L’humain est « homéotherme », c’est-à-dire que sa température corporelle est régulée pour rester proche de 37 degrés Celsius (entre 35°C et 41°C). L’équilibre thermique est principalement influencé par des paramètres environnementaux (température ambiante, humidité, vitesse de l’air et rayonnement solaire), l’activité physique (production de chaleur métabolique et vêtements) et de facteurs individuels tels que l’âge, le sexe, la masse corporelle et la morphologie. Lorsque le corps est en mouvement, seule 25 % de l’énergie apportée par les substrats (glycogène, glucides, lipides…) est convertie en travail mécanique musculaire. Les 75 % restant sont libérés sous forme de chaleur. Pour qu’un effort en endurance puisse se poursuivre, des mécanismes de régulation de la température sont nécessaires. Voici les clés pour maîtriser l’art de l’acclimatation à la chaleur.
Des recommandations suivront les explications qui sont nécessaires à la bonne compréhension de l’impact de la chaleur sur l’organisme en mouvement.
La régulation de la température corporelle se fait grâce à des mécanismes de convection (circulation de l’air ou de l’eau), de conduction (contact direct), au rayonnement, et par l’évaporation de la sueur. C’est parce que la sueur s’évapore difficilement lorsque l’hygrométrie est élevée que les ambiance chaudes et humides sont les plus difficiles à tolérer. Il faudra alors maximiser le refroidissement par conduction par exemple en appliquant de la glace sur la nuque et les aisselles (zones de passage des artères principales).
La durée pendant laquelle un animal peut courir est déterminée par sa capacité à dissiper plus de chaleur que n’en produit l’effort de sa course, de manière à éviter une montée excessive de la température corporelle. L’humain est l’un des rares mammifères (avec le cheval par exemple) à se refroidir grâce à l’évaporation de sa transpiration. Par rapport au halètement (une respiration précipitée et bruyante) utilisé par de nombreux mammifères comme le chien, cette stratégie a l’avantage d’utiliser toute la surface corporelle, ce qui en fait un mode de refroidissement beaucoup plus performant pour une activité intense comme celle de la course à pied. Sa capacité à produire une grande quantité de sueur et sa faible pilosité permettent d’optimiser l’efficacité de la thermorégulation chez l’humain, ce qui fait de lui un animal particulièrement adapté à la course d’endurance.
Les différences de tolérance à la chaleur que l’on note entre hommes et femmes sont en réalité des différences dues à la morphologie (un homme et une femme de morphologie similaire ont en effet une régulation de la température similaire). Les femmes ont une plus grande surface corporelle par rapport à leur masse. Leur régulation de la température repose davantage sur la vasodilatation au niveau de la peau. Le sang qui se retrouve au niveau cutané se refroidit par convection et conduction (comme pour un radiateur hydraulique). Plus le gradient de température entre la peau et la température interne est élevé, meilleure sera la tolérance à la chaleur. Les hommes ont en moyenne une surface corporelle réduite en proportion de leur masse corporelle, et la régulation de leur température repose plus sur une sudation abondante (et son évaporation). On peut donc supposer que les individus de plus petite corpulence (souvent les femmes) pourraient être mieux adaptés à un effort prolongé dans des environnements chauds et humides, où l’évaporation de la sueur est limitée, et aux conditions dans lesquelles les pertes sudorales ne peuvent pas être compensées par l’apport hydrique, comme lors d’un trail ou un ultra-trail.
Comprendre ce qu’il se passe quand on fait un effort dans la chaleur
Mais que se passe-t-il au niveau de l’organisme lorsqu’on produit un effort d’endurance en ambiance chaude ?
Plusieurs mécanismes peuvent expliquer l’altération de la performance en endurance observée en ambiance chaude :
- au niveau cardio-vasculaire, on observe une diminution du volume d’éjection systolique (volume sanguin éjecté à chaque battement cardiaque) que l’augmentation de la fréquence cardiaque ne peut compenser, et qui entraine donc une diminution du débit sanguin, et par conséquent un moindre apport en oxygène aux muscles actifs, d’autant plus qu’une partie de la circulation sanguine est dirigée au niveau cutané afin de dissiper la chaleur. Au fil de l’effort, la déshydratation progressive entraine une diminution du volume sanguin qui accentue ces phénomènes.
