La pandémie a chamboulé nos vies. Les athlètes ont dû s’adapter à l’annulation ou au report de la plupart des compétitions de trail dans le monde. Ils ont dû réviser leurs objectifs et adapter leur entraînement. En ce début d’année 2021, Distances+ a demandé à plusieurs coureurs inspirants de raconter comment ils vivent cette période inédite.
Marianne Hogan est l’une des meilleures traileuses au Canada, potentiellement la meilleure quand elle est au sommet de sa forme. Malheureusement pour la Québécoise, elle a enchaîné les grosses blessures ces dernières années, repoussant systématiquement son grand retour parmi les favorites sur les sentiers, elle qui a remporté de belles victoires aux États-Unis, comme le 50 miles de Behind The Rock en 2017, l’année où elle s’est classée 5e du 90 km du Marathon du Mont-Blanc et où elle a remporté la Transalpine Run en duo mixte avec Mathieu Blanchard.
Marianne, qui est aussi triathlète, évolue au plus haut niveau depuis 2019 comme guide d’une championne paralympique.
Elle nous explique dans cette entrevue, avec un positivisme à toute épreuve, que 2020 aura peut-être été, étonnamment, l’année zéro de son retour dans la partie, tout en déclarant son amour au Québec, qu’elle quittait plus souvent qu’autrement avant d’y être confinée.
Distances+ : Avec du recul, comment as-tu vécu ton année 2020?
Marianne Hogan : En toute honnêteté, l’année 2020 a été franchement bonne pour moi. Je pense qu’il est super important dans la vie d’aller avec le courant, et je pense que l’année 2020 a vraiment poussé notre capacité à faire cela au maximum, et nous en ressortirons tous plus résilients.
Que retiendras-tu et quels enseignements as-tu tiré de cette période insolite?
L’année 2020 a été assez particulière et nous a tous forcé à nous adapter à une nouvelle réalité. Pour moi, il s’est avéré très clair que la meilleure façon de vivre la pandémie était de simplement l’accepter. On peut tous faire notre part afin d’éviter la propagation du virus, mais on ne peut pas contrôler le reste. Je pense que la recette du succès en temps de pandémie (et dans la vie) est d’accepter toutes les situations hors de notre contrôle qui sont lancées vers nous et de voir comment on peut en tirer le maximum de positif. Si tu ne peux pas être en contrôle d’une situation, sois au moins en contrôle de ta réaction face à la situation en question.
Je suis également ravie de voir que la pandémie nous a, en quelque sorte, forcés à retourner à nos souches. Cela nous a forcés à ralentir notre consommation en tout genre, les restaurants, les sorties, le magasinage… et cela nous a montré à quel point l’interaction humaine est importante dans nos vies. Quand les choses sont fermées, on réalise que, dans le fond, on n’a pas vraiment besoin de quoi que ce soit. Tant que nous pourrons aller jouer dehors entre amis, nous serons en ˝business˝!
Dans la même ligne d’idées, la pandémie m’a, en quelque sorte, « forcé » à découvrir notre belle province du Québec et de vivre pleinement les quatre saisons que nous avons la chance de vivre ici même, chose que je n’avais jamais vraiment faite. Au lieu d’aller en Europe pour faire du ski, je suis allée explorer à fond la montagne de Mont-Tremblant, le mont Sainte-Anne, le Massif de Charlevoix… Au lieu d’aller à Hawaii en camp d’entraînement, je suis allée à vélo explorer les côtes de Charlevoix, j’ai fait la route des bleuets au Saguenay et la route des vins dans les Cantons-de-l’Est. Au lieu d’aller sur la côte Est des États-Unis pour un voyage de course, je suis allée en Gaspésie pour le GR-A1 de Mathieu Blanchard, je suis allée au Saguenay courir le sentier du fjord, et j’en manque certainement. Mon point, c’est que le Québec a beaucoup à offrir. Chaque saison qui arrive est une occasion de plus pour sortir en profiter.
Qu’est-ce que la pandémie et ses conséquences ont eu comme impact sur ta « carrière » de coureuse de haut niveau? Quelle est ta vision d’avenir à court ou long terme sur ta vie sportive?
