C’est cette fin de semaine, les 27 et 28 juin, que devait avoir lieu la 47e édition de la Western States Endurance Run, en Californie, la plus ancienne course de 100 miles au monde. Annulé en raison de la pandémie de COVID-19, le trail mythique qui fait rêver les coureurs en sentier des quatre coins de la planète profite de cette année de pause pour se consolider et se restructurer. Distances+ remonte le fil de son histoire avec son directeur de course, Craig Thornley, qui est à la barre de l’organisation depuis huit ans.
À une semaine prévue de l’événement, Craig ressentait plus intensément ce que l’annulation de l’événement signifie. « C’est réel maintenant. Ça a été normal pour moi depuis des mois qu’il n’y aurait pas de Western States, mais maintenant que ça approche, ça commence à devenir… disons, décevant », confiait-il. L’annulation de la Western States (160 km, 5200 m D+) a été annoncée le 27 mars dernier, soit il y a exactement trois mois.
Même si le déconfinement progresse et que certaines courses en sentier ont lieu aux États-Unis cet été, il aurait été impossible de tenir l’événement dans ces conditions cette année, croit-il. « Les règles sanitaires dans la région ont commencé à s’assouplir et les commerces ont rouvert, mais le nombre de gens affectés par le COVID est à la hausse, explique le directeur de course. Les masques viennent d’ailleurs d’être rendus obligatoires dans les lieux publics par le gouverneur de Californie, alors que jusqu’à maintenant, les gens ne faisaient pas attention. Ils ne portaient pas de masques et essayaient de reprendre une vie normale. »
Une année différente
Si l’organisation n’oeuvre plus à la réalisation de l’édition 2020 depuis une douzaine de semaines, l’équipe est loin de rester les bras croisés. « Nous ne perdons pas ce temps. Ce sont surtout des changements que le public ne verra pas, par exemple dans la façon dont nous exerçons nos activités et concernant nos statuts, mais ce sont de gros changements structurels à venir pour notre organisation qui existe depuis maintenant 47 ans », souligne Craig.
L’équipe de la Western States a aussi profité de la situation pour faire du travail de nettoyage dans les sentiers. « Même si l’événement n’a pas lieu, les coureurs viennent quand même s’entraîner sur le parcours de la Western States. C’est une bonne chose, car ça démontre qu’on nettoie les sentiers pour le bien commun et pas seulement pour réaliser notre événement », explique-t-il.
Rappelons que la Western States traverse les montagnes de la Sierra Nevada à partir de Squaw Valley jusqu’à Auburn, en Californie, sur un parcours qu’empruntaient autrefois les chercheurs d’or de l’Ouest américain.
Comme de nombreux autres événements de course annulés depuis le début de la pandémie, l’équipe de la Western States participe aussi à une course virtuelle organisée par un de leur commanditaire, le « 100 miles to Auburn ». Les participants ont tout le mois de juin pour cumuler 100,2 miles, un défi auquel plus de 2000 personnes se sont inscrites, au grand étonnement de Craig, qui portait lui-même le t-shirt de ce défi virtuel lors de l’entrevue.
Un coup dur
Mais si l’organisation souhaite tourner la situation en positif autant que possible, il n’en demeure pas moins que la COVID a porté un coup dur sur les finances de l’organisation. Avec seulement 369 inscrits, qui ont tous choisi de reporter leur inscription à 2021, cela signifie que l’organisation perd une année complète en revenus d’inscription.
Ils avaient d’ailleurs fait le choix d’offrir une politique d’annulation très généreuse, permettant le remboursement à 100 %. « Nous sommes particulièrement fiers de notre politique d’annulation. Nous ne souhaitions pas faire d’argent avec la situation et nous souhaitions être sensibles aux besoins des athlètes dans le contexte de la COVID. Certains ont perdu leur emploi et nous voulions que ceux qui ont besoin de cet argent puissent récupérer leur 410 $ US », développe le directeur de course.
