Mise à jour : cerise sur le gâteau de son année 2024, Manon Bohard a appris en décembre sa qualification pour la Hardrock 2025
La scène se déroule quelques instants après le lever du jour, le 19 octobre 2024. Après 31 h et 49 min de course, Manon Bohard pénètre dans un stade de La Redoute vidé par la nuit, seule, au bout de ses forces. En franchissant la ligne d’arrivée de la Diagonale des Fous en championne, la jeune femme de 33 ans craque. Elle vient de réaliser un « rêve ». Pourtant, ce ne sont pas vraiment des larmes de joie qui coulent sur son visage. Déshydratée, au bord du malaise, l’athlète Näak a dû manœuvrer avec un mollet douloureux, une lésion contractée à l’été, lors de l’UTMB, ravivée à La Réunion dès les premiers kilomètres du Grand Raid. Elle accuse le coup. Ses nerfs lâchent. La fierté d’avoir remporté l’un des mythes de l’ultra-trail mondial viendra plus tard, en reprenant son souffle et ses esprits. C’est la plus grande victoire de sa carrière. L’issue heureuse d’un scénario mouvementé, à l’image de sa saison.
En atterrissant sur l’île intense quelques semaines plus tôt, Manon Bohard a tout de suite eu une « intuition ». Sur les sentiers piégeux des cirques de Mafate et de Cilaos, elle devinait l’envie qui revenait, acquérant au fil de ses reconnaissances la certitude que la course ne pouvait que bien se dérouler. « Je me sentais comme chez moi, confie la nutritionniste. Plus je m’imprégnais de ce terrain accidenté, du climat particulier et des paysages vertigineux, de ce type de parcours qui me convient parfaitement, plus j’avais l’impression d’être vivante et épanouie. » Ces bonnes ondes l’aident à se départir des remarques entendues ici ou là, qu’elle en fait trop et devrait se reposer, qu’enchaîner une « Diag » après un UTMB, qui plus est tumultueux, n’est pas une bonne idée. Qu’en rester là avec son année sportive 2024 serait plus judicieux. « Généralement, je suis plutôt sensible à ce genre de commentaires, admet-elle. Mais là, rien ne pouvait ternir mon excitation. J’avais hâte. J’étais sereine. »
Sereine, l’ultra-traileuse l’est aussi en parvenant à se focaliser sur l’aventure qu’elle s’apprête à vivre – une première pour elle – davantage que sur la compétition, ou bien les attentes supposées de son statut d’athlète de haut niveau. Libérée de toutes formes de pression handicapante, telle qu’elle peut l’éprouver d’ordinaire, Manon Bohard se présente au départ avec des yeux d’enfant, ébahie par le spectacle. « J’ai pris une claque, se remémore-t-elle. Sur la ligne, on se serait cru à un concert, aux Eurockéennes [festival annuel organisé à Belfort, ndlr] même, avec toute cette musique et ces gens qui dansent autour de nous, détendus. Cet évènement est vraiment une grande fête ! » Il n’a fallu ensuite que quelques heures à l’impitoyable Diagonale des Fous pour reprendre ses droits, offrir à la favorite de l’édition 2024 des maux de ventre et des vomissements, le réveil de cette blessure au mollet donc, ainsi qu’une boue glissante entretenue par la pluie et le flot des coureurs.