La pandémie n’a rien changé à ce niveau. En fait, j’aurais même l’audace de dire que la pandémie a eu un impact positif sur ma carrière de coureuse. Lorsque j’ai entendu parler du confinement numéro 1, je suis tout de suite allée m’installer au Mont-Tremblant pour quatre mois. Je me suis dit : pourquoi pas? Si je dois travailler à distance et habiter seule, j’aime autant mieux aller m’installer en montagne et tirer du positif de la situation.
J’en ai profité pour accumuler du très bon « mileage » de base, et profiter de la région au maximum, tout en respectant les consignes de la santé publique. Ceux qui connaissent mon parcours savent que cela fait plusieurs années que j’accumule des blessures assez significatives : fracture de stress de la hanche, microdéchirures au ligament qui relie le pelvis et la jambe, double fracture spirale du tibia péroné, déchirure du ligament de la cheville, la liste est longue… Ce qu’il me faut pour revenir en pleine forme, c’est du temps et de la réhabilitation. Le temps de me reconstruire et de retrouver la force musculaire que j’avais avant de me fracturer la jambe.
Je suis consciente que j’ai encore beaucoup de chemin à faire, notamment sur ma gestion de la quantification du stress mécanique, mais tout le travail effectué en 2020 aura été très bénéfique pour moi. La pandémie a eu pour effet de me forcer à écouter mon corps et de me pousser à bien écouter mes limites. Le fait d’avoir un calendrier de course complètement vide a ouvert la porte grande ouverte à de l’entraînement plus spécifique à mes besoins et à l’écoute de mon corps.
Mais bon, j’avoue qu’avec le déconfinement et le retour des aventures entre amis, mon excitation a repris le dessus, mais je suis confiante que j’ai réussi à me construire une bonne base d’entraînement en 2020, ce qui me permettra de revenir en force cette année. Et si ce n’est pas en 2021, ce sera pour 2022!
Comment appréhendes-tu cette saison 2021? À quoi, au moment où l’on se parle, devrait-elle ressembler?
En plus de la course en sentier, j’ai l’immense honneur d’être guide pour une paratriathlète aveugle, Jessica Tuomela. En début de 2020, nous étions en deuxième position au classement mondial et étions pratiquement assurées de participer aux Jeux paralympiques de Tokyo. Les Jeux ont été reportés, ce qui a changé mes plans pour 2021.
Pour le moment, nous avons plusieurs courses au calendrier : les championnats du monde de paratriathlon à Milan au mois de mai, une Coupe du monde à Leeds en Angleterre et une autre à Montréal au mois de juin, puis ce sera les Jeux paralympiques en août.
Mon focus sera donc sur ces courses importantes afin d’aider mon athlète à remporter une médaille aux Jeux paralympiques, mais je compte aussi revenir en force en course en sentier dès septembre.
J’ai dans ma mire pour l’année 2021 le 50 km de la Clinique du Coureur, l’Ultra-Trail Harricana du Canada et des courses à l’international à l’automne, si les conditions nous le permettent. J’aimerais également me lancer sur des défis de FKT au courant de l’été. J’ai plusieurs parcours dans l’est des États-Unis qui m’intéressent grandement. Si je pouvais faire de chacune de ces tentatives une aventure de camping entre amis, je serais encore plus contente!
Quel message souhaites-tu faire passer à la communauté de traileurs et aux sportifs en règle générale en cette période difficile?
Pour moi, le message est assez simple : nous, les coureurs en sentier, nous avons la chance d’avoir une passion qui ne nécessite pratiquement rien du tout. Nous avons la chance et surtout l’opportunité de continuer à profiter de la vie au maximum, malgré la pandémie. Pandémie ou pas, il sera toujours possible pour nous d’aller courir dans les sentiers qui nous entourent. Bon, OK, il se peut que tu n’aies pas le droit de quitter ta région ou d’aller courir après 20 h, mais n’empêche que l’année 2020 m’a rendu encore plus enthousiaste face à la vie que nous vivons les traileurs.
Ne perdez pas espoir, je suis convaincue qu’il sera bientôt possible pour nous tous d’aller prendre une bonne bière tous ensemble après une longue sortie en montagne. D’ici là, je vous dis cheers, ça va bien courir!
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