Simon Gosselin le caméléon, athlète et entraîneur de champions

Portrait

Simon Gosselin
Simon Gosselin a remporté l'édition 2024 du 70 km de l'Instria 100 by UTMB en Croatie - Photo : Zlatko Nojkov

Simon Gosselin est un entraîneur et un athlète bourré de talents qu’il exprime à haut niveau sans tambour ni trompette. Il coache notamment le Suisse Rémi Bonnet, le coureur le plus performant de la planète en trail en ce moment, mais aussi, parmi la douzaine de Français qu’il accompagne, Élise Poncet, Lucille Germain ou encore Baptiste Chassagne, Anthony Felber et la jeune pépite Jules Mongellaz*. À seulement 28 ans, Simon compte près d’une cinquantaine de courses en sentier à son actif, dont 10 victoires et 18 podiums référencés depuis 2016 par l’ITRA (International Trail Running Association). Il a co-fondé à la fin de ses études, avec Thomas Janichon, le « Team Sidas-Matryx », qu’il a choisi de quitter fin 2023 pour prendre son envol en solo et lancer son double projet entraîneur-athlète pro. Il a intégré dans la foulée l’équipe On et c’est sous les couleurs de l’équipementier suisse qu’il s’apprête, après sa victoire sur le 70 km d’Istria 100 by UTMB au printemps, à prendre le départ de sa première Western States (160 km, 5200 m D+, 6700 m D-) aux États-Unis.

Simon avait décroché un « golden ticket » pour l’emblématique course californienne en se classant 2e de l’épreuve de 115 km (4800 m D+) du Nice – Côte d’Azur by UTMB en septembre dernier, derrière son ami Jim Walmsley, rencontré un an plus tôt dans le Beaufortain. D’ailleurs, c’est chez la vedette américaine à Flagstaff, en Arizona, que Simon s’est préparé à « la Western » pendant deux mois et demi. Il voulait profiter du voyage pour découvrir les États-Unis et rentabiliser le coût environnemental de son déplacement outre-Atlantique (estimé à 3,5 tonnes de CO2), lui qui privilégie d’ordinaire plutôt le train et les déplacements en vélo électrique. Distances+ s’est entretenu avec Simon Gosselin et plusieurs de ses proches pour tenter de raconter cette personnalité discrète, mais influente, du monde du trail français. PORTRAIT.

Simon Gosselin Jim Walmsley
En dominant l’édition 2023 du 115 km de Nice – Côte d’Azur by UTMB, les deux amis Jim Walmsley et Simon Gosselin ont décroché leur qualification pour la Western States 2024 – Photo : Simon Dugué

Simon a quitté ses montagnes verdoyantes le 22 avril pour l’Arizona et les terres ocres sur lesquelles brille Jim Walmsley, retourné au pays après son succès retentissant à l’UTMB. Là-bas, les deux hommes ont repris quasiment le rythme de vie qu’ils avaient en Savoie, à quelques burritos près. Le Français a toutefois dû s’acclimater aux conditions locales. À la chaleur du désert, qui contraste avec la fraîcheur et les pluies printanières auxquelles il était habitué. À l’altitude aussi, puisque Flagstaff est située à plus de 2000 m tandis que son village d’Arêches culmine à 1000 m. Aux étendues arides à perte de vue, enfin, traversées par la fameuse Route 66 qui connecte Chicago à la Californie.

Ce samedi 29 juin, à 5 h du matin heure locale, Simon s’élancera de Squaw Valley, tout près du lac Tahoe, en direction d’Auburn (au sud-ouest d’Olympic Valley) pour son tout premier 100 miles à vie et sa deuxième plus longue distance après le 115 km du Nice – Côte d’Azur by UTMB. Étonnamment, pourtant, il ne rêvait pas spécialement de participer un jour à cet ultra « roulant » qui se déroule généralement dans des conditions que, lui le montagnard, n’apprécie pas particulièrement. En vérité, il ne serait sans doute pas au départ de cette Western States Endurance Run s’il n’était pas tombé en amitié avec Jim Walmsley, triple vainqueur de l’épreuve et détenteur du record depuis 2019 : 14 h 09. Mais voilà, Jim et Simon ont passé énormément de temps ensemble. Ils ont tant partagé, que ce soit en ski alpinisme ou à pied dans les Alpes, que la légende de Flagstaff a proposé à son ami de venir à son tour découvrir son terrain de jeu après avoir décroché tous les deux leur qualification pour la Western.

