Personne ne peut s’obstiner sur les bienfaits de l’activité physique. Bon nombre d’études crédibles ont démontré avec force son impact positif significatif sur l’incidence de plusieurs cancers ainsi que sur l’évolution de maladies chroniques comme le diabète et la dépression. D’autres ont conclu de façon convaincante que faire du sport régulièrement se traduisait par un gain d’espérance de vie globale, et mieux encore, un gain d’espérance de vie EN SANTÉ. Mais qu’en est-il de l’entraînement en course à pied pour des épreuves d’endurances ou d’ultra-endurance?
Pouvons-nous transposer ces données sur les bienfaits de l’activité physique aux athlètes s’adonnant à des entraînements à haute intensité sur des durées prolongées? Plusieurs chercheurs se questionnent sur la possibilité de risques accrus pour la santé — et notamment sur le cœur — de l’entraînement prolongé à haute intensité. Beaucoup d’encre a coulé sur le sujet ces dernières années et nous commençons à comprendre un peu mieux certains phénomènes. Je vous propose ici de vous exposer mon interprétation des données scientifiques disponibles à ce jour afin de comprendre les phénomènes cardiaques observés lors d’épreuves d’endurance.
Avant d’entrer au cœur du sujet — ou en complément de cet article — sachez que j’ai déjà rédigé sur Distances+ une chronique sur l’incidence et les causes de morts subites lors d’épreuves d’endurance dans les différents groupes d’âge. J’indiquais notamment que l’incidence de mort subite lors d’épreuves d’endurance se situe autour de 1 pour 100 000 personnes, les grands responsables des décès étant la maladie cardiaque athérosclérotique chez les personnes de 35 ans et plus, et beaucoup plus rarement les cardiomyopathies génétiques et congénitales et les maladies électriques primaires chez les plus jeunes.
Que dit la science de la possible souffrance cardiaque pendant une épreuve d’endurance?
Une étude d’envergure intéressante (Berlin Beat Study) a été publiée en 2017 à l’aide de données recueillies lors du marathon de Berlin. Les auteurs ont voulu évaluer la présence de souffrance cardiaque et la présence d’arythmies chez une cohorte de 109 marathoniens récréatifs d’expérience âgés de 35 à 60 ans à l’aide d’un monitoring cardiaque (électrocardiogramme) en continu, de bilans sanguins et d’une imagerie par résonance magnétique suivant l’épreuve. Les chercheurs ont noté des changements anormaux à l’électrocardiogramme chez 16,8 % des coureurs et une hausse des marqueurs sanguins de souffrance cardiaque chez 7,5 % en plus d’enregistrer la présence d’arythmies (tachycardie ventriculaire non soutenue et fibrillation auriculaire non soutenue) chez 9,3 % des athlètes. Aucun événement cardiaque n’a été observé chez aucun participant un an après l’étude et une imagerie cardiaque par résonance magnétique pratiquée suite à l’épreuve n’a démontré aucune anomalie chez les athlètes ayant connu des changements à l’ECG et/ou des élévations des marqueurs troponines.
Comment interpréter ces résultats alors que nous savons qu’une IRM cardiaque normale 10 jours après un événement n’exclut pas une blessure cardiaque transitoire?
Plusieurs questions demeurent sans réponse. Est-il normal de subir une souffrance cardiaque lors d’une épreuve sportive au même titre qu’il est normal de subir une souffrance aux muscles des cuisses et des mollets? Est-ce que les périodes d’arythmies sont des phénomènes bénins sans signification? Davantage d’études seront nécessaires pour mieux comprendre le phénomène et ses implications cliniques.
Quel est l’état des artères coronaires des athlètes vétérans?
Une étude de 2017 a démontré que les athlètes masculins vétérans d’épreuves d’endurance dont le profil de risque cardiovasculaire est évalué comme « faible risque » démontrent une présence accrue de plaques de calcium dans leurs artères coronaires si on les compare à des personnes sédentaires au risque calculé similaire. Les plaques n’ont toutefois pas la même composition et semblent plus stables et donc moins à risque de provoquer un infarctus chez les athlètes. Les artères coronaires des athlètes semblent également avoir une capacité de se dilater à l’effort plus grande que les personnes sédentaires. Notons également que malgré ceci, la majorité (60 %) des athlètes d’endurance ne démontre pas de plaque. Encore une fois, davantage seront requises pour mieux comprendre la signification et les conséquences de ce phénomène.
