Derrière le mythe du Marathon des Sables

Marathon des Sables
Maria Semerjian lors du Marathon des Sables 2023 - Photo : David Gonthier

Six mois avant l’édition 2023 du Marathon des Sables, l’ultra-traileuse et collaboratrice de Distances+ Maria Semerjian s’est lancée dans la préparation à cet événement mythique dans le désert du Sahara, duquel on revient apparemment différent. En parallèle, elle a travaillé fort autour d’un dossier journalistique visant à informer objectivement et armer au mieux les futurs participants du MDS, en s’appuyant sur l’expérience d’anciens participants élites et l’expertise de ceux qui savent. Maria a également choisi plusieurs athlètes fils rouges afin de documenter la 37e édition sur le terrain, à savoir les athlètes parisiens, Anna Sylvestre-Treiner et Franck Berteau (tous les deux journalistes) et la Pyrénéenne Brunilde Girardet. À titre personnel, Maria avait l’ambition de faire un top 10 en duo avec son amie Brunilde, mais rien ne s’est passé comme prévu. Elle a retiré son dossard lors de l’épreuve longue, celle qui pourtant correspondait le mieux à son profil et qu’elle attendait avec impatience. C’est à l’issue de cet abandon et du MDS 2023, après quelques jours de recul sur cette épreuve, et riche de son double statut d’actrice et d’observatrice du Marathon des Sables, qu’elle écrit ce texte — qui prend exceptionnellement la forme d’une chronique —, plus personnel que ce à quoi les lecteurs de Distances+ sont habitués. 


Cette course fait partie de l’imaginaire de pas mal de coureurs. Beaucoup reviennent d’une année sur l’autre, collectionnent les éditions. Dans un coin de ma tête aussi, l’aventure du désert trottait. Il a fallu 15 ans pour que l’occasion se présente. Mais je ne l’ai jamais pris comme un rêve ultime, ce n’était pas la course à laquelle je pensais tous les jours, même si, chaque année, je suis les résultats, m’étonnant des vitesses à la fois folles devant et dérisoires derrière.

Je sais depuis septembre 2022 que je participerai à cette édition 2023, avec une double casquette de coureuse et de correspondante de Distances+. Depuis six mois, je prépare ce MDS sur les deux tableaux. Je me suis nourrie de l’expérience des coureurs, entraîneurs, scientifiques, médecins, podologues, nutritionnistes ou encore diététiciens interviewés pour réaliser un gros dossier pour le magazine et dans le même temps pour préparer méticuleusement mon sac, mes pieds et peaufiner ma préparation. J’ai accumulé les kilomètres sur le plat, m’interdisant presque d’aller chercher du dénivelé en montagne. J’ai essayé de me conditionner à la vie spartiate en communauté. J’ai couru en portant des sweats trop chauds… Bref, j’ai fait tout ce que j’avais écrit.


Voir les chroniques vidéo de Maria Semerjian et Mérile Robert sur Instagram


La réalité du terrain

L’aventure commence par deux journées de découverte du camp, mais également par l’apprentissage de la notion de patience. On attend pour tout. Dès l’arrivée à l’aéroport, dans le bus d’acheminent sur le bivouac, sur le camp pour préparer son repas ou pour aller aux toilettes. Le pire est atteint lors du contrôle de nos sacs de course le samedi, veille du départ. Certains coureurs ont dû patienter plus de trois heures en pleine chaleur pour récupérer leur dossard.

Ce dimanche 23 avril, un peu plus de 1000 coureurs « s’élancent » pour la première étape qui s’annonce déjà difficile. Le bivouac est à moins de 8 km derrière, mais je sens que ça va être compliqué. Le sac me plombe, la chaleur me terrasse, je suis obligée de marcher à très faible allure, voire de m’arrêter pour ne pas tourner de l’œil. 35 km plus tard, je passe la ligne en 35e position. Je me dis que je vais m’acclimater, que le poids du sac à dos va diminuer, que les prochaines étapes seront plus faciles… Hé bien non! À chaque jour suffit sa peine.