Craig fait d’ailleurs remarquer que l’impact le plus important de l’annulation de l’événement est sans aucun doute pour les coureurs qui souhaitent participer à l’événement. Ce sont 6664 personnes qui avaient participé à la loterie pour 2020. Certains d’entre eux essaient depuis plusieurs années de participer. Ne pas tenir l’événement en 2020 reporte à une année de plus la chance de pouvoir courir la Western States. « C’est vraiment triste pour tous ces gens qui attendent de pouvoir participer un jour à l’événement », reconnaît-il.
Financièrement, ils auraient pu recevoir certains soutiens du gouvernement, mais ils ont préféré ne pas se tourner vers cette option. Jugeant qu’ils avaient les reins assez solides, après toutes ces années d’expérience, et que d’autres organisations de leur communauté étaient davantage en difficulté cette année, ils ont préféré leur laisser l’opportunité d’appliquer pour les subventions disponibles.
Pour compenser la perte financière tout de même importante, ils ont eu l’autorisation d’ajouter cinq places supplémentaires pour l’édition 2021 de l’événement, des places qu’ils ont utilisées pour collecter de nouveaux revenus en vendant des billets de tirage permettant de dévier la loterie officielle de la Western States.
Ajouter des places est totalement exceptionnel pour la Western States, puisque le nombre de coureurs est limité par les autorités gouvernementales depuis 1984, année où a été promulguée la California Wilderness Act, une législation qui a créé le Granite Chief Wilderness, une zone protégée et sauvage que traverse la Western States. Comme la course préexistait cette législation, elle a obtenu le droit acquis d’accueillir chaque année le nombre de participants qu’il y avait à la date de la création du Granite Chief Wilderness, soit 369, mais pas un seul de plus.
« Les règles sont très strictes dans les aires protégées aux États-Unis, explique Craig. C’est une bonne chose, car ça permet de conserver les habitats naturels et de les protéger des activités humaines, mais disons que ça complique tout pour organiser des événements comme le nôtre. » Ça fait aussi en sorte qu’il ne peut pas y avoir de courses dans les plus beaux territoires des États-Unis, comme dans la vallée de Yosemite ou à Kings Canyon, fait-il remarquer.
Ce sont donc plus de 250 personnes qui ont acheté des billets pour un total de 40 000 $ US de nouveaux revenus que l’organisation a pu amasser pour traverser financièrement cette année difficile. Les cinq chanceux seront connus ce samedi 27 juin, via un tirage mené en direct, sur Zoom, par Jim Walmsley et Clare Gallagher, les champions de l’édition 2019. N’importe qui pouvait acheter un billet pour le tirage, mais pour l’utiliser, il faudra alors se qualifier, ou sinon le transférer à une autre personne qui se qualifiera.
Quant au concept de loterie payante, Craig nous confesse que c’est cependant quelque chose qui a toujours existé. Chaque année, de tels tirages payants sont organisés. Mais c’est la première fois que l’organisation en fait vraiment la promotion. Cette fois-ci, des coureurs aux quatre coins du monde ont donc acheté des billets, alors que cette loterie rejoignait habituellement des gens de la communauté locale, qui signent d’importants chèques pour soutenir l’organisation.
La deuxième annulation en 47 ans
C’est la deuxième fois que la course est annulée depuis sa création, en 1974. La première fois, c’était en 2008, quand la Californie connaissait des feux de forêt majeurs partout sur le territoire. Et cette année-là, l’annulation a lieu à quelques jours d’avis seulement, le mercredi avant la course, ce qui a été particulièrement éprouvant, puisque la majorité des dépenses avaient déjà été engagées et que de nombreux coureurs étaient sur place.
« C’était une annulation vraiment différente. Cette année, on a eu tellement de temps pour planifier et s’adapter. Nous n’avions pas engagé beaucoup de dépenses à trois mois de l’événement », explique celui qui dirige l’organisation de la Western States depuis 2012, après avoir été l’assistant de son prédécesseur, Greg Soderlund, pendant un an.
Une carrière insoupçonnée
Comme la majorité des directeurs de course, Craig n’avait pas prévu d’occuper cet emploi. Diplômé en informatique, il a cependant toujours été un passionné de trail et de course d’endurance, avec aujourd’hui plus d’une centaine de courses à son actif.
