« Notre métier, c’est de donner du plaisir et de belles émotions aux gens, ce n’est pas de les décevoir », lance Catherine Poletti. Deux semaines après l’annonce de l’annulation de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, l’événement qu’elle a fondé avec son mari Michel, la grande patronne de la plus célèbre compétition de trail au monde revient sur Distances+ sur ce qui a mené à cette décision.
La 18e édition de l’UTMB, qui devait se tenir à Chamonix et tout autour du massif du mont Blanc du 24 au 30 août, n’aura pas lieu. Emporté par la pandémie de Covid-19, le « sommet du trail », comme le nomme les organisateurs de l’UTMB, ne réunira pas cette année ses quelque 10 000 coureurs venus de 111 pays.
« Tout le monde est déçu », admet Catherine Poletti. L’entreprise, qui emploie 15 salariés à temps plein uniquement pour l’événement du mont Blanc, a dû mettre certains membres de son personnel au chômage technique. Les partenaires commerciaux perdent une vitrine d’exhibition importante. Toute la vallée de Chamonix, qui dépend en grande partie du tourisme, devra compenser avec un manque à gagner. Mais tenir la course envers et contre tout aurait créé autant de déception, assure Mme Poletti.
La crise éclate
Cet hiver, elle se trouve en Thaïlande afin de développer une nouvelle franchise du circuit « by UTMB » lorsqu’elle commence à entendre parler du virus. Rapidement, « il y a eu de la pression », se souvient-elle.
« Les gens voulaient savoir tout de suite ce qu’on allait faire fin août, alors que nous, on pensait avoir du temps », explique-t-elle. Le tirage au sort et les inscriptions se faisant en début d’année, la majorité des coureurs avaient acheté leurs billets d’avion et réservé leur hébergement.
Lorsque la crise éclate véritablement, mi-mars, et que le gouvernement français impose le confinement et ordonne la fermeture des commerces non essentiels, toute l’équipe se retrouve en mode télétravail. Partout sur la planète, des organisateurs de trail commence à annuler leur événement.
À cette période, Catherine Poletti espère encore tenir l’UTMB. L’équipe planche sur différents scénarios, raconte-t-elle, notamment celui de ne tenir que trois courses sur sept, soit l’OCC, la CCC et l’UTMB, sur un seul week-end.
L’idée de n’inviter que 722 coureurs, comme lors de la toute première édition de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, est aussi étudiée.
Le report à l’automne également, « mais ça n’arrangeait personne, confie-t-elle. Parce qu’à cette époque, on sort de la saison touristique, il y a la rentrée des classes, et pour nos partenaires équipementiers, c’est problématique parce qu’ils passent en collection d’hiver. La question du report a donc été laissée tomber. »
Un sondage est envoyé aux coureurs inscrits, afin de connaître leur état d’esprit face au maintien de l’UTMB dans telles ou telles conditions. Selon Catherine Poletti, 60 % d’entre eux disent vouloir participer quand même à l’événement, « mais ils sont tous européens ».
« Quand on fait un événement international, s’il n’y a que des Européens, ce n’est plus la même chose », estime-t-elle.
Plus les jours passent, et plus les réflexions se compliquent, raconte-t-elle encore. D’abord, instaurer toutes les mesures de distanciation sociale et de protection des bénévoles et des équipes, « c’est extrêmement cher ».
« Faire une course où tous les coureurs sont masqués, où ils ne peuvent pas se doubler sans se prévenir et garder la distance, où ils arrivent dans des ravitaillements avec des bénévoles derrière des Plexiglas, avec des masques, et qu’à l’arrivée, la place est vide, parce qu’on n’a pas le droit d’avoir du public, fait que nous allions dépenser beaucoup d’argent, et faire beaucoup de travail, pour quelque chose qui allait décevoir tout le monde », détaille Catherine Poletti.
Face à l’obligation de réduire le nombre de participants, le gouvernement français ayant interdit les événements de plus de 5000 personnes, comment choisir les heureux élus? « Et ceux qui allaient venir coûte que coûte, ils vivraient une expérience qui n’est pas celle qu’ils attendent », insiste Mme Poletti.
« [Mon mari] Michel, qui est coureur, m’a dit : ce n’est pas ça, le trail. Mieux vaut annuler. »
Annoncer la triste nouvelle
Catherine Poletti a déjà fait savoir que l’organisation annoncerait sa décision le 20 mai, puisque cette date tombait trois mois avant la tenue de l’événement.
