Le confinement obligatoire instauré en France pour endiguer le coronavirus ainsi que l’annulation ou le report de toutes les compétitions, a mis la saison de tous les athlètes européens sur pause. Comment ont-ils vécu cette période complètement inédite? Distances+ a posé la question à plusieurs des meilleurs traileurs français. Ces entrevues ont été réalisées en avril.
C’est au tour de Sarah Vieuille, double championne de France de trail (2017 et 2019) et championne du monde par équipe en titre, de nous raconter son confinement.
L’athlète de 35 ans, de l’équipe La Sportiva, compte plus de 30 victoires à son actif (cote ITRA 760) parmi lesquelles le 50 km du Trail de Méribel, où se sont tenus les derniers championnats de France l’été dernier, et le 52 km de l’Eiger Ultra Trail 2019, ou encore le marathon de l’Ultra-Trail de l’île de Madère ainsi que les redoutables Trail Verbier Saint- Bernard et Trail des Aiguilles Rouges en 2018
Sarah s’est par ailleurs classée 8e des championnats du monde de trail au Portugal l’an dernier.
Distances+ : Comment vis-tu la période de confinement actuelle?
Sarah Vieuille : Sincèrement, je le vis plutôt bien. Il s’avère que je viens d’acquérir une belle petite maison dans mes Hautes Vosges, dans un endroit calme et perché. Je ne manque pas d’occupations avec les travaux de rénovation et mon travail de professeure de sciences physiques que j’ai continué à exercer à distance. J’en ai profité également pour me mettre au jardin. Je me documente beaucoup sur la permaculture et m’amuse à faire des petites expériences ainsi que pas mal de cueillettes sauvages. Je poursuis aussi ma formation en naturopathie qu’il a fallu adapter en visioconférences au vu des circonstances actuelles. Le confinement a l’avantage de donner du temps pour bien faire les choses et prendre le temps d’observer, chose qu’on a tendance à oublier lorsqu’on a la tête dans le guidon.
J’ai toujours continué à faire du sport en parallèle en poursuivant les entraînements concoctés par mon coach Philippe Propage (NDLR : l’entraîneur de l’équipe de France de trail depuis 2009). Il est vrai qu’au début du confinement je partais courir avec une petite boule au ventre, pas très sereine, comme si j’avais commis un crime. Du coup, je me levais aux aurores pour être tranquille, car je crois que c’est plus le regard des gens qui me dérangeait. Puis ce sentiment est passé assez vite à vrai dire et maintenant je sors courir sans scrupules et je reste de toute façon persuadée que ces mesures prises vis-à-vis du sport sont une réelle bêtise, mais j’en resterais là sur ce sujet.
Parle-nous de l’impact que cela a eu sur ta motivation.
J’ai toujours gardé la motivation pour aller courir, car c’est un réel besoin et j’aime ça avant toutes choses. D’apprendre au fur et à mesure que les courses s’annulaient les une après les autres ne m’a pas pour autant découragé à chausser mes baskets.
Je garde la positive attitude en me disant au fond de moi que ça ne sert à rien de se morfondre. Au contraire, je profite du temps que ça dégage pour faire des choses que je n’aurais pas eu le temps de faire et ça me réconforte de penser ainsi. J’évite de penser à tous mes beaux projets planifiés pour cette saison et vis un peu au jour le jour en me fixant des petits objectifs divers et variés pour éviter de tomber dans une routine.
J’ai quand même hâte de pouvoir retourner en montagnes! Je rêve de prendre mon sac à dos et ma tente et de partir en itinérance loin, librement et longtemps. Sans parler des longues sorties à vélo chez moi dans les Vosges. C’est pour bientôt!
As-tu fait une croix sur ta saison? Sur quoi te concentres-tu désormais?
J’avais de belles courses prévues sur le calendrier. Pas mal de courses dans mes Vosges et aux alentours, dont certaines font partie du Trophée des Vosges. Le premier gros objectif était l’UTPMA (Ultra Trail Puy Mary Aurillac) en juin, en ayant à l’idée de remporter le dossard pour le Grand Raid de la Réunion. Puis le Monterosa Sky Marathon (Italie) avec une copine. En juillet, la première édition de l’Ourea Trail à Avoriaz et fin août la CCC. On y croit encore pour cette dernière (NDLR : l’UTMB a été annulé).
Et non, je n’ai pas fait une croix sur ma saison! Dès que le coup de sifflet sera donné, vous pouvez être sûrs que je serai au rendez-vous. Mais pas de plan sur la comète pour le moment, on décidera tout ça en temps voulu.
Quel enseignement tires-tu de ce que nous sommes en train de vivre?
Je ne tire pas d’enseignement particulier à vrai dire. Cette situation conforte juste ma vision du monde actuel et de l’humain acteur et responsable de ce qu’il est en train de se passer. La nature reprend toujours ses droits. Les lois de la nature reposent sur la recherche constante de la stabilité et du point d’équilibre. C’est la base de toutes réactions chimiques et biochimiques – déformation professionnelle désolée! Tout terrain fragilisé ne résiste pas dans le temps et pour retrouver une réelle vitalité, cela repose sur trois piliers : une bonne alimentation (vive l’industrie agroalimentaire actuelle qui nous empoisonne), une bonne stabilité émotionnelle (trop de stress) et de l’activité physique et de l’oxygénation.
Bref, toutes les réactions et décisions prises depuis le début du confinement me désolent plus qu’autre chose. J’espère juste que les gens n’oublieront pas et que de réelles mesures pérennes seront prises pour protéger et nous réconcilier avec Dame Nature, avec qui nous cohabitons, gardons cela à l’esprit.
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Vivre et agir en pleine conscience. Faire les choses « avec » et non pas « pour », en respectant la règle des « 3 B » (« Beau » = s’émerveiller à la vue d’un hérisson par exemple, « Bon » = rester bienveillant et « Bien » = faire les choses bien, sans négliger le détail, car le détail c’est ce qui rend la vie belle. En profiter pour se recentrer sur soi.
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