Pour Marianne Jacques, la course à pied est une histoire d’amour qui a débuté en 2006 en rencontrant son futur mari, Arnaud, un sportif touche-à-tout, féru de course, de trail et de triathlon. 17 ans plus tard, la course fait pleinement partie de leur vie et contribue à l’équilibre de leur petite famille à Terres-de-Bord, près de Rouen, en Normandie. Il n’est d’ailleurs pas rare de croiser Marianne et Arnaud, le sourire aux lèvres, aux abords du village ou en direction de la forêt avec leurs enfants, Aline, 13 ans, et Timothée, 9 ans, à la course ou en vélo. Mais dans quelques jours, et pour la première fois, c’est toute seule que Marianne s’envolera à l’aventure avec trois grosses valises pleines de fournitures scolaires à 4000 km de là pour courir la Sénégazelle, une épreuve par étapes 100 % féminine et caritative au Sénégal.
Très à l’aise dans les lignes d’eau à la piscine, Marianne a besoin de se sentir dans sa bulle, à l’écoute de son corps, quand elle fait du sport. Elle a retrouvé ça en chaussant des baskets, puis en accrochant son premier dossard sur un 10 km, (10 km de Bonsecours) quelques mois seulement après avoir commencé la course à pied. Au fil des mois, elle a enchaîné les courses pour le plaisir et ne s’est plus vraiment arrêtée.
Courir pour voyager
La course à pied lui a permis de voir du pays et de voyager. Avec son amoureux, ils quittent la Normandie plusieurs fois par année pour aller gambader, le temps d’un week-end ou durant leurs vacances. Quand on demande à Marianne les événements qu’elle a préférés, elle cite spontanément Belle-Île en Trail dans le Morbihan, l’Écotrail de Madère au Portugal, le Marathon d’Annecy en Savoie ou encore la Guadarun, une course à étapes dans les îles de Guadeloupe. De quoi garder de belles cartes postales mentales.
Trail, route, petites distances, marathons, Marianne a varié les distances et les terrains de jeu avant de se concentrer essentiellement sur la route depuis environ 4 ans, avec l’envie de réussir à descendre un jour sous les 4 h 30 au marathon.
En parallèle, elle pratique aussi le taïso, qui allie cardio et renforcement musculaire. C’est une discipline préconisée pour préparer le corps à la pratique des arts martiaux, mais elle estime que c’est parfaitement complémentaire à la course à pied.
Quand elle repense à son premier marathon, entre la Seine et l’Eure à Louviers tout près de chez elle, qu’elle avait abandonné au pied du mur, après 31 km, épuisée, elle se dit qu’elle aurait vraiment pu rallier l’arrivée, mais qu’il fallait passer par cet « échec ». Depuis, elle a passé deux fois la ligne du Marathon Seine-Eure et n’a cessé de progresser. Elle a terminé en 5 h 23 en 2019, puis en 4 h 57 en 2021. Au printemps 2022, elle a couru le Marathon du lac d’Annecy en 4 h 42.
« Même si ton corps n’en peut plus, ce n’est pas pour ça que tu ne peux pas aller au bout, c’est vraiment cela que j’ai appris », raconte-t-elle, peu de temps après avoir bouclé son quatrième marathon, à Valence, en décembre dernier. Elle est d’ailleurs passée tout proche d’atteindre son grand objectif. Après avoir arpenté les avenues entre la foule et les orchestres, Marianne a en effet franchi la ligne après 4 h 33 d’effort, heureuse, puisqu’elle a encore amélioré son temps de référence sur la distance reine. Elle a gagné près d’une heure depuis sa première fois, et elle est maintenant à 3 min de son objectif de temps. Elle est bien fière de cet accomplissement et satisfaite de ce qui lui aura servi de préparation de fonds pour son grand défi de 2023.