Malgré ses péripéties, Manon Bohard fait pourtant la course en tête du début à la fin, elle qui avoue « bien mieux gérer la douleur que ses émotions ». Autour du km 140, au pied de la longue descente l’éloignant du redoutable Maïdo, la jeune femme faiblit. Son écart avec Maryline Nakache, sa poursuivante, se réduit. Elle croise alors la route d’un ami, lui aussi en difficulté, l’ancien champion du monde de trail Erik Clavery (2011). La décision est prise de rallier Saint-Denis ensemble, dans un de ces moments de partage que la Jurassienne affectionne particulièrement. « C’était dur et je ne me leurre pas, assure-t-elle, lucide. Je sais bien que mon chrono n’a rien de sensationnel, que la concurrence n’était pas à son maximum cette année, qu’il n’y avait pas de Courtney Dauwalter ni de Katie Schide au départ. Mais cette première expérience m’a confirmé ma passion pour cette course. Je sais que je reviendrai vite, pour faire mieux. J’en ai déjà envie. »
« J’ai pété les plombs »
Au printemps, l’athlète du team Hoka avait démarré sa saison par des déceptions, avec une neuvième place aux championnats de France à Buis-les-Baronnies, dans la Drôme, suivie d’un forfait à la Transvulcania, sur l’île de Palma, aux Canaries (Espagne), en raison d’un virus qui l’a mise à terre. Accaparée par ses activités professionnelles autant que par l’entraînement, Manon Bohard s’engage « sur tous les fronts ». Entre ses « deux métiers », elle peine à trouver l’équilibre. L’enthousiasme de retrouver les sentiers et la compétition se transforme en anxiété. Le burn-out est verbalisé. « J’ai pété les plombs, reconnaît l’ultra-traileuse. Mon entraîneur [Philippe Monnier-Benoit ndlr] m’a fait remarquer que cela m’arrivait chaque année, à un moment ou à un autre. Mais là c’était corsé. »
En juin, son été est lancé par une deuxième place sur l’épreuve de 111 km du Swiss Canyon Trail, dans son Jura natal, derrière la Québécoise Marianne Hogan. Une bascule s’opère. Sa charge de travail diminue et lui laisse le loisir de s’évader davantage en montagne avec son père Patrick, ses proches, ou encore ses coéquipiers chez Hoka. Pour la première fois de l’année, Manon Bohard se sent athlète à part entière. « J’ai pris un plaisir monstrueux à m’entraîner, à enchaîner de sacrées séances, se rappelle-t-elle. Trop, sans doute. » Exaltée par sa volonté « d’optimiser à fond ces mois off du boulot », la jeune femme se met inconsciemment en tête de rattraper le temps perdu. Le surentraînement guette. Elle ne laisse pas à son corps l’opportunité de récupérer de manière satisfaisante. Alors que l’UTMB se rapproche, la fatigue musculaire et la dette de sommeil s’accumulent. Le pic de forme n’est pas au rendez-vous.
Sur la ligne de départ à Chamonix, en août, Manon Bohard a déjà compris qu’elle n’a pas la condition physique idéale pour jouer aux avant-postes, lors de cette boucle autour du Mont-Blanc. Qu’importe, elle veut tenter sa troisième chance. Après deux échecs consécutifs en 2022 et 2023, la jeune femme compte bien parvenir au bout de la course, enfin, et terminer par là-même son premier 100 miles en carrière. Le démarrage est « poussif », « en gestion », et le dernier tiers du parcours vire au supplice. Sa blessure au mollet oblige la traileuse de Besançon à ralentir, à adapter sa foulée et à marcher dans certaines portions. Elle dégringole au classement. Résultat : une 20e place en 28 h, trois heures de plus que ce qu’elle espérait. « Cet UTMB a un goût amer, mais au moins il a un goût, commente-t-elle. À la différence de ceux des autres années. Je suis fier du processus, de m’être prouvée que je suis capable de puiser loin, juste pour finir. »
Très exigeante avec elle-même, l’athlète considère n’avoir réussi aucune course cette saison, qu’elle place a posteriori sous le signe de « l’apprentissage ». En revenant sur son parcours des derniers mois, elle se dit satisfaite de constater qu’elle progresse encore, en matière de vitesse notamment. Heureuse, aussi, d’avoir « fait sauter un verrou au niveau mental ». « J’ai compris que j’étais le capitaine de mon bateau, analyse Manon Bohard. Que je pouvais garder le contrôle malgré mes doutes, mon manque de confiance en moi et ma tendance à me laisser submerger par ce que je pense être les attentes des autres. » Reste que la diététicienne est toujours confrontée au dilemme entre sa carrière sportive et professionnelle. À ce titre, elle comptait faire de son séjour à La Réunion et de sa Diagonale des Fous « une longue balade introspective », pour continuer d’explorer la possibilité de mettre son travail principal encore plus entre parenthèses, l’an prochain. Peut-être se projeter sur deux ou trois saisons lors desquelles sa pratique prendrait une place prépondérante. La réflexion est toujours en cours.
Son Grand Raid était aussi une aventure familiale. À l’occasion de ses 60 ans, son père, Patrick Bohard, premier vainqueur français du Tor des Géants en 2015, désirait s’offrir une traversée de l’île intense avec sa fille, qui n’est jamais loin devant ou derrière elle sur les courses qu’ils disputent ensemble. Diminué par une douleur à l’abducteur, le Jurassien s’est résolu à abandonner dès les premiers kilomètres, encourageant au passage la jeune femme à ne pas s’inquiéter pour lui et à rester dans sa bulle. « Je suis très émotive et mon père en a conscience, confirme-t-elle. En lisant la déception sur son visage, j’ai dû me faire violence pour que cela m’atteigne le moins possible, me dire que j’allais devoir courir pour lui. » Au final, nul doute que Patrick Bohard n’aurait pas rêvé plus beau cadeau d’anniversaire que de voir sa fille s’imposer sur les sentiers de La Réunion. Le coureur d’expérience le sait : Manon a beau relativiser sa victoire, remporter une Diagonale des Fous n’est pas anodin. Jamais.