C’est en 1978 que Craig a eu connaissance de la course pour la première fois. Il venait alors de déménager dans la région avec sa famille, à la hauteur de la borne du mile 85 de la course. Il se tenait sur le bord de la rivière avec son frère quand ils ont vu des coureurs passer et leur demander où était la prochaine station de ravitaillement. « Je n’avais aucune idée de ce qu’ils demandaient! Alors on a campé là et on a vu les coureurs passer toute la nuit », raconte Craig, qui avait alors 14 ans et qui était encore loin de se douter combien la Western States allait occuper de place dans sa vie.
C’est après avoir fondé bénévolement une course, au début des années 2000, la Waldo 100k, pour le plaisir, que sa femme lui fait remarquer qu’il avait du talent pour la gestion de ce genre d’événements.
« Mais je n’y avais jamais vraiment pensé sérieusement jusqu’à ce que l’offre d’emploi pour la Western States s’affiche », admet Craig. J’ai toujours été un grand fan de la Western States. J’ai travaillé à l’une des stations de ravitaillement pendant dix ans. J’ai « pacé », été dans des équipes de soutien et j’avais couru la Western States huit fois avant de devenir le directeur de course », énumère celui qui a même couru le mythique 100 miles en 2017, tout en assurant le rôle de directeur de course, un défi qu’il a trouvé particulièrement éprouvant.
Comme il y a une boucle de ceinture spéciale qui est donnée à ceux qui accomplissent dix fois la Western States, il rêve du jour où il pourra traverser pour la dixième fois l’arche d’arrivée.
« J’ai cette dixième participation qui me pend au-dessus de la tête et que je rêve de faire, probablement quand je serai vieux et à la retraite », dit-il en riant.
Une course authentique
La course a gardé beaucoup de son essence depuis 47 ans, observe Craig. Certaines choses ont bien sûr changé, notamment le circuit lui-même, qui a dû être modifié en raison des droits de propriété des territoires traversés qui ont changé avec le temps. Mais de manière générale, l’organisation a beaucoup gardé de ses valeurs et de son esprit.
Craig rigole aussi quand il repense aux protocoles médicaux qui étaient mis en place au début de la course. « Dans les premières années, les équipes se basaient sur l’expérience qu’ils avaient avec les chevaux », se remémore-t-il, rappelant que la course a d’abord été une course qui se réalisait à dos de cheval. « Bien sûr, les animaux ne peuvent pas dire comment ils se sentent, alors ils devaient suivre leur état de santé tout au long de l’épreuve. »
Du coup, quand l’événement est devenu une course à pied, après que Gordy Ainsleigh ait prouvé, en 1974, qu’il était possible de réaliser l’épreuve à pied (et en moins de 24 heures!), les équipes médicales ont utilisé les mêmes protocoles sur les participants. « Ils obligeaient par exemple les coureurs à s’asseoir pour prendre leur pression et leur pouls, ce qui évidemment ne servait pas à grand-chose », illustre Craig, amusé.
Pendant longtemps, la course est aussi restée à un niveau très régional. Il y avait occasionnellement des coureurs de l’étranger, mais c’était très rare. Ils ont même réservé 25 places pour des coureurs de l’étranger pendant de nombreuses années afin d’assurer une certaine participation de l’international, rappelle Craig Thornley.
L’année où il a été pigé pour la première fois, en 2001, il n’y avait eu que 500 personnes qui avaient appliqué pour la loterie. Les deux premières années, il avait donc pu participer relativement facilement à l’événement.
Aujourd’hui, la compétition peut non seulement remplir des dizaines de fois sa capacité de participants avec des coureurs de l’extérieur, mais il fait aussi partie de l’Ultra-Trail World Tour (UTWT) depuis 2013.
« Au départ, notre motivation principale de faire partie de l’UTWT était d’avoir une place autour de la table, alors que le trail commençait à prendre une dimension de plus en plus internationale. Nous voulions contribuer à ce développement par nos valeurs, nos idées. Nous voulions jouer un rôle dans le développement de la discipline au niveau mondial », explique Craig.