Lors de la deuxième étape, je débranche ma montre. J’essaie de la regarder le moins possible. Les premières heures semblent correctes et puis tout s’effondre, la température du jour monte à plus de 40 degrés à l’ombre et moi je m’écroule.

Pour la troisième étape, le processus chaleur semble mieux accepté par mon organisme, par contre il faut que je lutte contre un deuxième fléau : l’hypoglycémie. Je vais m’apercevoir très vite que toutes mes boissons et autres barres de l’effort patiemment sélectionnées sont compliquées à avaler. Et il n’y a évidemment pas de coca aux ravitos pour sauver la mise.

À la fin de ce troisième jour, rien n’est très positif. Sans même parler de performance, je ne prends aucun plaisir sportif. Je lutte pour faire 35 km. Je suis obligée de marcher sur plus de la moitié de la course alors que le compteur n’affiche que 500 ou 600 m de dénivelé maximum. Niveau environnement, les paysages sont très beaux vus des drones ou à travers l’œil des photographes de talent, en nombre sur la course, mais en vrai, c’est bien monotone. Un lac asséché sur 10 km en ligne droite, ça reste un lac asséché! Je ne vis clairement pas l’aventure sportive de mes rêves.

Heureusement, la vie sur le camp s’avère très agréable. Je redoutais la promiscuité et les relations tendues, mais en fait, sous la tente, on a pas mal de place (parfois les nuits en refuge de montagne peuvent être plus compliquées) et les routines se mettent très vite en place : essayer d’aplanir le tapis de sol, chercher du bois, faire du feu, se délecter de son lyophilisé, discuter, prendre des nouvelles des tentes voisines, faire des vidéos pour Distances+, croiser la vie des réseaux sociaux et la vie réelle, lire les petits mots de la famille, des amis… 

Au matin du quatrième jour, je me suis remobilisée. Je me concentre sur mon expérience d’ultra-traileuse, je suis largement capable d’avaler ces fichus 90 km. Oui, mais non. Car c’est là qu’entre vraiment en jeu le concept de l’auto suffisance alimentaire. En ultra, l’alimentation est déjà un point faible pour moi, mais de ravito en ravito, je me nourris de cola, de bananes, de soupe aux vermicelles et de bouts de pommes de terre ou de patates douces si c’est l’abondance. Évidemment, là, à chaque CP (Check Point), on a juste droit à trois litres d’eau et des pastilles de sel. Il faut tout tirer de son sac pour compléter cette base. Il me semble que la différence fondamentale entre un ultra « classique » et ce MDS se joue à ce niveau-là.

Dans mon tableau récapitulatif « nutrition », j’avais calculé toute mon alimentation de course en barres et boissons énergétiques. Les soupes, taboulés et autres viandes séchées étaient réservés à mes repas de récupération d’après-course. Erreur stratégique énorme. J’ai bien essayé de changer de registre et de me concocter un savant mélange soupe indienne aux croûtons/taboulé coco-coriandre et flocons d’aligot, le tout réhydraté à l’eau froide, je sentais bien que ça allait être un peu court pour couvrir 90 km. Après une montée dantesque de 300 m de déniv du djebel dans un four à ciel ouvert, j’ai décidé de limiter la casse. Rendre mon dossard au CP3 m’a semblé une solution sage et prudente.

À côté du romantisme des belles images

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Franck Berteau dans la fameuse descente de la dune de Mergouza – Photo : Anthony Deroeux

Avant d’être rapatriée sur le bivouac, j’ai vu passer des tas de marcheurs en perdition, les pieds explosés, couverts de strap et d’éosine, certains vomissant, d’autres finissant perfusés sous la tente ou directement à l’arrière d’un buggy médical. Est-ce bien raisonnable? C’est une vraie question à se poser.

