Voilà deux ans que l’ultra-marathonienne Marie Léautey a tout quitté pour faire le tour du monde en courant avec une poussette. Après avoir parcouru 21 000 km en Europe et en Amérique du Nord, elle a débuté le 13 décembre 2021 la traversée de son troisième continent : l’Amérique du Sud. À la faveur de quelques jours de repos après sa longue « ligne droite » aux États-Unis, Distances+ s’est entretenu une nouvelle fois avec cette coureuse d’exception et a recueilli ses impressions sur les 5300 km qu’elle a parcourus entre les cotes Pacifique et Atlantique, entre Seattle et New York, en moins de cinq mois.
Amérique des champs, Amérique des villes
Le 24 novembre dernier, la Rouennaise et une petite troupe de coureurs filaient sur la 5e Avenue de New York et ralliaient le consulat français pour franchir, avec tous les honneurs, la ligne d’arrivée de cet énorme périple aux États-Unis. Elle a traversé 14 États, mais a aussi rencontré deux Amériques totalement différentes.
Entre Seattle et Minneapolis, au Minnesota, Marie s’est promenée pendant plus de 3000 km dans l’Amérique profonde, celle des fermes immenses, des paysages majestueux, mais déserts, à peine ponctués, de loin en loin, par un motel, une station essence, un saloon, sans une seule ville en vue.
C’est l’Amérique invisible, loin des circuits touristiques, très isolée, très « pro-Trump ». Mais c’est aussi celle de ses plus beaux souvenirs. « Je passais des kilomètres à avancer en ligne droite dans des paysages à couper le souffle dans le Montana et le Dakota du Nord en particulier », décrit-elle. C’est aussi celle « de toutes les belles rencontres » qu’elle a faites, principalement « dans les saloon, autour d’une bière ».
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« Mon parcours sportif, ma position de femme sur la route, la cause que je soutiens (Marie est ambassadrice de l’Association Women for Women International, qui œuvre pour une meilleure condition de la femme dans le monde, NDLR) les intéressaient, précise-t-elle. J’ai rencontré des tas d’inconnus qui m’ont aidé matériellement et financièrement très spontanément sur cette première partie de route. »
À partir de Minneapolis, la donne a changé. Après des semaines de ruralité, elle a « atterri très brutalement dans l’Amérique des grandes villes ». « Je ne me suis pas sentie très à l’aise lorsque j’ai retrouvé les trottoirs défoncés, les ordures, les forces de police omniprésentes, confie-t-elle à Distances+. Je ressentais les tensions sociales qui flottent dans cette ville depuis la mort de l’Afro-Américain Georges Floyd en mai 2020. »
Loin de l’immensité quasi vide des États du nord du pays, Marie a dû progresser jour après jour en empruntant des chemins souvent plus urbanisés. Elle a traversé différentes ceintures de banlieues allant des belles avenues et des salutations courtoises aux routes délabrées et à l’indifférence. Il lui a fallu composer aussi avec des conditions de circulation parfois tendues, emprunter des bouts d’autoroute ou encore prendre des ponts interdits aux vélos pour éviter de larges détours. Elle a dû s’expliquer à de nombreuses reprises avec la police locale, alertée par une âme charitable qui avait signalé une femme avec un bébé sur le bord de la route. Mais, à chaque fois, les forces de l’ordre ont été compréhensives. Un selfie et ça repart!
Honneurs officiels
Dans cette Amérique urbaine, il n’y avait plus de saloon pour partager une bière et entamer le dialogue. Les rencontres étaient moins spontanées, mais de belles cérémonies ont ponctué la fin de la traversée, en particulier à partir de Chicago, raconte-t-elle. La ville des vents a marqué « le début de la fin » pour Marie. Même s’il lui restait à ce moment-là un mois et demi pour rallier New-York, Marie a ressenti un tournant dans son aventure, peut-être la fin d’une certaine routine, d’un certain isolement. Au fil de ses dernières étapes, elle a été conviée à pas mal de festivités et de rencontres organisées en son honneur, autour de sa performance et de son engagement humanitaire.
À Chicago, le consul général de France et ses équipes lui ont offert un dossard pour participer au marathon de la ville. « Courir 42 km sans ma poussette qui m’aide à me tenir droite, je ne savais pas comment j’allais gérer. C’était très particulier de courir sans pause, avec du public sur tout le long du parcours, je n’étais plus habituée à ces ambiances festives, se remémore-t-elle. Depuis 2 ans, je ne reçois pas une médaille à chaque fois que je boucle un marathon », plaisante-t-elle. Et bien évidemment, pas question de prendre une semaine de récupération derrière. Elle a enchaîné, car il lui fallait arriver à New York avant l’Action de Grâce, « Thanksgiving ».
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Washington a aussi été un moment extrêmement fort de son périple. C’était l’étape des retrouvailles émouvantes avec ses parents. Présents à ses côtés au début de l’aventure, ils ont subi eux aussi les contraintes sanitaires et n’ont pas pu retrouver régulièrement leur fille sur le terrain. Dès qu’ils ont appris la réouverture des frontières, ils ont sauté dans le premier avion disponible et ont accueilli avec émotion leur fille devant la Maison Blanche.