- au niveau central, on constate une diminution de l’activation musculaire et donc de la capacité à produire de la force. La perception de l’effort est aussi drastiquement augmentée, ce qui oblige à ralentir ou à stopper l’effort.
- au niveau périphérique (musculaire), on constate une augmentation de l’utilisation des glucides au détriment des lipides, une accumulation de métabolites (ions H+ et phosphate inorganique), et des signaux nerveux inhibant la production de force (c’est un mécanisme de protection de l’organisme).
Ces différents mécanismes concourent à une diminution de la VO2max et à une augmentation de la perception de l’effort pour une intensité donnée.
Pour illustrer ces adaptations cardiovasculaires à l’exercice en ambiance chaude avant l’acclimatation, prenons l’exemple de 40 km de cyclisme en contre-la-montre en condition chaude (35°C et 60 % d’humidité) ou en condition tempérée (20°C et 40 % d’humidité). La gestion de l’effort est libre (« self-paced »). Les graphiques suivants indiquent l’évolution de la puissance (« power output » – similaire au début puis qui décroit en condition chaude), de la fréquence cardiaque (« heart rate »), du volume d’éjection systolique (« stroke volume »), du débit cardiaque (« cardiac output ») et de la pression artérielle moyenne (« mean arterial pressure ») au fil de l’effort.
Les risques pour la santé de la chaleur lors d’une activité physique
Les athlètes bien entraînés et de niveau élite peuvent généralement tolérer des températures centrales jusqu’à 40°C sans danger. Néanmoins, il semble nécessaire de s’acclimater pour minimiser l’altération de la performance associée à l’hyperthermie, et surtout éviter les risques pour la santé. Avant de passer aux stratégies d’acclimatation, faisons donc un bref rappel des risques potentiels pour la santé d’un exercice en ambiance chaude lorsque celui-ci dépasse les capacités de thermorégulation du corps :
- l’épuisement dû à la chaleur est attribuable à une perte des tissus en eau et en sels minéraux consécutive à une sudation trop abondante. Les signes et symptômes de l’épuisement sont nombreux : sudation abondante, sensation de faiblesse, d’étourdissement ou de soif intense, troubles de la vue, nausées, maux de tête, vomissements, diarrhée, crampes musculaires, difficulté respiratoire, palpitations, picotements et sensation d’engourdissement dans les mains et les pieds. Il est nécessaire de se mettre au frais et de s’hydrater avec une boisson riche en électrolytes.
- la syncope due à la chaleur se manifeste par une sensation de vertige et une perte de conscience, attribuables à une diminution temporaire du débit sanguin cérébral alors que l’athlète est debout. La syncope survient surtout chez les sujets non acclimatés. Ce malaise est causé par la diminution du volume sanguin suite à une sudation abondante et par une chute de tension artérielle. Encore une fois, Il est nécessaire de se mettre au frais et de s’hydrater avec une boisson riche en électrolytes.
- le « coup de chaleur » est le malaise causé par la chaleur le plus grave. Les signes du coup de chaleur comprennent une température corporelle souvent supérieure à 41°C et une perte de conscience complète ou partielle. La transpiration n’est pas un bon indicateur du coup de chaleur, étant donné qu’il y a deux types de coups de chaleur : le coup de chaleur « classique », qui s’accompagne d’une transpiration réduite ou nulle (il survient habituellement chez les enfants, les personnes souffrant d’une maladie chronique et les personnes âgées) et le coup de chaleur « d’effort », caractérisé par une augmentation de la température corporelle en raison d’une activité physique ou d’un travail intense et généralement accompagné de transpiration. Le coup de chaleur nécessite des premiers soins (refroidissement très rapide) et un examen médical immédiats. Le délai du traitement peut causer la mort.
