Faire bouger nos enfants est une absolue nécessité, mais ne risque-t-on pas d’en faire trop? Sachant que leur corps et leur esprit sont en développement permanent, doit-on les pousser? Les freiner? Les initier à un maximum de sports? Les inciter à ne se concentrer que sur un seul? Je vous propose de traiter ce sujet important en profondeur afin de les accompagner au mieux dans leur pratique de l’activité physique.
Les aptitudes fondamentales
Lancer, sauter, courir, nager, dribler, grimper, frapper… les aptitudes fondamentales du sportif sont nombreuses. Elles sont nécessaires pour le développement des compétences physiques, comme l’agilité, l’équilibre, la coordination ou encore la vitesse, auxquelles s’ajoutent les compétences affectives (motivation, confiance), cognitives (savoir, compréhension) et comportementales. On comprend qu’il est souhaitable de pratiquer plusieurs activités sportives pour apprendre à maîtriser ces aptitudes.
Spécialisation précoce ou diversification précoce ?
Dès le primaire, le jeu libre perd des plumes au détriment du sport organisé, avec des règles imposées. Ce dernier favorise la performance, mais il est moins ludique. Aussi, la prédominance du sport organisé dès les premières années d’école va de pair avec l’augmentation de la spécialisation précoce chez les jeunes. On parle de spécialisation précoce lorsqu’une activité sportive est pratiquée plus de huit mois par année chez les moins de 12 ans et qu’il s’agit d’une pratique exclusive.
À l’inverse, la diversification précoce vise à exposer nos jeunes à toute une palette d’activités sportives qui permet le développement de plusieurs aptitudes fondamentales dans un contexte ludique, non compétitif. Cette pratique semble maximiser les chances de former des adultes qui demeureront actifs, équilibrés et en santé à travers le développement d’habiletés sociales, cognitives et motivationnelles par le sport. L’idée est de les faire devenir des athlètes complets avant de les inviter à se spécialiser, vers la fin de l’adolescence (15-16 ans).
Nous savons aujourd’hui que les jeunes qui se spécialisent très tôt persistent moins dans la pratique régulière de sports et ne gardent pas forcément un style de vie actif à l’âge adulte.
Est-ce qu’une spécialisation précoce est fondamentale pour devenir un athlète élite ?
Entre 3,3 % et 11,3 % des jeunes athlètes américains atteignent le niveau NCAA (National Collegiate Athletic Association), mais seulement de 0,03 % à 0,5 % d’entre eux atteignent un niveau professionnel.
La spécialisation dans une discipline semble faire consensus soit nécessaire pour atteindre un niveau élite ou professionnel, mais à quel moment un jeune athlète devrait-il se spécialiser pour maximiser ses chances de succès ? Sur cette question, il y a un débat.
Plusieurs études, dont celles de Côté (2009), Brenner (2013) et Jayanthi (2015), ont démontré que, dans la majorité des sports, une diversification précoce avec spécialisation tardive (à la fin de l’adolescence) pousse le plus souvent à un succès aux niveaux élite et professionnel. On note également que les athlètes qui se sont spécialisés très tôt auraient une carrière professionnelle plus courte.
Il existe toutefois des exceptions. La spécialisation précoce est par exemple essentielle au succès comme athlète de haut niveau en gymnastique, en patinage artistique ou encore en plongeon, parce que ce sont précisément des disciplines où le pic de performance est atteint avant la maturation complète du corps.
L’impact à long terme d’un entraînement intense sur la santé et le bien-être des jeunes élites est toutefois nébuleux. Au moins deux études portant sur de jeunes gymnastes et de jeunes patineurs artistiques n’ont constaté aucun impact négatif sur leur croissance et leur développement pubertaire.
Par ailleurs, les études soulignent que si ce sont les parents qui sont généralement à l’origine d’une pratique sportive chez les enfants, ce serait les entraîneurs qui imposeraient une spécialisation précoce aux préadolescents, avec un volume d’entraînement élevé.
Les risques de la spécialisation précoce en sports d’endurance
Les jeunes athlètes qui se spécialisent précocement en sports d’endurance sont plus à risque de souffrir d’un déficit alimentaire, d’un surentraînement, de blessures de surcharge et de fractures de stress. Une attention particulière doit donc être portée à leur nutrition et à la progression de leur programme d’entraînement, qui devrait en outre comporter des périodes de repos.
Aux États-Unis, la natation et le cross-country, deux disciplines dont la popularité ne cesse de croître depuis 25 ans, sont pointées du doigt. Une semaine d’entraînement de type cross peut inclure de 75 à 90 km par semaine en préparation d’une épreuve de seulement 5 km pour des athlètes de 12 à 16 ans. D’autres programmes comme le Students Run L.A. Marathon Training suggèrent des sorties de 25 km par jour pour les jeunes qui veulent compléter un marathon.
Devant une charge d’entraînement élevé chez les jeunes, il est essentiel d’être à l’affût du syndrome de surentraînement, qui se manifeste par de la fatigue, une humeur maussade, de l’irritabilité, une baisse de performance, un sommeil fractionné, une perte d’appétit combinée à une fluctuation pondérale ou uniquement une perte de poids et une baisse d’intérêt ou de motivation. La fréquence cardiaque au repos le matin peut aussi être accélérée et les résultats scolaires sont habituellement affectés.
Chez les jeunes filles, une aménorrhée primaire (absence de menstruations après l’âge de 15 ans ou après le développement de la poitrine) peut également être provoquée par un entraînement soutenu. Les trois symptômes fréquents chez les jeunes athlètes féminines sont le manque d’énergie avec ou sans déficit alimentaire, le dérèglement du cycle menstruel et une densité osseuse faible.