Washington, c’est aussi le siège de l’association Women for Women International. Marie y a reçu un très bel accueil de la part des responsables locaux. Invitée personnelle de Victoria Wassmer (responsable du budget du ministère des transports dans l’administration Biden, NDLR), elle a rencontré plusieurs personnalités influentes, très admiratives de son périple, et du pôle humanitaire qui ont proposé leur aide et le soutien de leurs réseaux.
Pas de lassitude, mais hâte de finir
En Europe, Marie avait dû s’adapter sans cesse, retracer quasiment tous les jours son itinéraire, « une galère » selon elle. « Ici, tout s’est déroulé parfaitement, se félicite-t-elle. J’ai suivi le plan quasiment à la lettre! » Elle a juste dû décaler ses jours de repos pour arriver à temps à Chicago pour le marathon et pour rallier New York le 24 novembre et non le 25, jour de Thanksgiving, où toute la ville se met en pause parce que c’est un jour férié. « Et je n’ai eu que cinq jours de pluie, souligne-t-elle. C’était vraiment génial! »
Marie reconnaît qu’elle était tout de même impatiente de finir, pour rester sur ce bon rythme, pour qu’il n’y ait pas la place au dérapage! »
Elle aurait pu arrêter sa traversée des États-Unis à Baltimore, la première ville au bord de l’océan Atlantique, ce qui suffisait à valider cette partie du périple d’un océan à l’autre, selon les critères définis par la World Runners Association, mais elle a préféré pousser jusqu’ à New York. « C’est plus symbolique, plus marquant », commente-t-elle. Après tout, elle n’était pas à 400 km près.
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L’arrivée à New York a été chargée en émotion. Comme à Istanbul, Marie a été accueillie avec tous les honneurs au consulat de France. Cerise sur le sundae, comme on dit là-bas, elle a pu partager cette reconnaissance institutionnelle, avec ses parents, qui avaient fait le déplacement pour l’occasion, ce qui l’a beaucoup émue. « Dans la famille, on est très pudiques au niveau des émotions, mes parents ne m’avaient jamais dit qu’ils étaient fiers de moi », raconte la coureuse.
Prochaine étape : l’Amérique du Sud
« Comme je cours non stop depuis novembre 2020, j’avais besoin de couper un peu pour repartir », a dit Marie à Distances+. Après quelques jours de vraies vacances bien méritées, elle a pris le temps de dresser un bilan de son aventure en cours, et penser à la suite.
Jusqu’à présent, aucun pépin physique n’a perturbé l’avancée de l’ultra-marathonienne. Ses données montrent même une nouvelle adaptation à un cran supérieur. Sa plus longue étape affiche 63 km. Elle a couru plus de 50 km par jour au moins deux à trois fois par semaine, à une vitesse moyenne, en légère hausse, de 9,3 km/h. Le jour de repos qu’elle s’imposait tous les six jours est devenu « un luxe ». Elle a enchaîné jusqu’à 14 étapes sans s’arrêter. La coupure est toutefois nécessaire pour s’occuper de sa lessive, les réservations à venir, la tenue de son blogue, etc.
Des chercheurs de l’INSEP se sont fortement intéressés à ce cas d’école. Mais il leur faut trouver l’angle de recherche pertinent, car au niveau des processus adaptatifs, Marie a déjà largement dépassé ces phases. Elle a trouvé le bon équilibre et la bonne charge qui lui permettent de se maintenir à un très haut niveau de forme, à ne ressentir aucune fatigue et à fonctionner jour après jour de manière optimale.
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La suite du voyage devrait amener Marie à explorer de nouvelles voies physiques et mentales. New York marque la fin du voyage en Amérique du Nord en solo, soit 21 000 km en tête à tête avec sa poussette. Pour sa traversée de l’Amérique du Sud, le troisième continent, son ami James va la rejoindre et l’assister en van.
Cela implique pas mal de changements pour Marie. Elle ne sera plus encombrée par sa poussette très chargée, par exemple. A priori, cet allègement semble bénéfique, mais comment va-t-il influer sur sa foulée, entre autres? Partager l’aventure, retrouver du réconfort à la fin de l’étape, moins se soucier des problèmes logistiques, cela paraît, en théorie, plus confortable, mais qu’en sera-t-il réellement?
La problématique pour le nouveau duo a été de rejoindre Puerto Montt, au sud du Chili, en évitant les tests PCR, les journées d’isolement et les frontières fermées. L’objectif pour cette troisième étape de son tour du monde est de remonter les 1500 km d’un couloir coincé entre le Pacifique et les Andes.
Si vous souhaitez suivre Marie Leautey sur sa route, elle publie tous les jours les données de son étape (photos, commentaires, données GPS…) sur son blogue : lootie-run.com. Vous pouvez également la suivre sur les réseaux sociaux. Un lien est également disponible sur son site pour faire un don sécurisé pour l’association WFWI.