Place à la Sénégazelle, une course solidaire 100 % féminine
Ça faisait deux bonnes années que son amie Delphine lui parlait de la Sénégazelle, « une aventure humaine avant d’être un défi sportif », tantôt au Sénégal, tantôt au Népal. Chaque fois, Marianne se laissait inspirer et divaguer par ce doux rêve de vivre un jour, elle aussi, une telle expérience dépaysante sur plusieurs jours, dans un pays qu’elle ne connaît pas vraiment. Marianne garde cela dans un coin de sa tête, en se disant « pourquoi pas en 2023 ». Jusqu’à présent, son expérience de l’Afrique, mémorable, se limitait à son voyage de noces en Namibie et au Botswana, dans le sud du continent.
Arnaud, qui avait lui-même eu l’occasion de s’investir dans des projets en solo ou avec son frère, notamment en triathlon, l’a encouragée à faire de ce rêve une réalité.
Les participantes de la Sénégazelle doivent collecter en amont de l’événement des fournitures scolaires pour en faire don aux enfants des villages traversés et leur permettre d’aller à l’école. Il n’y a que des athlètes féminines au départ. L’organisateur, Jean-Michel Ferron, a expliqué pourquoi à Distances+.
« Lorsque je me suis rendu au Sénégal la première fois en 2005, j’ai eu un coup de cœur pour ce pays, raconte ce professeur au collège, par ailleurs ultra-traileur et passionné d’aventures. J’ai vu la situation dans les écoles et j’ai voulu contribuer à la scolarisation des enfants. L’école au Sénégal c’est une affaire de femmes, il y a les institutrices, les mamans qui allaitent… c’est très féminin et c’est culturel. C’est pour cela que je ne me voyais pas envoyer des hommes dans ces écoles. L’idée d’une course 100 % féminine s’est ainsi imposée à moi. »
Jean-Michel Ferron a créé la Sénégazelle dès 2007. Il y avait alors une cinquantaine de participantes au départ. 15 ans plus tard, l’épreuve se décline en quatre éditions annuelles : la Sénégazelle Bivouac solidaire et la Sénégazelle des sables en février ainsi que la Sénégazelle des îles et la Sénégazelle Simal au moment des vacances de Pâques. Il a aussi créé la Sénégazelle au Népal en 2011 et la Madagazelle à Madagascar en 2016.
L’aventure se découpe en cinq étapes sur un voyage de sept jours. Chaque étape varie entre 10 et 12 km. Aucune barrière horaire n’est imposée. Les coureuses prennent le départ de façon individuelle aux alentours de 8 h du matin et chaque arrivée se fait dans une école différente, pour que les sportives puissent offrir les fournitures qu’elles ont rapportées (acheminées en 4×4) aux élèves et échanger avec eux.
« La force de ce projet, c’est d’aller directement à l’élève, il n’y a pas d’intermédiaire », se félicite l’organisateur. Le déjeuner se fait une fois de retour au camp de base et l’après-midi est consacrée aux activités et aux animations pour découvrir la culture locale. Le soir, les repas sont assurés par l’organisation. Les nuits se font soit à l’hôtel, dans le village de Fatick, soit en bivouac lorsque les étapes se situent dans une zone plus reculée, proche de Foundiougne, à l’ouest du Sénégal, à environ 150 km de Dakar et de l’océan Atlantique.
L’ensemble de l’organisation et de la logistique sur place sont réalisées par Jean-Michel Ferron et son équipe d’encadrement, composée d’une quinzaine de personnes, dont des médecins, des infirmiers et des baliseurs. « Toute cette équipe est nécessaire pour la sécurité de toutes en cas d’accident, de blessures ou autre. La sécurité est notre priorité majeure », assure le directeur de course à Distances+.
Seulement 70 participantes au départ
Parmi les 70 participantes, francophones à 90 %, le niveau est très éclectique. Il n’y a ni athlètes élites ni recherche de performances ici, et les premières filles arrivées repartent souvent chercher les dernières. Chaque jour, un classement par étape est réalisé et les résultats sont cumulés pour établir un classement général pour la forme.
« Le classement, c’est un objectif qui pousse ces femmes à aller au bout d’elle-même, à aller chercher un peu plus loin en sortant de leur zone de confort », relativise toutefois Jean-Michel Ferron.