Les deux hommes avaient fait connaissance lors du Grand Trail des Templiers 2022. Jim l’avait emporté et Simon avait terminé au pied du podium (derrière Seb Spehler et Matthieu Simon), mais c’est anecdotique. « Je connaissais très bien (le photographe et vidéaste) Simon Dugué, qui connaissait bien Jim Walmsley, se souvient Simon Gosselin. Il nous a mis en contact. On partait tous les deux du Beaufortain, alors on a décidé de covoiturer ». Ils ont jasé d’Arêches jusqu’à Millau. Le courant est bien passé.

Les deux gars sont devenus partenaires d’entraînement. Initialement, Jim avait prévu de faire des sorties avec François D’haene qui l’avait aidé à s’installer près de chez lui dans les Alpes afin de se préparer comme il faut à l’UTMB, mais le quadruple vainqueur de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc s’est cassé le pied, ne pouvant plus aller s’amuser en montagne.

« Jim était arrivé six mois plus tôt. Comme François était blessé et souvent à droite à gauche, on a passé beaucoup de temps ensemble durant l’hiver », se remémore Simon Gosselin, assis sur son canapé, une semaine avant son départ pour les États-Unis. Moi, je préfère presque l’entraînement à la compétition, alors quand je peux partager mes entraînements avec d’autres athlètes, je trouve ça vraiment cool. Ça me permet de kiffer encore plus. »

Au-delà des affinités et des intérêts communs, « il n’y avait pas grand monde qui parlait anglais » dans le coin, souligne Simon, ce qui a également rapproché Jim Walmsley et sa femme — la traileuse américaine Jessica Brazeau — de Simon Gosselin et sa compagne Laura Fornay, médecin généraliste.

Doudoune, pantalon et K-Way sur home-trainer

simon gosselin
Simon Gosselin à l’entraînement au-dessus de chez lui dans le Beaufortain – Photo : Chloé Rebaudo

Simon semble plus à l’aise quand il discute en marchant qu’assit dans son canapé. C’est ce qui nous frappe en arpentant un sentier juste au-dessus de chez lui. Tout est là. « Le plus important, c’est de sortir dehors », reconnaît-il. Ça semble lui suffire pour « être heureux ». « Il aime les choses simples de la vie : s’entraîner, faire son job, aller au resto, boire des bières avec les copains, fêter les victoires », décrit son ami et manager Grégory Jacquet. 

« Comme athlète, il a envie d’être bon, mais être un champion n’est pas une finalité en soi, poursuit Grégory. Il ne se couche pas le soir en se disant “demain, je veux être le meilleur du monde”. Il se lève le matin en se disant plutôt “Je m’entraîne pour essayer d’aller performer sur les plus grandes courses du monde, les plus relevées”. Il ne prétend pas vouloir être le meilleur, mais il aime jouer avec les meilleurs. » C’est sans doute avec cette nuance en tête, et donc une bonne dose d’humilité, qu’il aborde le mythique ultra-trail américain.

Pour préparer la Western States, qu’il a choisi de courir seul, sans l’aide d’un « pacer », il a mis en place un protocole d’acclimatation à la chaleur assez tôt dans la saison. Au programme avant le départ d’Arêches : des séances de vélo sur le home-trainer avec K-Way, doudoune et pantalon. Durant sa course de préparation à Istria, en Croatie, il a fait chaud pour la saison, environ 25 degrés, ce qui lui a permis de valider dès lors les bénéfices d’une acclimatation à la chaleur.

« En Arizona, ça s’est bien passé, car les températures sont montées progressivement, raconte Simon Gosselin. On a pu aller dans des endroits vraiment chauds comme le Grand Canyon (avec notamment la traversée d’une rive à l’autre, soit le Rim-to-Rim-to-Rim) et faire du sauna. »

Se rendre sur place très en avance lui aura aussi permis de reconnaître les 90 derniers kilomètres du parcours de la Western, dont le profil est majoritairement descendant. « J’ai plutôt bien aimé, a-t-il dit à Distances+. Il y a finalement des singles et peu de pistes 4×4 comme je l’imaginais. Et sans surprise, il va faire chaud. »

Entraîneur pour allier la performance et l’humain

Simon Gosselin
Simon Gosselin, à l’époque sous les couleurs du Team Sidas Matryx, encouragé par deux de ses athlètes, Baptiste Chassagne et Lucille Germain – Photo : Jean-Louis Bal

Simon a dû adapter ses horaires de travail pour pallier les neuf heures de décalage avec la France et ses athlètes européens, puisqu’il a continué son métier d’entraîneur, même s’il aurait pu vivre correctement grâce à la dotation de son partenaire principal.