Celui-ci apprécie aujourd’hui le fait d’avoir pu rencontrer, grâce à cet important réseau, des directeurs de course des quatre coins du monde. « Je peux appeler n’importe quel directeur de course si je le souhaite et leur demander ce que je veux. J’ai ce réseau maintenant, qui est bon pour nous, bien sûr, mais aussi pour les autres. J’ai pas mal plus de gens qui m’appellent que moi j’en appelle! », finit-il par reconnaître, amusé.
Des souvenirs marquants
Le meilleur moment que Craig a vécu à titre de directeur de course depuis huit ans est définitivement l’arrivée de Gunhild Swanson, en 2015, raconte-t-il. La coureuse de 70 ans avait alors franchi la ligne d’arrivée seulement 6 secondes avant la barrière horaire de 30 heures. Elle est devenue la finissante la plus âgée de l’histoire de la course. « Ça a été un moment très émotif », se souvient-il. « Rob Krar, qui avait gagné la course, était là pour l’accompagner pour le dernier mile. Ça a été le moment le plus médiatisé de l’événement à ce jour. Ça a été vraiment, vraiment très spécial ».
Après cette année riche en émotions, trois personnes sont arrivées après la barrière horaire de 30 heures l’année suivante, dont Wally Hesseltine. Âgé de 72 ans, Wally a essayé, en 2016, de devenir le coureur le plus âgé à terminer la Western States, pour finalement traverser la ligne d’arrivée en 30:01:56, ce qui ne lui a pas permis d’être reconnu comme un finissant de l’épreuve.
« Ça a nous a tous brisé le coeur », se souvient Craig. « Mais c’est aussi ce qui rend la barrière horaire de 30 heures significative. Si on ne respectait pas rigoureusement cette règle, les histoires comme celle de Gunhild perdraient de leur sens », explique le directeur de course.
Ce dernier espère d’ailleurs poursuivre ce métier aussi longtemps que possible. « Si j’arrive à un point où j’ai l’impression que je n’apporte plus rien de nouveau à l’organisation et à la course, je me retirerai pour laisser place à d’autres, plus jeunes. Sinon, aussi longtemps que je resterai motivé, j’espère bien continuer », confie Craig Thornley.
Et bien sûr, il commence déjà à rêver à l’édition 2021 et à ce rassemblement de la communauté de coureurs qui lui manque terriblement. « De ne pas pouvoir se rassembler cette année, avec nos participants et nos plus de 1500 bénévoles, c’est vraiment triste. On se concentre sur 2021 et sur la chance que nous aurons alors de nous revoir tous de nouveau l’année prochaine », conclut-il.
Trason, Jurek, Jornet, Walmsley, Dauwalter…
Au cours des 20 dernières années, le mythique coureur américain Scott Jurek a remporté sept fois consécutives la Western State, de 1999 à 2005. Timothy Olson deux fois (2012 et 2013), le Canadien Bob Krar deux fois également (2014 et 2015), tout comme le tenant du titre, Jim Walmsley, qui a battu le record de l’épreuve en 2018 (14 h 30) et 2019. L’an dernier, il a réalisé un temps incroyable : 14 h 09 pour parcourir 160 km et 5200 m D+. Avant lui, le record était détenu par Krar en 14 h 48, soit près de 40 minutes de plus que la fusée de Flagstaff. À noter que Kilian Jornet a remporté la Western State en 2014.
Chez les femmes, l’exploit historique revient à l’Américaine Ann Trason qui a gagné 14 fois l’épreuve entre 1989 et 2003. Mais c’est une Britannique qui détient le record, Ellie Greenwood, double vainqueure de la WSER (2011 et 2012), en 16 h 47. Une performance incroyable au regard du palmarès féminin puisque le chrono est rarement descendu en dessous de 18 h dans l’histoire de la course. Ces dernières années, Pam Smith, Stephanie Howe, Magdalena Boulet, Kaci Lickteig, Cat Bradley, Courtney Dauwalter et Clare Gallagher ont respectivement remporté l’épreuve. En 2019, Courtney Dauwalter était sur les bases du record lorsqu’elle a été arrêtée par une forte douleur qui l’a contrainte à l’abandon.
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