Manon Bohard, nouvelle recrue de l’équipe de France de trail

Manon Bohard
Manon Bohard à l'entraînement en Thaïlande - Photo : Cyrille Quintard

Article écrit avec la collaboration de Nicolas Fréret

MISE À JOUR – L’équipe de France féminine est devenue championne du monde de trail long lors des Mondiaux de Chiang Mai en Thaïlande début novembre 2022. Même si, de ses propres aveux, Manon Bohard, « n’avait pas la forme ni les sensations des grands jours », elle s’est battue pour rester le plus possible au contact de la tête de course. Elle a passé la ligne d’arrivée en 20e position, après 9 h 23 de course pour 80 km et 4900 m de D+.


Manon Bohard est l’une des traileuses françaises qui ont percé ces dernières années sur les sentiers. Victorieuse en beauté de la TDS 2021 – après son « coup d’éclat » sur un ultra au Cap-Vert, en duo avec Sylvaine Cussot, devant François D’haene —, la Jurassienne, fille du célèbre ultra-traileur Patrick Bohard, poursuit à son rythme son ascension vers le très haut niveau. Même si elle est passée à côté de son UTMB l’été dernier, la jeune trentenaire, diététicienne à plein temps, a récemment intégré l’équipe de France à l’occasion des championnats du monde de trail début novembre. Elle s’est confiée à Distances+ à quelques jours de son départ pour Chiang Mai en Thaïlande.

Manon a débuté la compétition de trail en 2016 et se positionne, en cette fin de saison 2022, comme la deuxième meilleure athlète française au classement ITRA sur les épreuves de 80 km (50 miles), derrière Camille Bruyas, récente championne du Grand Trail des Templiers.

Outre sa victoire de prestige à la TDS l’an dernier, son palmarès est déjà bien étoffé avec des victoires au 42 km de la Montagn’Hard et au Trail des Aiguilles Rouges en 2017 ainsi qu’au 90 km de la Swiss Peaks en 2018, une 2e place sur le 85 km du MIUT à Madère et cette fameuse victoire avec Sylvaine Cussot à l’Ultra Cabo Verde (112 km, 6900 m D+) en 2021 et enfin des victoires sur deux courses by UTMB cette année, sur le Trail du Verbier St-Bernard et sur le 25 km du Wildstrubel by UTMB. Manon a d’ailleurs gagné toutes les courses qu’elle a terminées en 2022, dont sa dernière compétition préparatoire aux mondiaux, le Trail de la Vallée de Joux (36 km, 1900 m D+) en Suisse (elle a terminé 2e au classement général).

Première sélection en équipe de France

L'équipe de France de trail
L’équipe de France de trail sélectionnée par Adrien Séguret pour les mondiaux en Thaïlande – Photo : Cyrille Quintard

Les résultats convaincants de Manon Bohard ont mené le nouveau sélectionneur de l’équipe de France, Adrien Séguret (qui succédé à Philippe Propage), à faire appel à la championne jurassienne.

Les derniers championnats du monde de trail remontaient à 2019, juste avant la pandémie. C’est la Normande Blandine L’hirondel qui l’avait emporté et qui a gardé le titre jusqu’à présent, puisque les mondiaux en Thaïlande avaient été annulés en raison de la pandémie en 2020 puis en 2021.

Manon Bohard s’est envolée pour Bangkok avec les autres membres de l’équipe de France, dont Blandine. Les deux athlètes seront alignées sur l’épreuve de trail long (80 km pour 4900 m de D+) avec pour objectif de gagner le championnat du monde par équipe, en compagnie de la championne de France de trail long (53 km) Laure Paradan, de Marion Delespierre (vainqueure du MIUT 85 km 2021), de Jocelyne Pauly (4e de l’UTMB cet été) et d’Audrey Tanguy (2e du MIUT 115 km 2022 derrière Courtney Dauwalter).

Si le niveau général des filles ne fait aucun doute, il faudra composer avec une contrainte majeure : le climat chaud et humide. Manon Bohard a beaucoup voyagé dans sa vie, mais c’est la première fois qu’elle pose les pieds en Thaïlande et avance donc dans l’inconnue. La semaine précédant la course aura été l’occasion de s’adapter à ces conditions climatiques. Quatre jours ont été spécifiquement dédiés au repérage de l’ensemble du parcours par les athlètes pour qu’ils aient une connaissance totale des sentiers avant le jour J.

Sur place, les Bleus, sous la supervision d’Adrien Séguret, sont entourés d’une équipe complète d’entraîneurs, de kinésithérapeutes et de médecins mandatés par la Fédération française d’athlétisme (FFA) pour prendre soin des athlètes, ce qui a impressionné Manon. « Nous sommes très bien entourés, a-t-elle pu constater. Je le vis comme un privilège, on a beaucoup de chance. » Déjà, fin septembre, le groupe avait pu vivre ensemble et se souder le temps d’une semaine de stage dans le Cantal. ll faut dire que toutes les équipes nationales ne sont pas logées à la même enseigne. Certains athlètes ont dû financer leur déplacement par exemple tandis que la FFA met les petits plats dans les grands. 


🎙 Écouter le podcast La Bande à D+ sur les championnats du monde de trail et de course en montagne 2022 en Thaïlande


Traileuse à temps partiel et ADN de championne

Patrick Bohard Manon Bohard
Manon Bohard et son père Patrick partagent la passion de la course – Photo : courtoisie

Même si la Jurassienne est désormais présentée comme une athlète élite, elle doit gérer sa vie de sportive de haut niveau avec son travail de diététicienne auprès d’enfants en surpoids, une autre de ses passions. D’ailleurs, elle n’imagine pas se consacrer à 100 % au trail et à la course à pied. « Mon travail est essentiel à mon équilibre », estime-t-elle, même si cela prend de l’énergie pour concilier le tout. Ses entraînements varient en effet entre 18 et 25 heures par semaine, selon les périodes et les blocs.