Entraîneur dans le cyclisme avant de s’intéresser au trail et au ski alpinisme, il aime suivre différents profils d’athlètes. « Simon m’a entraîné il y a deux ans pour être en équipe de France de ski alpinisme et l’été d’après pour être performantes sur les courses du circuit Golden Trail Series, raconte Élise Poncet, qui s’est récemment classée 5e de l’épreuve de montée sèche des championnats d’Europe de trail et de course en montagne à Annecy. Cet hiver, je n’ai pas fait de ski alpi, mais du cross, donc il m’a entraîné spécifiquement, et je n’ai jamais fait une aussi bonne place sur le cross », se félicite-t-elle.

Simon aime être en contact régulier avec ses athlètes et ajuster sa planification en fonction de ce qu’ils vivent. « Il fait attention à notre équilibre, à ce qu’il se passe dans notre vie », note Lucille Germain qui, elle, se focalise cette année sur le circuit mondial de skyrunning, où elle vient de réaliser une grosse performance en remportant l’Ultra Skyrunning Madeira (45 km, 3600 m D+) en explosant le record de l’épreuve (5 h 33). C’est d’ailleurs lui qui avait tiré la sonnette d’alarme en décelant les premiers symptômes du syndrome RED-S (un syndrome généré par un déficit énergétique chez les jeunes athlètes qui s’entraînent énormément) dont a été victime Lucille alors qu’elle était encore une jeune espoir du trail. « Il a un peu un rôle de confident, dit-elle. Sans dire qu’il connait toute ma vie, je trouve ça important qu’il sache un peu ce qu’il se passe pour moi », explique-t-elle.

« Je pense qu’il est très caméléon, ajoute Élise Poncet, la vice-championne du monde de course en montagne 2019. Il sait s’adapter au caractère de chacun, et ça, c’est sa plus grande force. »

Certains de ses athlètes ont plus besoin de retours que d’autres, à des moments clés, mais il essaie de faire évoluer la relation entraîneur-entraîné vers plus d’autonomie. « Sans dire que l’athlète n’a pas besoin de moi, il faut qu’il ou elle arrive à se gérer et à comprendre les grands principes au maximum parce qu’à un moment, on est quand même dans un sport où on est majoritairement tout seul à s’entraîner. Si tu ne comprends pas ce que tu fais, je pense que tu perds en performance », estime celui qui est décrit comme étant avare de compliments, ce qui les rend d’autant plus précieux.

Simon Gosselin sait aussi être présent dans les moments de moins bien. « C’est quelqu’un qui coache pour les bonnes raisons. Il n’est pas attiré par la gloire », analyse Élise Poncet.

« Il est très digne, très humble, abonde le champion de France de trail long 2023 Baptiste Chassagne. Quand ça se passe bien pour nous, il ne tire pas la couverture à lui, il est très content pour nous et on débriefe vite fait. Je me rends compte qu’on passe en revanche beaucoup plus de temps sur les mauvais moments. Peut-être qu’il considère que c’est là qu’on a le plus besoin de lui. »

Simon et Baptiste sont devenus très amis au fil du temps. Ils ont passé le premier confinement ensemble en 2020 et trois semaines de stage en Espagne l’année suivante. Sa proximité et sa connaissance de « ses » athlètes amènent Simon Gosselin à « ressentir (les choses). Il a un peu une baguette magique, il nous sent. Plus tu travailles avec lui et plus il est en mesure d’anticiper les choses », croit Baptiste, qui a quitté lui aussi le Team Sidas-Matryx en fin d’année dernière pour rejoindre l’équipementier américain Nike, tout en renouvelant sa confiance à son pote comme entraîneur.