Qu’est-ce que la science a réussi à comprendre concernant le remodelage du cœur et la présence d’arythmies chez les athlètes?
Chez les moins de 35 ans, les cardiomyopathies congénitales sont responsables de la grande majorité des décès par mort subite. Distinguer les changements physiologiques adaptatifs normaux de ceux pathologiques congénitaux n’est pas toujours évident. L’effort physique aigu semble provoquer un stress significatif au ventricule droit du cœur. Dans certains cas, une récupération incomplète pourrait amener des changements de morphologie rendant le cœur sujet à différentes arythmies malignes. La présence de zones de fibrose dont nous n’arrivons pas à établir la signification exacte serait possiblement également en lien avec l’incidence d’arythmies.
La fibrillation auriculaire est une forme d’arythmie qui peut s’installer lorsque les oreillettes du cœur subissent des stress répétés et/ou du remodelage. On a noté une hausse du risque de fibrillation auriculaire jusqu’à cinq fois celle de la population générale chez les athlètes s’adonnant à des épreuves de haute intensité pour des durées prolongées. Il est bon de noter que malgré cette hausse d’incidence, le risque demeure peu élevé et que la fibrillation auriculaire, quoiqu’associée avec un risque accru d’accidents vasculaires cérébraux (AVC), est une affection traitable.
Donc, finalement, devez-vous arrêter de courir des ultras?
Si l’important pour vous est d’avoir un impact positif sur votre santé, l’activité physique à intensité modérée 30 à 60 minutes par jour est suffisante. L’adoption d’un style de vie actif au quotidien est donc un gage de santé. Au-delà, les objectifs sont tout autres.
Une revue systématique (revue de 14 études sur 230 000 sujets) récemment parue dans le British Journal Of Sports Medicine en novembre 2019 a démontré une réduction de la mortalité de toutes causes chez tous les coureurs, peu importe la charge et l’intensité de l’entraînement.
Les bénéfices n’augmentent donc pas avec la durée et l’intensité de la course à pied. On comprend que même si l’entraînement soutenu et la participation à des épreuves d’endurance ne sont pas exempts de risques, les bénéfices généraux de l’activité physique demeurent présents, réels et tangibles.
L’adoption de saines habitudes de vie (alimentation, sommeil, gestion de stress, tabagisme, alcool, drogues) chez les athlètes est certainement contributive. Si on regarde le tableau d’ensemble, on est bien loin de recommander aux athlètes de réduire l’entraînement.
Les études pointues questionnant les impacts précis sur la morphologie et l’électricité du cœur soulèvent des questions et des inquiétudes qu’il faut considérer, mais les études générales sur la survie, l’espérance de vie en santé et l’incidence de maladie (qui inclues les athlètes d’endurance) se font globalement rassurantes. Les incidents fâcheux sont rares et isolés alors que les bénéfices sont unanimes, généralisés et incontestables.
Si on regarde les choses en face, on sait bien que la majorité des coureurs d’épreuves d’endurance ne s’entraînent pas des heures et des heures chaque semaine et font des sacrifices dans le seul et unique but d’optimiser sa santé. L’ivresse et la satisfaction du dépassement de soi, la quête de défis, l’exploration des limites du corps et de l’esprit, voilà ce qui anime avant toutes choses les athlètes d’endurance. Je connais ça intimement. Vivre sa passion pleinement entraîne certainement un bénéfice pour la santé, mais la question n’est pas là. L’important est de ne pas être dupe et de comprendre les enjeux. On ne pourra jamais empêcher les adeptes de sensations fortes et de dépassement de soi de se lancer dans des activités comprenant différents niveaux de risques.
À toutes fins utiles, gardons en tête quelques mesures essentielles de prudence :
- Une perte de conscience à l’effort ou suite à un effort doit impérativement être investiguée
- La présence de palpitations doit être investiguée
- Une baisse de performance inexpliquée doit être investiguée
- Un historique familial de mort subite ou de trouble du rythme congénital implique un dépistage
- Un historique familial de décès par maladie coronarienne ou d’infarctus du myocarde avant 50 ans mérite un dépistage
- Une remise en forme après 40 ans implique un dépistage.
Simon Benoit est médecin de soins critiques en urgence, en plus de tenir une pratique de bureau axée sur la médecine sportive. Il est membre de l’Association québécoise des médecins du sport. Il est également diplômé en physiothérapie et en chiropratique et est ambassadeur de La Clinique du Coureur. Lisez tous ses textes !
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