Les recommandations officielles pour structurer l’entraînement de nos jeunes
Force est de constater qu’il y a un grand vide dans la littérature sur la façon de construire un programme d’entraînement sécuritaire pour les jeunes. Par où commencer et où doit-on s’arrêter ? Les réponses à ces questions ne sont pas claires. Pour tenter d’y répondre, voici les recommandations de différents organismes :
À la base de la pyramide, la Société canadienne de physiologie de l’exercice recommande aux jeunes d’âge scolaire de cumuler des périodes d’activité physique d’intensité modérée à élevée (suer) de 60 min par jour en plus de plusieurs heures d’activités physiques variées d’intensité légère (bouger), structurées et non structurées, quotidiennement.
Devant le nombre élevé de blessures observées dans les sports d’endurance, l’International Marathon Medical Directors Association estime que l’âge minimal pour participer à un marathon est de 18 ans. Pourtant, une étude effectuée sur 310 jeunes marathoniens âgés de 7 à 17 ans ayant participé au Twin Cities Marathon entre 1982 et 2007 a reporté un taux de blessures de 12,9 sur 1000 coureurs, une statistique en deçà du taux moyen de blessures chez les coureurs adultes.
Une étude de Krabak publiée en 2016 propose de limiter le volume d’entraînement de 50 à 60 km par semaine à l’adolescence afin de limiter le risque de blessures.
Une autre étude de Jayanthi (2015) propose de limiter l’entraînement à un sport unique et d’augmenter progressivement le volume en fonction de l’âge de l’enfant (10 ans = 10 heures; 11 ans = 11 heures, etc.) pour plafonner à 16 heures par semaine.
Notre Fédération québécoise d’athlétisme (FQA) propose de limiter les enfants à 1 km de course avant l’âge de 7 ans, à 2 km avant 11 ans, à 3 km avant 13 ans, à 5 km à 15 ans et à 10 km à 17 ans. Les sources qui appuient ces recommandations ne sont pas disponibles sur le site de la FQA, mais il s’agit de toute évidence de conseils d’experts basés davantage sur l’expérience que sur la science.
L’American Academy of Pediatrics Council of Sports Medicine and Fitness (AAP COSMF) s’est prononcée contre les programmes d’entraînement à grand volume et pour la promotion de l’entraînement dirigé selon la motivation de l’enfant et non celle du parent ou de l‘entraîneur. Elle suggère également de limiter la pratique d’un sport ciblé à 5 jours par semaine et de laisser minimalement une journée par semaine sans aucune activité sportive organisée. Elle recommande de deux à trois mois de repos complet par année du sport ciblé et une augmentation maximale de 10 % par semaine du volume d’entraînement.
L’organisme sans but lucratif Au Canada, le sport c’est pour la vie propose quant à lui un modèle de développement à long terme de l’athlète (DLTA) en sept stades, qui respecte respectant les phases de développement de l’enfant.
L’avis du Doc Benoit
Laisser la motivation interne d’un jeune dicter le volume d’entraînement me semble une recommandation solide. Il est certain qu’un volume élevé d’entraînement comporte des risques. Cet engagement sportif peut tout de même certainement convenir à un jeune talentueux débordant d’enthousiasme s’il est libre de décider de réduire son volume d’entraînement ou même d’y mettre un terme à tout moment. Il devient toutefois sage, à ce moment-là, de s’entourer d’un entraîneur et de bénéficier d’un suivi médical (médecin, phytothérapeute, chiropraticien, ostéopathe, kinésithérapeute) et nutritionnel serré.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a dix fois plus d’enfants obèses qu’il y a 40 ans. En 2016, 7,79 % des jeunes garçons et 9,92 % des jeunes filles d’âge scolaire étaient obèses. Les deux grands coupables sont la malbouffe et la sédentarité. Gardons en tête que plus la proportion des enfants sédentaires est élevée, plus les jeunes très actifs paraissent discordants aux yeux de « monsieur et madame Tout-le-monde ».
La pratique régulière de sports donne envie de mieux manger et incite à ne pas fumer. Souhaitons que nos jeunes athlètes inspirent leur entourage et soient montrés en exemples comme des citoyens responsables et non pas considérés comme des extravagants, qui exagèrent.
Objectif absolu : la recherche de l’équilibre chez nos enfants
Nous n’insisterons jamais assez sur l’importance d’enseigner aux enfants la recherche d’un équilibre de vie dans lequel chaque aspect (famille, amis, école, sports, amours, loisirs) a une place importante. La connaissance de soi, l’écoute, le contrôle, la remise en question sont toutes des aptitudes essentielles au développement de petits individus heureux et comblés. Chaque jeune étant différent, je ne crois pas qu’il soit souhaitable de tous les mettre dans le même panier. Un sourire franc et un rire éclatant demeurent des indices de bien-être qui ne mentent pas.
La ligne est bien mince entre pousser nos enfants vers la persévérance et le dépassement de soi et dévier vers la projection de nos propres ambitions de parents ou d’entraîneurs sur leurs performances de nos enfants. Soyons à l’affût de ces pièges et poussons nos enfants à rechercher l’équilibre de vie afin qu’ils deviennent des adultes actifs, inspirants, heureux et en santé.
Simon Benoit est médecin de soins critiques en urgence, en plus de tenir une pratique de bureau axée sur la médecine sportive. Il est membre de l’Association québécoise des médecins du sport. Il est également diplômé en physiothérapie et en chiropratique et est ambassadeur de La Clinique du Coureur. Lisez tous ses textes !