Simon anticipe… et tempère certaines envies aussi, afin que ses athlètes ne grillent pas les étapes et qu’ils durent le plus longtemps possible. D’ailleurs, s’il a voulu devenir entraîneur, c’était pour « aider les autres ». « Je ne suis pas le plus scientifique des entraîneurs, mais j’aime chercher, tester, voir et comprendre ce qui marche, explique Simon Gosselin. Mon objectif dès le début de mes études était d’arriver à faire de la performance tout en misant sur le côté humain. Et puis pour le coup, j’ai toujours été fan de sport. »

« En séance, il ne sur-joue jamais »

Simon Gosselin
Simon Gosselin « au-dessus de la maison » – Photo : Chloé Rebaudo 

À force de s’entraîner avec ses athlètes, le cercle vertueux a fait son œuvre et ses performances à lui se sont améliorées. « Vu qu’il performe en tant qu’athlète, on a envie d’adhérer à sa philosophie, car il se l’applique à lui-même et on voit que ça marche, souligne Baptiste Chassagne. C’est un vrai leader par les actes, plutôt que par la parole. Il a aussi des convictions écologiques, mais il ne va jamais essayer de te convaincre. C’est en passant du temps avec lui que l’on se dit que ce n’est pas compliqué de faire un compost, d’être raisonné dans notre calendrier sur nos choix de courses sans prendre 50 fois l’avion. Il ne va pas les imposer, mais il va le faire et ça va devenir un leader par l’exemple. À l’entraînement, c’est pareil. »

D’une 10e place prometteuse au Marathon du Mont-Blanc en 2021, Simon Gosselin est ensuite reparti de très bas à la suite d’un grave accident de vélo, renversé par une voiture. « Il venait dans le Beaufortain pour s’entraîner avec moi, peut-être 10 jours avant la TDS, se souvient son ami Simon Dugué, qui vivait déjà à Beaufort avant l’installation de Simon Gosselin. La manière dont il a traité les choses m’a bluffé. » Au téléphone, le soir même du drame, Simon se projetait déjà sur l’après.

« Après l’accident, ça a été assez long quand même, raconte Laura, sa conjointe. Il a fait beaucoup de kiné, il avait des douleurs en courant. Après, il était en super forme donc c’est toujours moins long que quelqu’un qui n’est pas sportif et qui n’a pas une très bonne hygiène de vie. Mais il a quand même bien fallu un an pour qu’il revienne à son niveau d’avant. Son état d’esprit n’avait pas forcément changé, il n’a jamais déprimé. Il m’a assez surprise là-dessus, il a toujours voulu garder le positif et aller de l’avant. »

Il se connaît donc très bien. « En séance, il ne surjoue jamais, note Baptiste Chassagne. C’est-à-dire qu’il s’entraîne dans la bonne zone et il ne se trompe pas. Quand il se sent un peu moins bien, il l’accepte. Son but est de passer la séance, mais s’il n’est pas devant les autres, ce n’est pas grave. »

C’est un garçon qui sait aussi ce qu’il veut. Lorsqu’il a décidé de prendre son indépendance et de monter son projet perso, il a trouvé un sponsor personnel afin de le financer, mais il s’est aussi entouré pour faire les bons choix dans ce qu’il ne maîtrise pas. « Quand il demande des conseils, c’est qu’il en a vraiment besoin, pointe Simon Dugué, qui partage une partie de son séjour américain. S’il peut prendre une décision tout seul, il la prendra. Par contre, il n’a pas peur de dire qu’il ne sait pas, et c’est aussi une force. »

Grégory Jacquet, qui travaille dans la communication pour un grand groupe français, a endossé le rôle de manager de Simon Gosselin. Cela a d’abord consisté à définir son projet, sa vision des choses, l’image qu’il voulait donner de lui en tant qu’athlète, ce qu’il aime faire ou non. « Faire un post sur Instagram, ça le soule, prendre la parole, ça le soule, mais mon rôle, c’est aussi de lui expliquer que, par moment, on doit capitaliser et que, par moment, on doit rester dans l’ombre. Il faut trouver le juste équilibre pour qu’il se sente bien », explique Grégory.

Après la Western States, Simon Gosselin se rendra au Colorado, encore avec Jim Walmsley pour aller soutenir un autre ami champion, François d’Haene, qui sera au départ de la Hardrock. Quelques randonnées en altitude sont prévues, de la récupération surtout, avant de rentrer et se projeter sur une « course bonus », la TDS, fin août, sur un parcours qui lui donne envie, dans son jardin.

Texte écrit avec la collaboration de Nicolas Fréret
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Le Grand Canyon, où Simon Gosselin s’est notamment entraîné et acclimaté en vue de la Western States – Photo : Chloé Rebaudo

*Le Junior Jules Mongellaz a décroché quatre médailles, deux en individuel et deux avec l’équipe de France, aux championnats d’Europe de trail et de course en montagne à Annecy


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