Se préparer à une compétition
Pour se préparer à une compétition qui risque d’avoir lieu dans des conditions chaudes, et a fortiori si elles seront humides, il est nécessaire de s’acclimater en amont. Si vous n’appréciez pas la chaleur, sachez que vous bénéficierez d’autant plus de cette acclimatation.
Le but de l’acclimatation est d’exposer l’organisme à un stress thermique répété, que ce soit dans un environnement naturellement chaud ou par l’utilisation d’une chambre thermique, afin d’induire des adaptations cardio-vasculaires et sudorales limitant la diminution de performance à l’effort.
Les adaptations cardio-vasculaires passent tout d’abord par l’augmentation du volume sanguin total, qui permet une meilleure élimination de la chaleur par la sudation et un maintien de la pression artérielle et du remplissage du cœur. On mesure ainsi une diminution de la fréquence cardiaque pour une même intensité d’effort associée à un volume d’éjection systolique et un débit cardiaque supérieur, et un débit cardiaque qui se maintient durant l’effort, ce qui permet une meilleure perfusion des muscles et une augmentation de la vascularisation cutanée, permettant le refroidissement du corps par convection et conduction. Ces adaptations seront aussi bénéfiques à la performance en milieu tempéré.
L’adaptation sudorale est marquée par un raccourcissement du délai entre le début de l’effort et l’apparition de la transpiration, ce qui favorise une meilleure élimination de la chaleur par évaporation, une transpiration plus abondante (permettant ainsi un refroidissement plus important par évaporation), mais moins concentrée en minéraux, ce qui limite le risque de déshydratation.
La figure suivante montre la chronologie des adaptations sur une durée de 15 jours d’un protocole d’acclimatation. On constate qu’après 7 jours la majorité des adaptations sont en place, avec une durée optimale de 2 semaines pour optimiser les adaptations sudorales et la performance à l’effort.
Comment s’acclimater à la chaleur ?
Maintenant que l’on a bien identifié l’utilité d’une acclimatation, comment procéder ?
Intuitivement, on peut penser que les adaptations les plus spécifiques seront conférées par un entraînement dans le même environnement que celui de la compétition à venir. Cependant, lorsque cela n’est pas possible, on peut recourir à une exposition à la chaleur artificielle, soit de manière active avec un entraînement en chambre chaude (qui permet parfois de paramétrer précisément la température et le l’hygrométrie cible) ou un entraînement avec des couches de vêtements supplémentaires, soit de manière passive en prolongeant le temps passé par l’organisme à une température supérieure à 38°C en s’immergeant dans un bain chaud (40°) ou un sauna durant 30 à 40 min immédiatement avant ou après un entrainement réalisé dans un environnement thermoneutre. Cette stratégie est intéressante les jours où l’on souhaite réaliser un entraînement à intensité cible, pour préserver la qualité de celui-ci, ou durant la période d’affûtage.
La condition fondamentale pour une acclimatation efficace à la chaleur implique des augmentations substantielles et répétées de la température centrale, de la température cutanée et de la transpiration. Pour optimiser l’adaptation, on visera des séances en ambiance chaude d’une durée de 60 à 90 minutes, sur une durée de deux semaines au total. Des séances d’entraînement supplémentaires peuvent aussi être effectuées dans des environnements plus frais, notamment les séances les plus intenses dans un premier temps pour éviter le malaise et préserver les qualités biomécaniques. Il est recommandé en outre de dormir et de récupérer dans un environnement frais. Si on est en période de canicule, il faudra prendre en compte la fatigue supplémentaire d’une récupération plus compliquée. Il faudra aussi veiller à l’hydratation (eau et minéraux), ainsi qu’à la restauration des stocks en glycogène, puisqu’en ambiance chaude ce substrat est privilégié par l’organisme.
Afin de contrôler de façon sûre et efficace l’intensité relative pendant l’effort, on peut utiliser une fréquence cardiaque cible. Au fil de l’acclimatation, l’intensité absolue pourra augmenter pour une même fréquence cardiaque, ce qui indique une bonne adaptation. Il est aussi possible de contrôler l’intensité de l’effort en fixant une vitesse ou une puissance cible, ou bien en cherchant à maintenir une température centrale à 38,5°C en cas de protocole où l’individu ingère une gélule-thermomètre (oui oui !). En toute logique, l’intensité absolue de l’entraînement sera plus basse, notamment les premiers jours, et il est possible de commencer le programme d’acclimatation avec une charge thermique réduite (c’est-à-dire une température, une durée ou une intensité d’exercice plus faibles).
