Les besoins en glucides lors d’une épreuve d’endurance sont énormes. La tolérance gastrique des coureurs est en revanche très variable. Alors, comment joindre la pratique à la théorie ? Comment réussir à ingérer la totalité de nos besoins en hydrates de carbone lors d’une épreuve d’ultra-endurance ? Je vous livre ici quelques pistes de solutions!
Je tenterai lors de cette chronique de vous convaincre que l’une des clés du succès est, selon moi, de consommer ces « carbs » en totalité ou en partie sous forme liquide. Avant de se lancer dans le vif du sujet, dressons d’abord le portrait de nos besoins.
Les besoins en glucides
La recommandation actuelle de l’ACSM (American College Of Sports Medicine) est de consommer 0,7 g/kg/heure d’hydrates de carbone pendant une épreuve d’endurance. Cela correspond à environ 50 g/heure pour une personne de 70 kg.
En théorie, le tube digestif a la capacité d’absorber 60 g de glucose/heure (via le transporteur SGLT1) et 30 g de fructose/heure (via le transporteur GLUT5). C’est pourquoi certains recommandent un apport total de 90g/h d’hydrates de carbone sous forme combinée glucose/fructose.
Les besoins en protéines
L’apport en protéines semble plus pertinent après l’activité, pendant la phase de récupération, car elles favorisent l’adaptation des tissus. Certains travaux soutiennent que les protéines faciliteraient la reconstitution des réserves de glycogène (les réserves de glucides dans les muscles et le foie).
Les bénéfices d’un apport en protéines ont été notés principalement sur des épreuves d’endurance de plusieurs jours. L’apport suggéré est de 1,2 à 2 g/kg/jour.
Les besoins en lipides
Un apport en lipides semble avantageux sur les épreuves multi-jours où ils sont proposés comme source d’énergie supplémentaire. Vu leur potentiel d’irritation gastrique, il est suggéré de réduire leur quantité à 20-35 % des apports quotidiens habituels.
Notons qu’il n’est pas coutume de recommander des protéines et des lipides sur les ultra-marathons allant jusqu’à 160 kilomètres en continu, car les risques d’inconforts intestinaux dûs à leur ingestion sont plus grands que leurs bénéfices potentiels. Le carburant principal demeure donc les glucides et le défi est de trouver différentes stratégies nous permettant d’en assimiler un maximum sans provoquer ces redoutables inconforts intestinaux.
Les nausées avant l’abandon
Si vous avez déjà souffert de nausée en course, vous savez à quel point il est difficile de renverser le cercle vicieux infernal engendré par l’impossibilité de s’alimenter qui aggrave l’état de fatigue, creuse le déficit calorique et enlise la souffrance intestinale et la nausée.
Une étude de Hoffman de 2015 portant sur 272 coureurs lors de la Western State Endurance Run (WSER, course de 161km) a soulevé que 96 % des athlètes y ont ressenti des malaises gastro-intestinaux d’intensité variable. Parmi les abandons, 35,6 % ont été causés par des troubles gastriques et les nausées sont encore les grandes coupables dans 90,5 % des cas. La présence de vomissements est deux fois plus élevée chez ceux qui ont abandonné ce qui en fait de loin le prédicteur principal d’abandon.
Bref, lorsque la nausée commence à limiter la capacité d’assurer ses besoins en hydrates de carbone, le déficit énergétique engendré amplifie la souffrance intestinale et l’issue ne peut alors qu’être catastrophique.
Le carburant principal du coureur est l’apport en glucides et le succès d’un bon plan d’alimentation en compétition réside dans notre capacité à tolérer un apport optimal de ces carbs pendant une longue période.
Plusieurs textures sont disponibles sur le marché, sous forme solide, en gel, en pâte de fruits, en purée et sous forme liquide. Les gels sont encore étonnamment la texture de choix d’une majorité de coureurs. J’ai tendance à croire que cette tendance relève d’un meilleur marketing et certainement pas d’un meilleur potentiel de tolérance.
Les diètes low carb/high fat ou keto
Les données concernant le gain en performance des diètes « low carb/high fat » ou « keto » (le régime cétogène, visant à maximiser la capacité d’oxydation des lipides) ne sont malheureusement pas soutenues par les données scientifiques actuellement disponibles sur le sujet, et ce, malgré leur popularité.
Comme on dit souvent dans le milieu, si ces diètes vous conviennent, tant mieux, mais il faut savoir que leur succès semble davantage soulevé par des expériences individuelles que par des études solides. Le concept est toutefois intéressant et il sera judicieux de suivre si de futures études changent l’état de nos connaissances.