Certains ont une raison forte d’être ici et d’aller au bout, qui les transcende envers et contre tout. Un couple est venu fêter ses 10 ans de mariage, un athlète ne se donnait pas le droit d’arrêter même dans un sale état en pensant à l’un de ses proches qui est handicapé… un autre est même venu courir dans le désert avant de devenir père. Il a d’ailleurs appris la naissance de sa fille au matin de la dernière étape. Mais est-ce des raisons vitales pour se mettre en danger?

Tout le monde témoigne que cette 37e édition a été très rude tant au niveau des conditions météo (très fortes chaleurs de jour, mais également de nuit ce qui entrave encore plus la récupération) que des parcours assez compliqués tous les jours (avec une « longue » exceptionnellement longue puisqu’elle est d’ordinaire plus proche de 70-80 km). Pour adoucir un tout petit peu cet enfer, l’organisation a avancé les horaires de départ des étapes, a proposé systématiquement deux bouteilles d’eau sur chaque CP (au lieu d’une) et n’a pas disqualifié les coureurs qui réclamaient des bouteilles supplémentaires (ils ont juste écopé de pénalités de temps, ce qui n’a aucune conséquence quand on n’a d’autre objectif que d’être « finisher »).

En France, des épreuves ont été annulées par les préfectures lors des épisodes caniculaires. Ici dans le désert marocain, tu prends quand même le départ dans la fournaise, et si ça ne va pas, on te perfuse et tu repars. Cette éthique du sport, de cette conception de la compétition, interroge.

D’autres images ne se retrouvent pas au montage du résumé « officiel » des étapes, toujours très léché. Par exemple, il est de coutume que tous les concurrents se rassemblent sur la ligne d’arrivée de l’étape longue pour acclamer le dernier concurrent. Cette séquence, qu’on ne montre pas comme on le vit, est hallucinante. On dirait une armée de zombies sortant des tentes, errant à moitié nus, des bandages dans tous les sens sur le corps, la tête basse, portant sur leurs épaules mâchées toute la misère du monde et claudiquant plus ou moins bas, les pieds en sang dans des chaussons d’hôtel déchirés.

Le MDS ce n’est pas que de beaux couchers de soleil sur les dunes. C’est aussi une vie pas glamour du tout sur le bivouac, mélange de manque d’hygiène, d’intimité et de pudeur. Au bout d’une semaine, ça pue, ça gratte, ça brûle!

Pourquoi s’infliger tout ça? 

La teneur des témoignages que j’ai pu recueillir, au-delà de ma propre expérience et de mes propres émotions de coureuses, varie au cours des étapes. La « longue » a beaucoup miné les organismes et les esprits. Les coureurs étaient venus chercher l’extrême, ils ont été servis. Ils ont beaucoup souffert, subi un milieu très hostile sans beaucoup de plaisir en échange. Ils ne visualisaient l’arche finale du dernier jour uniquement comme une douloureuse délivrance. Il fallait serrer les dents à tout prix pour parvenir au Graal.

Sur l’étape marathon, la dernière, et encore plus une fois la médaille de finisseur autour du cou, les témoignages se font plus positifs et les sourires illuminent de nouveau les visages sales et fatigués. Comme Constance et Antoine qui se sont offert ce MDS pour leur 10e anniversaire de mariage. Ils ont trouvé très dur de devoir renoncer à courir sur pas mal de portions, mais ils se sont soutenus l’un et l’autre dans la longue sans s’étriper et ça restera un superbe souvenir commun. Élodie et Victoria, les deux frangines pétillantes, étaient venues chercher un défi, une belle histoire à partager entre sœurs. Elles se sont tombées dans les bras sur la ligne d’arrivée finale. Elles ont atteint leur objectif à 100 %, mais « cette longue, quelle douleur! »

Brunilde (Girardet), que vous avez pu suivre au quotidien sur le compte Instagram de Distances+ notamment, a connu des hauts et des bas sur cette semaine. Elle a su faire profil bas sur les étapes 2 et 3 et se préserver un peu en courant avec moi en sous-régime pour pouvoir finir de très belle manière la longue puis le marathon. Même si ce n’est pas son terrain de prédilection, elle tire des points très positifs de cette expérience : de la confiance en ses capacités dans des conditions extrêmes, des enseignements instructifs sur l’alimentation… Elle rentre contente du devoir bien accompli (9e place au classement).

