il était bien content d’être enfin parvenu à en venir à bout, en terminant plutôt en forme.
« C’est bon, je n’ai plus à revenir ici », s’est-il exclamé avec le sourire lors d’une discussion avec Jean-François Cauchon.
Parti juste derrière les élites, David s’est tout de suite bien placé. Il a d’ailleurs couru dans les mêmes temps que la grande favorite Miao Yao jusqu’à Artenara (km 64) avant de la distancer. L’athlète chinoise, victorieuse de la CCC l’été dernier, a abandonné sur blessure au PC suivant, à Tejeda (km 75). Au coeur de la course, l’ultra-traileur de Sherbrooke comptait parmi les vingt premiers. Mais la montée vers Roque Nublo lui a fait mal et il a dû gérer le reste de la course pour finir.
« J’avançais bien, c’est vrai, mais je ne me sentais pas si bien que ça en début de course. Quand je me suis senti mieux, à la fin de la nuit, j’ai voulu rattraper le temps et pousser dans les montées, mais je me suis complètement grillé, a-t-il raconté, lucide. Après la mi-course, j’étais dans le mal, et puis en descente, mes quadriceps n’étaient pas assez bien préparés. La fin du parcours a beaucoup changé. J’avais dit à Jeff que c’était roulant, mais ce n’est plus le cas du tout. »
Jean-François et David avaient tous les deux coché la Transgrancanaria comme première compétition préparatoire à la Diagonale des fous pour sa technicité et son ratio élevé de kilomètres et de dénivelé. Il semble que pour l’un comme pour l’autre, cela aura été un bon choix. L’avenir le confirmera.
Frédérick Viens : la Transgrancanaria avec l’UTMB dans la tête
L’objectif de Frédérick Viens était, comme la grande majorité des participants, de finir. Il ne l’a pas eu facile, mais il a tenu bon, terminant 242e sur 522 finissants, après 23 h 36 min d’efforts. À noter que 247 coureurs ne sont pas allés au bout du périple sur ce 128 km.
« Ça m’a vraiment demandé beaucoup d’énergie, a déploré Frédérick. J’ai bien aimé cette Transgrancanaria, sauf les 15 premiers et les 15 derniers kilomètres. Mais c’est une course qui vaut la peine et ça a été ma plus belle préparation à vie avant un ultra. Je cours 100 km par semaine cet hiver. Je travaille souvent à la Maison de la course de Mont-Saint-Hilaire (il est copropriétaire avec Josée Prévost et gérant des boutiques) donc je vais m’entraîner dans la montagne. »
Frédérick aura toutefois tiré un enseignement de cet ultra difficile. « Je vais revoir mes objectifs, affirme-t-il. Je me rends bien compte que faire quatre gros ultras en un an comme je le prévoyais, c’est peut-être un peu trop ambitieux. Je voulais réussir à cumuler assez de points pour l’UTMB l’an prochain, mais après tout, ça peut attendre un peu… »
L’autre enseignement, qui vaut pour tous, c’est qu’il faut parfois savoir insister lors d’un passage à vide. « J’ai failli abandonner, mais avant d’arriver au ravito, je me suis senti mieux, raconte-t-il. Les jambes allaient quand même bien, alors j’ai continué. Et j’ai eu la chance de rattraper ma copine, Diana, qui faisait le 65 km, alors on a fini ensemble. C’était super! »
Vacances et ultra aux îles Canaries
Diana Bauer avait pris le départ de la deuxième grosse épreuve du week-end avec les parents de Fred, Martine Chalifoux et Bruno Viens, leur amie Karine Loiselle et la très expérimentée Josée Prévost. Josée, qui véhicule son plaisir de courir partout où elle passe, est la seule du petit groupe de vacanciers à ne pas avoir rallié l’arrivée.
« Mon père voulait arrêter lui aussi, mais ma mère l’a forcé à continuer, a confié Frédérick à l’évocation de l’abandon de sa collègue. C’était leur premier ultra, alors c’était difficile, mais maintenant ils sont contents. »
De toute sa bonne humeur, Josée, qui participe à de nombreuses courses tous les ans, sur sentier et sur route, était loin d’être abattue par sa décision d’arrêter avant la fin. « J’ai vraiment adoré ça, a-t-elle dit. C’était une course magnifique, plus belle que je pensais au niveau de la nature. Il y a des coins très verdoyants. Par contre, il faut être habitué à travailler sur des sentiers techniques parce que pour les chevilles et l’équilibre, c’est vraiment pas évident. Après 50 km, ça allait moins bien, il faisait noir, mes amis m’ont dit que les derniers kilomètres étaient plus difficiles encore, plus techniques, alors m’a tête a dit «c’est assez». Le but c’était toujours d’avoir du plaisir. » Mission accomplie.
Blaise Dubois arrive premier de cordée, mais cassé
Celui qui est arrivé en tête de la délégation québécoise à l’épreuve de 65 km, c’est le physiothérapeute bien connu Blaise Dubois. Il s’était inscrit au 128 km, mais ne s’estimant « pas prêt du tout », il avait donc décidé de prendre la course 10 km à la fois, et d’arrêter quand il le jugerait nécessaire. Par chance, il a réussi à changer pour un dossard du 65 km au dernier moment. Il a passé la ligne d’arrivée, samedi soir, après 10 h 37 de course, mais « cassé », avec des quadriceps en souffrance. « J’ai l’habitude, a-t-il souligné en allant chercher sa médaille avec une allure de robot. Comme tu me vois là, j’en ai pour une semaine. »
« Je le savais, je n’étais pas assez bien préparé. C’était vraiment dur », a reconnu le fondateur de la Clinique du coureur qui emmènera une importante délégation de Québécois à la Diagonale des fous en octobre, dont David Jeker et Jean-François Cauchon. Distances+ sera aussi du voyage pour vous faire vivre cet événement mythique.
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