Revivre les moments clés de la saison 2024 de Manon Bohard
Un série D+ en partenariat avec Näak signée Franck Berteau et Nicolas Fréret
👉 Déçue par sa 9e place lors du championnat de France de trail long au Trail de la Drôme en avril 2024, Manon Bohard est revenue juste après avoir passé la ligne d’arrivée dans l’épisode 46 de La Bande à D+ sur ce « jour sans » au micro de Nicolas Fréret dans le cadre d’une émission sur le terrain avec notamment son amie et membre de la bande Blandine L’hirondel qui a remporté le titre.
👉 Manon Bohard, la troisième chance
Sur les sentiers du Swiss Canyon Trail, ce samedi, la saison de Manon Bohard a enfin pu démarrer, avec une deuxième place sur l’épreuve de 111 km derrière la Québécoise Marianne Hogan.
L’ultra-traileuse avait toutefois imaginé un printemps différent, plein d’assurance et de promesses, quelques mois après avoir décidé de consacrer davantage de temps à son sport. Pourtant, rien ne s’est déroulé comme prévu. D’abord, il y a eu des championnats de France décevants, à Buis-les-Baronnies dans la Drôme. Neuvième de l’épreuve, l’athlète de l’équipe Näak s’est dite « dégoûtée » de sa course. Le 11 mai, à l’occasion de la Transvulcania – 73 km et 3800 m de D+ – sur l’île de La Palma, aux Canaries (Espagne), la jeune femme de 32 ans était censée renouer avec la période des « ultras » et « des paysages qui changent sans cesse », qu’elle affectionne particulièrement. Nouvelle déconvenue : un virus et des aléas logistiques la privent de départ. « Ces déboires ont agi comme un signal, analyse Manon Bohard. Ils ont révélé une certaine forme de vulnérabilité dont je peine à me défaire. » PORTRAIT.
🔹 Lire le portrait de Manon Bohard
👉 L’ultra-traileuse et diététicienne nutritionniste Manon Bohard était l’invitée spéciale de l’épisode 53 de La Bande à D+. Avec sa double casquette de sportive de haut niveau et d’experte en nutrition, elle a détaillé ce qu’est le « gut training » ou entraînement de l’intestin à l’effort d’endurance (écouter l’extrait ci-dessous 👇).
👉 Invitée exceptionnelle de l’émission : Manon Bohard, vainqueure de la TDS et du MIUT, vice-championne de France de trail long 2023, 3e des championnats du monde de trail, afin de répondre à l’épineuse question : Comment se prépare-t-on à un ultra-trail ?
👉 Interview pré-UTMB 2024 : « Je dois simplement éviter de me laisser gagner par une pensée négative »
👉 INTERVIEW À CHAUD de Manon Bohard, 20e de l’UTMB 2024 – La troisième tentative a été la bonne
Après deux abandons, Manon Bohard, vainqueure de la TDS 2021, a réussi son objectif de passer la ligne d’arrivée de l’UTMB, accueillie par la voix bienveillante de Ludo Collet. La Jurassienne a parcouru les 176 km et 10 000 m D+ en 28 h 07 après avoir couru environ les trois quarts de la course avec son père Patrick Bohard (meilleur athlète de l’UTMB 2024 dans la catégorie des 60-64 ans). Elle a bouclé le tour du Mont-Blanc samedi soir en 20e position, loin de ses ambitions, après avoir lutté sur les 70 derniers kilomètres après le sommet de la course au Grand Col Ferret (2537 m) pour aller au bout. Son papa (58e au général en 25 h 34) était là pour la féliciter. INTERVIEW EN VIDÉO 👇
La série « La saison de Manon Bohard sur Distances+ » est produite en partenariat avec la marque de nutrition sportive Näak. Lorsque Distances+ publie un contenu commandité, qui respecte notre politique éditoriale, elle en avise clairement le public. Ce contenu journalistique – et non publicitaire – est produit par des membres de l’équipe de Distances+, dans le ton, le style et la manière qui nous distingue.
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