Franck (Berteau) et Anna (Sylvestre-Treiner) ont vécu eux aussi une très belle aventure avec leur groupe d’amis sous la tente 106. Chacun à leur niveau, ils ont bien géré leur course, en étant régulier et en arrivant à faire abstraction des difficultés, à repartir positivement tous les jours pour finir fatigués, mais très heureux de cette longue balade, avec respectivement une 54e au classement général et une 31e place au classement féminin.

Tu reviens?

MDS
Brunilde Girardet et Maria Semerjian sur le MDS 2023 – Photo : courtoisie

J’ai croisé Laetitia, un énorme tatouage du MDS sur la cuisse gauche. Marathonienne, elle s’était essayée sur un Half MDS à Fuertoventura et elle avait bien aimé le principe de la course à étapes, enchaînant sur un premier MDS l’an dernier. Elle s’était tellement régalée que trois semaines après, elle se faisait tatouer le logo de la course sur la cuisse et resignait direct pour cette édition 2023. Cette année, elle a plus souffert du chaud et des pieds, mais elle ne rechignerait pas à repartir pour un tour supplémentaire.

Par contre, tous les primo-marathoniens des sables rencontrés sont formels : une fois, c’est fait, c’est bouclé, on est bien contents d’y être arrivés, mais pas question de revivre cet enfer, ce sera un « one shoot » (même s’il faut toujours se méfier des décisions prises trop rapidement)! Il y a d’autres aventures à vivre en format solo ou en course à étapes.

Nos « fils rouges » rêvent aussi d’ailleurs. Brunilde a hâte de retrouver ses montagnes et l’île de La Réunion en octobre, quant à Franck et Anna, ils se projettent déjà sur une autre course à étapes, le Coastal Challenge au Costa Rica.

Même Christian Ginter, qui a fini (un peu dans la douleur et en frôlant les barrières horaires à chaque étape) son 35e MDS (sur 37 éditions, le record absolu) n’est pas du tout sûr de repartir. D’habitude, le fringant septuagénaire ne se pose pas de questions et se réinscrit systématiquement sur l’édition suivante. Mais là, dans l’avion du retour, il ne sait vraiment pas. Il hésite. Il ne sait pas si son corps et son envie le pousseront vers un Marathon supplémentaire.

Et puis, l’annonce toujours non officielle et peu claire du départ de Patrick Bauer, le fondateur historique et charismatique du Marathon des Sables, sème beaucoup d’incertitude dans toutes les équipes de bénévoles. Alors, eux aussi, ils se posent pas mal de questions et attendent de voir les orientations de la nouvelle équipe de direction pour signer éventuellement pour une semaine supplémentaire, pas très loin de l’enfer. 


Maria Semerjian est professeure agrégée d’éducation physique et sportive à l’Université Toulouse III Paul Sabatier. Elle fait partie de l’équipe enseignante d’un cours en ligne ouvert à tous (MOOC) consacré à l’entraînement sportif en trail et en ultra-trail. Maria a également porté l’étiquette d’ultra-traileuse élite, avec une soixantaine de trails à son actif, dont six victoires (Grand Raid des Pyrénées, 100 miles du Sud de la France, Festival des Hospitaliers, Restonica Trail…) et une vingtaine de top 3 en carrière. Elle a notamment terminé 3e du Tor des Géants, 6e de la Diagonale des fous et 8e de l’UTMB. En 2022, elle a terminé 3e du 100 miles de la Swiss Alps (160 km, 9900 m D+).


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