Début mars, les traileurs s’accrochaient encore à leur dossard, mais ils ont vite dû se rendre à l’évidence : leur course n’échapperait pas à la crise sanitaire. Michel Arnaud, l’emblématique organisateur du Trail des Citadelles, dans les Pyrénées, a dû annuler son événement, la boule au ventre. Distances+ revient avec lui sur le déroulé et les conséquences de l’abrogation des Citadelles, un crève-cœur pour les coureurs, les organisateurs et la région, à l’image de ce que de nombreuses courses vivent depuis la fin de l’hiver.
Pour de nombreux coureurs du sud-ouest de la France, le dimanche de Pâques est synonyme de Trail des Citadelles, qui propose quatre distances : 24 km (1200 m D+), 40 km (2000 m D+), 55 km (2600 m D+) et 70 km (3300 m D+).
Depuis 2001, la petite cité ariégeoise de Lavelanet voit converger, au sortir de l’hiver, une file de coureurs de plus en plus étoffée, et des grands noms comme le triple champion du monde de trail Luis Alberto Hernando ou le champion du monde par équipe Nicolas Martin. Le 12 avril dernier, Michel Arnaud devait lancer 2000 traileurs à l’assaut des emblématiques châteaux cathares Montségur et Roquefixade. Mais les circonstances en ont voulu autrement.
Tout bascule en quelques jours
La publication Facebook du 4 mars sur la page de l’événement était toujours rassurante : « le Trail des Citadelles est bien entendu maintenu. Un joli buff sur le visage en guise de masque, et ça passe », pouvait-on lire.
Mais quatre jours plus tard, les nouvelles ne sont plus bonnes. Le virus se propage rapidement. Les gros rassemblements commencent à être annulés. La mort dans l’âme, Michel et son équipe prennent la décision d’annuler la course avant même qu’on leur impose ce choix et l’annoncent à leur communauté dès le lendemain, le 9 mars.
La majorité des coureurs comprennent la situation, mais des réactions critiques fleurissent : « vous êtes bidons », « franchement décevant », « vous vous pliez bien comme des moutons ». D’autres, espérant encore sans doute, y vont de leur conseil, comme de proposer des départs différés sur deux jours ou de partir par petits groupes heure par heure.
En plus de la déception énorme de ne pas mener à bien le projet, Michel doit gérer ces messages négatifs. Pour lui, c’est un peu la double peine, mais il s’efforce de « ne pas répondre à chaud ». Depuis, plusieurs de ces vifs messages ont été effacés par leur auteur.
Le 11 mars, les organisateurs se fendent d’un nouveau communiqué pour bien enfoncer le clou, car certains ont encore du mal à comprendre l’ampleur de la crise : « L’annulation est actée, écrivent-ils. Le seuil des 1000 participants peut varier d’un jour à l’autre. Les mesures d’hygiène imposées seraient sans doute compliquées à mettre en œuvre. Et d’ici quelques semaines, services de sécurité, secours et médecins auront certainement des préoccupations plus urgentes que l’encadrement d’une course. Si vous en doutez, jetez un œil du côté de l’Italie (où tout a commencé en Europe). En ce sens, il nous paraissait correct de vous prévenir au plus tôt, en pensant notamment aux participants qui viennent de loin. »
Les Citadelles en péril?
Comment ne pas mettre en péril l’association « Trail des Citadelles »? La question s’est posée très vite. Certes, il n’y a pas d’emploi direct concerné, car l’association ne fonctionne qu’avec des bénévoles, mais derrière, c’est toute une économie locale et les professionnels du secteur (société de chronométrage, d’animation…) qui vont être impactés si les organisations sportives ne peuvent pas se relever de la crise.
Contrairement aux événements qui sont annulés aujourd’hui, le Trail des Citadelles n’a pas eu le temps d’anticiper. À un mois de la course, beaucoup de frais avaient été engagés. Il a donc fallu faire le point très vite avec le trésorier pour trouver la meilleure solution. Les Citadelles 2020, c’étaient 2000 coureurs, répartis sur quatre épreuves, 150 bénévoles et un budget de 80 000 euros. Les recettes proviennent en grande majorité des droits d’inscription. L’autre source de financement étant les subventions des collectivités territoriales et quelques partenaires privés.
Il n’était viablement pas possible de proposer un remboursement complet du prix des dossards, selon Michel Arnaud. « Après réflexion, nous avons donc décidé de reporter toutes les inscriptions sur la prochaine édition. Ainsi, notre équilibre financier est assuré. Pour celles et ceux qui ne pourraient ou ne souhaiteraient pas être présents en 2021, un remboursement est toutefois possible, à hauteur de 66 %. » En ce début juin, seules 64 personnes sur 2000 avaient demandé leur remboursement.
Pourquoi ne pas avoir décidé de reporter à l’automne? « Les Citadelles riment vraiment avec week-end de Pâques », se justifie Michel. Les reporter, c’était un peu dénaturer l’événement. C’était aussi risquer une nouvelle déconfiture. C’était entrer en concurrence avec d’autres compétitions. Et puis, pour l’équipe d’organisateurs, c’était risquer de se brûler les ailes et de perdre beaucoup d’énergie et d’envie pour organiser sereinement l’édition 2021. »
Lourdes conséquences économiques
L’annulation de ce rassemblement populaire entraînera un manque à gagner pour l’économie locale. Le week-end pascal, c’est 4 à 5000 personnes qui convergent vers le Pays d’Ormes. Les deux tiers des participants ne sont pas originaires d’Ariège, alors gîtes, campings, locations font le plein. Les coureurs repartent avec des spécialités locales. Ils en profitent aussi pour visiter les environs avec leur famille.
L’Ariège est un terrain d’entraînement très attrayant, où les traileurs aiment venir se mettre au vert dans la région et profiter des parcours de la course pour accumuler des kilomètres et du dénivelé. Ils en profitent pour consommer. Mais le confinement, puis la limitation de circulation dans un périmètre de 100 km autour de chez soi jusqu’au début juin, ont contraint les sportifs à renoncer à ces habitudes. Là encore, c’est toute la vie et l’économie locale et touristique qui en subit les conséquences.
Organiser un trail d’une telle ampleur, c’est plus de six mois d’investissement, des soirées de réunions, des journées sur le terrain… C’est un projet qui se construit petit à petit, et là, il a été stoppé en plein vol. Impuissant, Michel Arnaud a encore du mal à réaliser que ce n’était pas un cauchemar. Il sait qu’il va devoir se remettre en marche avec son équipe pour penser à 2021, mais pour l’instant, il digère encore un peu cette grande déception. Quelque chose d’indéfinissable s’est brisé, estime-t-il. Il n’est pas sûr que tout redevienne exactement comme avant.
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