Marianne décide de s’inscrire à la Sénégazelle Bivouac Solidaire de février 2023, mais elle n’a pas envie de vivre cette expérience toute seule. Elle a le goût de partir en famille et propose donc à sa sœur Fanny et à sa cousine Florine d’embarquer dans sa formidable aventure. Ça n’a apparemment pas été compliqué de motiver ces deux sportives, même si elles n’avaient jamais entendu parler de cet événement.
Fanny adore la course à pied et Florine est éducatrice sportive en apnée. Elle passera prochainement les sélections pour les championnats de France d’apnée en mai. Même si elles ont toutes les trois des vies bien remplies, elles ont tout fait pour se rendre disponibles du 18 au 26 février.
Le 1er juin dernier, il fallait être à l’heure pour espérer décrocher un dossard à la Sénégazelle. Les inscriptions ouvraient à 12 h 15 et la course a affiché complet au bout de quelques minutes, notamment en raison des reports de course des années précédentes à cause de la pandémie. À midi, elles étaient devant leur écran prêtes à cliquer. Par chance, c’est passé pour toutes les trois.
« J’étais tellement contente et excitée le jour où on s’est inscrites, c’était l’euphorie », se souvient Marianne qui sautait partout comme une enfant, avec l’envie de crier à tout le monde que son rêve allait se réaliser.
Cet événement est une vraie consécration pour cette coureuse qui voulait faire de l’humanitaire. « N’étant pas dans le domaine médical, les opportunités sont plus rares pour réaliser une mission humanitaire », explique la technicienne au sein de Laboratoire national de la boulangerie-pâtisserie à Rouen.
« Je ne connais pas le Sénégal, je n’ai pas d’expérience dans l’humanitaire et je n’ai jamais couru en étapes, la découverte va être totale », a confié pour sa part sa sœur Fanny qui s’élancera donc joyeusement les yeux fermés dans l’inconnu.
Marianne, Fanny et Florine prendront le départ de l’édition de la Sénégazelle Bivouac Solidaire dans une zone reculée à proximité du désert de Lompoul.
100 kg de fournitures scolaires dans les valises
Le trio a déployé ces derniers mois les grands moyens pour récolter suffisamment de matériel scolaire, en allant frapper à toutes les portes, y compris les écoles, les centres de loisirs et les clubs de sport de Terres-de-Bord et des alentours. Nombreux sont ceux qui ont participé à la collecte en offrant cahiers, ciseaux, crayons, compas, règles et tous les autres objets nécessaires pour la scolarité d’un enfant. Chacune des participantes est autorisée à avoir un bagage cabine de 10 kg ainsi que deux bagages en soute de 23 kilos pièce. Les filles ont décidé de prendre un bagage cabine dédié à leurs affaires personnelles afin que les plus gros bagages permettent de transporter uniquement le matériel scolaire pour les enfants sénégalais. Au moment d’écrire ses lignes, elles comptaient près de 100 kg de fournitures.
Concernant la préparation, Marianne a rechaussé tranquillement ses baskets quelques semaines après le marathon de Valence. Les étapes quotidiennes d’une dizaine de kilomètres ne lui font pas peur. Fanny continue de courir plusieurs fois par semaine jusqu’au départ. Florine, quant à elle, n’est pas inquiète pour la Sénégazelle. Elle fait confiance à ses acquis et se concentre sur son objectif de qualification aux championnats de France d’apnée.
D’ici le départ de la course, le 18 février prochain, vous pouvez suivre leur actualité et les derniers préparatifs sur leur page Facebook « Les cou’z’ines au Sénégal 2023 ». Tee-shirt floqué à l’effigie des « cou’z’ines », guêtres, sac de trail, poches d’eau… le matériel est prêt pour ces futures gazelles qui attendent le début de leur aventure.
Comme à son habitude, Marianne est « à bloc », c’est même sa devise au quotidien, et elle voit déjà au-delà de la Sénégazelle, puisqu’avec trois amies, Angélique, Dominique et Stéphanie, elle prendra au printemps le départ de l’OXFAM Gironde (13-14 mai 2023) avec l’ambition de parcourir en relais 100 km en moins de 30 heures afin de récolter 1500 euros au profit d’OXFAM France qui lutte contre les inégalités et la pauvreté dans le monde. Leur nom d’équipe : les GPS, les Gentilles Papoteuses Souriantes.