La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. En ce début d’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.
Au début de l’année dernière, juste avant la pandémie, Thibaut Garrivier, médecin radiologue, mais aussi un des meilleurs ultra-traileurs français (cote ITRA 889, juste devant François D’Haene) s’est blessé sérieusement. Il a subi une fracture de fatigue du calcanéum qui l’a contraint à marcher pendant un mois avec des béquilles et à s’arrêter de s’entraîner normalement pendant de longs mois. Il a donc vécu une année difficile au cours de laquelle il s’est remis sérieusement en question. La rééducation a laissé place à la réathlétisation et il a repris progressivement le chemin des sentiers en optant pour un important changement de vie, qu’il souhaite « plus équilibrée » et tournée vers la performance sportive. Avec, assure-t-il, « une motivation plus forte que jamais ».
Thibaut Garrivier, 31 ans, spécialiste des courses qui se gagnent en 6-8 heures, a remporté sa plus grande victoire en carrière à la Transvulcania (74 km, 4330 m de D+) sur l’île de La Palma aux Canaries, en 2019 avant de se classer 2e de la CCC 2019 à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, derrière le triple champion du monde de trail Luis Alberto Hernando.
Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?
Thibaut Garrivier : 2020 aura avant tout été une année complète de frustration sur le plan sportif. Je n’ai jamais pu faire ce que je souhaitais à partir du mois de mars. Même si j’ai pu faire beaucoup de vélo, j’étais constamment dans la retenue et je n’ai jamais pu réaliser un entraînement structuré pendant plusieurs semaines.
Par contre, il y a quand même du positif puisque j’ai tout fait pour organiser ma vie extra-sportive afin de pouvoir redémarrer efficacement et être le plus performant dès que possible.
Qu’est-ce que tu retiendras de cette période insolite, marquée pour beaucoup par la pandémie, mais aussi pour toi par cette blessure dont tu as rapidement compris il y a un an qu’elle t’éloignerait longtemps des sentiers? Quels enseignements en as-tu tiré?
Je savais que j’étais sur le fil du rasoir en permanence et que ma pratique sportive était délirante par rapport à ce que je faisais à côté (35 courses référencées par l’ITRA en quatre ans, de 2016 à 2019, NDLR). J’ai alors choisi, premièrement, de comprendre et d’analyser les différents facteurs responsables de ma blessure afin d’y remédier par la suite. Deuxièmement, pour une approche plus globale, j’ai voulu restructurer complètement mon approche sportive afin de la redéfinir comme l’un des trois piliers principaux dont j’ai besoin à côté de ma vie professionnelle et sociale, et non plus comme la cerise — en équilibre — sur le gâteau.
Bien sûr, tout cela est très théorique, mais il est l’heure maintenant de le mettre en application. J’ai donc pris quatre grandes décisions qui vont restructurer l’ensemble de ma pratique, et par la même occasion de grands changements de vie :
- Je changerai d’hôpital et de poste d’ici deux mois;
- J’adapte mes horaires de travail, en commençant par en diminuer la charge, j’arrête le travail en nuit profonde, c’est à dire de minuit à 8 h du matin, ainsi que les gardes de 24 heures. Il faut un cadre de vie adapté : fini les soirées médecine, les repas à l’hôpital mal équilibrés et avalés en 10 minutes, ou encore le MacDo et les grignotages en garde à 3 h du mat’;
- J’opte pour un encadrement plus structuré avec un changement d’entraîneur (il bénéficiera des conseils de l’athlète et coach Patrick Bringer), un suivi kiné et prépa mentale, une formation à la nutrition et en appliquant quelques principes simples au jour le jour;
- Et enfin, je déménage à la montagne, à Annecy.
Cela fait beaucoup de changements en même temps, mais j’avais également pas mal de retard par rapport au niveau de pratique auquel j’étais, notamment pour la prévention des blessures, et j’en paye le prix fort depuis un an.
Quelle est ta vision d’avenir à court ou long terme sur ta pratique sportive?
À court terme, j’aimerais tout d’abord reprendre un niveau honorable tel qu’il était avant la blessure et cela devrait m’occuper déjà plusieurs mois. L’objectif de repartir sur des bases plus saines et structurées c’est bien sûr d’augmenter le niveau d’engagement pour gagner en niveau de performance et en régularité tout en diminuant le risque de blessure par la suite. Tout cela étant plutôt des objectifs à long terme.
Même si je viens de passer 30 ans, je suis encore nouveau dans l’approche du haut niveau, 2 ans seulement, et je ne compte pas arrêter ce cheminement avant plusieurs années. J’ai donné pendant 13 ans sans compter pour ma formation professionnelle de radiologue, je compte bien en donner encore au moins autant pour ma vie sportive. Il est important d’être équilibré!
Comment appréhendes-tu cette saison 2021? À quoi, au moment où l’on se parle, devrait-elle ressembler?
En 2021, la priorité est de retrouver un niveau correct de base. J’ai bien sûr beaucoup perdu dans tous les secteurs, je ne compte pas moins de trois mois avant d’atteindre cet objectif. Donc la première course objectif ne devrait pas se situer avant la fin du mois de mai, si tout se passe bien. Ce sera peut-être sur les championnats de France longue distance. Par la suite, cela fait 2 ans que je dois aller courir à Zegama donc j’aimerais enfin concrétiser cela puis enchaîner sur le Marathon du Mont-Blanc fin juin.
Et l’objectif de l’année sera la CCC (il avait terminé 2e en 2019, NDLR).
La fin de l’année est, elle, encore un peu floue, mais je serai très certainement sur la grande course des Templiers fin octobre.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Courage à tous, il ne reste plus que quelques mois à tenir avant que tout cela ne soit qu’un mauvais souvenir. Continuons surtout à faire du sport et à le promouvoir au maximum. J’aimerais également rappeler que la vaccination, lorsqu’elle sera disponible pour tous, est avant tout un acte citoyen et fera gagner au monde entier de nombreux mois précieux pour l’équilibre mental de chacun et notre vie en société.
Après, juste le fait de tous pouvoir nous retrouver, ce sera parfait!
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