Si la séance d’entraînement contient des intervalles à haute intensité, il est préférable de les réaliser en début de séance, avant que l’athlète n’atteigne une température corporelle trop élevée. Comme on l’a vu précédemment, une durée de deux semaines d’acclimatation à la chaleur est optimale avant de concourir dans des conditions ambiantes chaudes et/ou humides. Suite à l’acclimatation, on constate que les adaptations acquises se dégradent de façon symétrique, mais à un rythme probablement plus lent. Il a en effet été démontré que la plupart des adaptations s’estompent après une à deux semaines, mais que certains bénéfices peuvent se maintenir jusqu’à un mois. On pourra cependant maintenir l’acclimatation en répétant régulièrement (1 à 2 fois par semaine) des expositions à la chaleur. En outre, après une première acclimatation complète, la ré-acclimatation sera plus rapide sur une deuxième période d’exposition. Ainsi, il est possible d’organiser le principal bloc d’acclimatation à la chaleur quelques semaines avant la compétition cible, suivi de quelques séances de « rappel » durant la suite de la préparation et l’affûtage, puis de réaliser une ré-acclimatation finale quatre à cinq jours avant la compétition, en arrivant sur place.
Voici, ci-dessous, un exemple d’optimisation de la performance en ambiance chaude que l’on peut atteindre suite à une acclimatation. Sur le graphique on peut voir la puissance produite lors d’une épreuve de contre-la-montre cycliste de 43,4 km effectués successivement, d’abord au frais (8°C) (Cool), puis le premier jour en conditions chaudes (37°C) (Hot 1), puis après 6 jours (Hot 2) et 14 jours (Hot 3) d’entraînement à 37°C. Ces données montrent que l’acclimatation permet d’estomper fortement la dégradation de la performance induite par la chaleur.
Une fois que vous serez parfaitement acclimaté, il existe des stratégies à adopter juste avant et pendant l’effort pour optimiser la performance en conditions chaudes et limiter les risques pour la santé, mais celles-ci pourraient faire l’objet d’un article à part entière. Ces stratégies pendant l’effort visent à faire baisser la température cutanée et centrale et à limiter la déshydratation au fil de l’épreuve.
Sabine Ehrström est coach au sein de la structure Vercors Training Lab. Elle est notamment spécialisée dans l’entraînement des athlètes féminines. Sabine compte également parmi les meilleures traileuses françaises. Elle aime varier les distances et s’aligne autant sur kilomètre vertical (KV) que sur trail long de 80 km. Elle fait partie de l’équipe de trail Cimalp.
Docteure en sciences du mouvement, Sabine Ehrström enseigne la physiologie et la biomécanique à l’Université Grenoble-Alpes. Elle est l’auteure de la thèse « Analyse de la performance en trail courte distance : déterminants physiologiques, spécificité de la sollicitation musculaire et stratégies d’optimisation ».
Sabine est membre de La Bande à D+ depuis le lancement du podcast en 2022.
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*Références principales (en anglais) utilisées pour cette chronique sur le sujet de l’acclimatation à la chaleur :
– Lorenzo et al. “Heat acclimation improves exercise performance” (2010)
– Notley et al. “Variations in body morphology explain sex differences in thermoeffector function during compensable heat stress” (2017)
– Périard et al. “Exercise under heat stress: thermoregulation, hydration, performance implications, and mitigation strategies” (2021)
– Racinais et al. “Core temperature up to 41.5ºC during the UCI Road Cycling World Championships in the heat” (2018)
– Racinais et al. “Translating Science Into Practice: The Perspective of the Doha 2019 IAAF World Championships in the Heat”(2019)
– Saunders et al. “Special environnements, altitude and heat” (2019)
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