La préparation aux mondiaux dans la foulée de l’UTMB a été tout particulièrement chargée avec de nombreuses consultations à l’agenda et plusieurs formations au programme. Malgré cela, la fatigue ne semble pas avoir impacté la forme physique et la motivation de la jeune athlète.

Si la jeune femme construit sa carrière « comme une grande », elle demeure la fille de l’une des références de l’ultra-trail français. Patrick Bohard a notamment remporté la TDS — 12 ans avant Manon —, le Grand Raid des Pyrénées, le MIUT, la Swiss Peaks 360 (360 km, 25 400 m D+) et bien sûr le Tor des Géants (343 km, 28 000 m D+). Il est d’ailleurs le seul athlète français à avoir gagné la mythique épreuve italienne. Ce modèle et cet ADN dont elle a hérité ont assurément été des atouts, mais ça ne suffit pas à définir Manon Bohard selon son père.

« Il y a certainement eu chez Manon, enfant, une certaine fascination à suivre et peut-être un peu à vivre par procuration mes propres aventures, mais au-delà de tout, elle s’est construite année après année, a confié Patrick Bohard à Distances+. D’abord par la base : le ski de fond, puis le judo où elle a découvert la rigueur et le haut niveau. Le trail est venu après, comme une révélation, d’abord comme une soupape, un grand bol d’air et une immense attirance pour la montagne. La compétition l’a attirée et elle s’est prise à rêver à de longues distances. L’idée a fait son chemin et elle est entrée très vite dans des schémas d’entraînements construits. Sa rencontre avec Philippe Monnier-Benoit comme entraîneur a marqué un tournant et le début d’une collaboration qui perdure plus que jamais aujourd’hui. Toujours partante, Manon, outre le fait d’être ma fille est une “sparring-partner” inspirante », se félicite le papa champion avec fierté. 

«  La perspective de pouvoir partager encore de nombreuses aventures en famille reste ma première source d’inspiration », a ajouté Patrick interrogé à son retour de l’île de La Réunion où il a participé à sa troisième Diagonale des fous. Il a malheureusement été contraint d’abandonner à cause d’une vilaine chute qui lui a coûté une côte cassée et deux côtes fêlées.

Manon est très fière, elle aussi, de son père et de son « patrimoine génétique » et elle est reconnaissante de tout ce que Patrick Bohard lui a appris et transmis en termes de valeurs et de mental.

Prendre sa revanche en Thaïlande?

Manon Bohard
Victoire de la Française Manon Bohard sur la TDS 2021 (145 km, 9100 m D+) en 23 h 11 – Photo : Franck Oddoux

Et ce gros mental, il sera sans doute invoqué ce week-end sur le parcours exigeant du trail long de Chiang Mai qui débute par une « bonne bosse » au début et se termine par une belle descente sur la fin. Adepte des terrains techniques et alpins, Manon a, selon elle, beaucoup progressé en vitesse dans les montées ces derniers mois, ce qui pourrait la mettre tout de suite dans de bonnes dispositions si les sensations sont au rendez-vous. La distance proposée lui convient et elle se dit « plutôt confiante ».

La Jurassienne devra toutefois parvenir à gérer ses émotions qui, de son aveu, la submergent parfois, comme à Chamonix l’été dernier. Mais le contexte devrait être plus favorable. « Les mondiaux c’est un cadre plus fermé, il y a, je pense, moins de monde et moins de public, explique-t-elle. C’est plus calme et moins stressant que l’UTMB où j’ai été complètement dépassée. »

Elle avait mis la barre haute lors de l’UTMB et son abandon lui a laissé un goût d’inachevé dans cette saison 2022, au point de vouloir profiter des championnats du monde pour, en quelque sorte, prendre sa revanche. Elle compte rester concentrée et prudente sur le début de course pour pouvoir se dépasser et tout donner sur la deuxième partie, quitte à prendre quelques risques à la fin.

L’appréhension se mêle à l’excitation à quelques heures du départ, mais c’est la très grande motivation qui domine. « Je compte tout donner sur cette course », assure-t-elle.

« Je ne suis jamais zen, relativise-t-elle de toute façon. Je suis toujours à fond dans les projets. Quand je m’engage dans quelque chose, c’est pour aller au bout. »

Cette sélection en équipe de France, Manon Bohard l’a prise comme un bonus dans sa carrière. La voilà désormais dans une équipe où règne un super état d’esprit et où tout le monde est à l’écoute. « Il y a un esprit collectif très fort et ça, ça me plaît énormément! »

Être en équipe de France, c’est aussi pour Manon une formidable occasion de partager sa passion avec d’autres athlètes de son calibre. Car tout le monde a des agendas bien remplis durant la saison et il y a finalement trop peu d’occasions de se voir en dehors des gros événements deux-trois fois par an. La course demeure un sport individuel et elle s’entraîne seule la majeure partie du temps. « La solitude, c’est le point noir du trail », juge-t-elle.

Le stage à un mois des mondiaux s’est révélé une semaine fédératrice rythmée par des sorties longues et des séances spécifiques au milieu des volcans d’Auvergne en groupe. Ces entraînements à plusieurs ont été très stimulants, nonobstant une météo capricieuse. Il a plu et il a fait froid, un climat très éloigné de celui que les Européens ont trouvé en arrivant en Thaïlande, mais peu importe les athlètes ont pris du plaisir et des forces pour ce rendez-vous majeur de fin de saison.


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