L’apport liquide : avantages et inconvénients
La forme liquide est encore nettement sous-utilisée par les athlètes d’ultra-distances. Elle semble toutefois gagner en popularité. Ses avantages sont nombreux. Le liquide est selon moi de loin la texture la plus facilement tolérée en état de fatigue. Aucun besoin de mastiquer, aucune difficulté à avaler. De plus, le poids et l’espace de la poudre à traîner sont négligeables et donc nettement inférieurs aux autres textures. Notons qu’il est facile d’ajuster la concentration de la poudre en fonction des apports hydriques projetés. Je rappelle toutefois qu’il est primordial de continuer de s’hydrater en fonction des signaux de soif et de ne jamais boire selon un plan prédéfini d’hydratation. Il peut aussi être judicieux de garder une flasque d’eau à portée de la main pour se rincer la bouche à l’occasion et enlever le goût sucré qui pourrait provoquer des nausées.
La concentration moyenne suggérée de la majorité des formulations varie entre 50 g et 75 g de glucides par litre (concentration à 5-7 %). Les solutions hypertoniques (concentration de glucides supérieure à 7%) favorisent la rétention d’eau dans les intestins qui peut provoquer des diarrhées et de l’urgence fécale connue sous le nom de « dumping syndrome ». Les amateurs de Coke/Pepsi auront donc avantage à diluer le divin nectar avec de l’eau pour éviter ce phénomène.
Comme vous pouvez le constater, il est possible de combler ses apports en hydrate de carbone qu’en apports liquides et ce pour une durée prolongée sans signaux de faim désagréables. Je n’ai trouvé aucune étude visant à déterminer de durée maximale pour une alimentation liquide, mais par expérience on peut très bien se tirer d’affaire pour une durée de course de 24 heures. Une chose est certaine, l’apport liquide en hydrate de carbone est à tout le moins une source de glucides d’appoint à considérer afin de réduire le défi d’assimilation de l’alimentation solide en gels, pâtes de fruits et alimentation standard.
Jumeler apport liquide en hydrates de carbone et besoins en électrolytes
La question des besoins en électrolytes se pose pour un athlète désirant assurer 100 % de ses apports sous forme liquide. Les études de Hoffman effectuées lors de la Western State Endurance Run ont bien établi que les suppléments en électrolytes n’apportent aucun bénéfice aux coureurs assurant leurs apports caloriques avec une diète typique contenant du sodium retrouvée sur les ravitaillements disponibles comprenant Pretzel, chips, soupe, gnocchi, etc. La quantité totale de sodium précise recommandée n’a toutefois jamais été clairement établie. Les travaux de Tim Noakes ont bien démontré la capacité phénoménale des reins à ajuster le taux sanguin de sodium, mais nous ne savons pas précisément quelle quantité minimale ou maximale de sodium nous devons viser.
Les recommandations actuelles sont donc de boire selon les signaux de soif et de saler au goût. Pour vous mettre au parfum, sachez qu’une capsule de Nunn comprend environ 350 mg de sodium et une capsule type de sodium (fortement déconseillées puisqu’elle masque le goût salé) 215 g. Une portion de 250 ml de soupe Lipton de nouilles au poulet fournit un apport énorme de 780 mg de Na.
Ceci nous laisse donc devant un flou puisque les nombreuses formulations de boissons énergétiques disponibles sur le marché (Sktach, Tailwind, Refresh, Oxsitis Energiz’heure etc) offrent un apport sodique extrêmement variable allant de 10 mg/500ml à plus de 350 mg/500ml. On peut donc penser qu’il serait insuffisant pour un athlète assurant 100 % de ses apports sous forme liquide à l’aide d’une formulation qui ne comprend que 10 mg de Na/500ml de liquide.
Malgré ces quelques mises en garde, la forme liquide représente un outil très intéressant. Plusieurs athlètes d’ultra-endurance ont adopté avec succès un régime de course 100% liquide alors que d’autres optent pour une diversité de textures.
Une chose est importante : sachez toujours ce que contient votre alimentation et faites vos tests!
L’entraînement intestinal
Pour grand nombre d’entre nous, le secret du succès réside dans la capacité de nourrir la machine sur une longue période en affrontant les éléments que sont l’altitude, la chaleur, l’humidité, le vent, la pluie, la fatigue et le manque de sommeil.
Une étude de Wardenaar de 2015 a démontré que 75 % des athlètes d’ultra-endurance ne réussissent pas à maintenir un apport de 60 g/h de glucides. Force est de constater qu’un nombre significatif d’ultra-marathoniens pourraient améliorer significativement leurs performances s’ils trouvaient moyen de manger davantage d’hydrates de carbone.
Plusieurs facettes doivent être développées pour garantir un succès en épreuves d’ultra-endurance. Développer des motivations saines, une force mentale en béton, un VO2max de feu, une agilité digne d’un athlète de cirque, une capacité de relance dévastatrice, une puissance de grimpe titanesque et une endurance qui traverse le temps. Toutes ces heures d’entraînement seront toutefois bien futiles au jour J si on ne réussit pas à nourrir notre machine adéquatement et en quantité suffisante avec un carburant de qualité.
Un entraînement intestinal adéquat demande beaucoup de temps, de discipline, de créativité et d’essais/erreurs. Les plus disciplinés seront récompensés!