La décision finale est prise autour du 17-18, se remémore-t-elle, mais les équipes de communication n’ont pas attendu cette date pour préparer une stratégie.
Dans un premier temps, l’annonce est partagée – en secret – aux partenaires de l’UTMB : les communes françaises, italiennes et suisses par lesquelles passent les courses; les autorités gouvernementales concernées; les marques sportives commanditaires. « Il était important que les gens qui sont investis dans l’UTMB n’apprennent pas cela par les réseaux sociaux, par hasard, justifie Catherine Poletti. Il fallait qu’ils l’apprennent de notre part, c’est plus correct. »
Puis, le 20 mai, à 11 h, le communiqué de presse est envoyé partout, en même temps qu’une vidéo et une mise à jour sur le site web et les réseaux sociaux.
« C’est très difficile d’annoncer une annulation, surtout trois mois avant, s’émeut-elle. J’ai déjà arrêté la course en 2010, mais là, c’était visible pour tout le monde qu’on ne pouvait pas faire autrement. »
À l’époque, les conditions météo catastrophiques avaient forcé la directrice à interrompre la course alors qu’elle était déjà partie. « On travaillait sur l’adrénaline et dans le temps présent », se souvient-elle.
À l’annonce de l’annulation, les réactions vont dans tous les sens. Du bord des insatisfaits, les plaintes pleuvent sur les réseaux sociaux. Beaucoup reprochent à l’organisation de ne rembourser que 55 % des frais d’inscription. Et ce, même si le règlement de la course, que tous les participants acceptent au moment de s’inscrire, est clair à ce sujet :
En cas d’annulation d’une épreuve, pour quelque raison que ce soit, décidée plus de 15 jours avant la date du départ, un remboursement partiel des droits d’inscriptions sera effectué. Le montant de ce remboursement sera fixé de façon à permettre à l’organisation de faire face à l’ensemble des frais irrécupérables engagés à la date de l’annulation.
Extrait du règlement de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc
« Quel que soit le taux de remboursement, les gens auraient été fâchés, pense Catherine Poletti, parce qu’ils étaient dans une période de très grande déception. »
« Nous ne pouvions pas faire autrement, ajoute-t-elle, parce qu’on avait déjà engagé plus de 45 % de dépenses. »
L’UTMB est régulièrement accusé d’être devenu une « machine à fric ». La présidente du groupe UTMB se félicite pour sa part d’avoir bâti « une entreprise qui marche », qui crée de l’emploi et « qui rend les gens heureux ». « On n’a pas un train de vie monumentale, assure-t-elle. Tout ce qu’on a gagné, on l’a réinvesti pour faire avancer l’UTMB. On a des actionnaires qui ne gagnent rien pour l’instant. Évidemment, on n’oublie pas de vivre, parce que, quand même, tout travail mérite salaire. »
Les coureurs retenus pour l’édition 2020 auront une place garantie sur la compétition au cours des trois prochaines années, selon leur préférence. Ils devront toutefois acheter leur dossard.
Et maintenant?
Il fallait rester dans l’action, « en faisant quelque chose, en avançant, en s’adaptant à la situation, dit Catherine Poletti. On n’est pas tous dans un coin en train de pleurer, et pourtant on pourrait! »
L’idée de tenir une compétition alternative, à la fois virtuelle et sur les lieux, fait son bout de chemin. Elle sera annoncée plus tard, assure la présidente. « Ce sera une opération associative et solidaire, dédiée à la solidarité, qui fait partie de notre ADN », prévient-elle.
Avec un été un peu moins chargé devant elle, Catherine Poletti souhaite consacrer un peu plus de temps à ses petits-enfants et à ses amis, même si le travail restera prenant. Elle assure graduellement la transition des responsabilités de l’entreprise à ses enfants. Son mari Michel vient de prendre sa retraite, tout en restant actif à titre de conseiller. « Vous savez que je suis plus âgée que mon mari? », lance-t-elle, malicieuse, avec le franc sourire qu’on lui connaît.
Peu après la publication de cet article, Catherine Poletti a quitté la direction générale de l’UTMB pour prendre la présidence du groupe UTMB. Elle a été remplacée par Frédéric Lénart, l’ancien directeur général de l’Automobile Club de l’Ouest (2012-2018), organisateur notamment des 24 Heures du Mans.
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