MISE À JOUR, samedi 8 août 2020 – La tentative de record du monde de dénivelé en 24 h au mont Sainte-Anne a été brusquement interrompue. L’athlète québécois Jean-Francois Cauchon a fait une mauvaise chute lors du 21e tour (sur 52) de son défi. Une branche d’arbre lui a transpercé violemment l’oreille. Il a dû être transporté à l’hôpital pour faire des examens et vérifier l’état de son tympan.
L’ultra-traileur Jean-François Cauchon est de retour ce week-end au mont Sainte-Anne (MSA), près de Québec, pour tenter de battre le record du monde de dénivelé en 24 heures. Il devra se surpasser pour parvenir à cumuler un peu plus de 17 000 m de D+/D-.
17 000 m, c’est le dénivelé de l’Aconcagua (6962 m d’altitude), du Kilimandjaro (5895 m), et du Mont-Blanc (4800 m) réunis. C’est aussi quasiment deux fois l’Everest, le toit du monde.
Apparemment peu stressé par l’ampleur du défi qui s’annonce, Jean-François a pris le temps de répondre aux questions de Distances+ depuis le chantier maritime sur lequel il travaille comme ingénieur cet été, à Pond Inlet, complètement au nord de l’île de Baffin, dans le Grand Nord québécois (Nunavut).
Une bosse de 329 m de D+
Pour son défi, Jean-François Cauchon a opté pour un parcours de 2,25 km et 329 m D+ qui emprunte l’une des pentes les plus raides du MSA. Il lui faudra faire 52 boucles s’il veut atteindre son objectif.
Il devra couvrir une distance totale de 117 km et gravir 17 108 m de D+. Monter 100 m de D+ équivaut, grossièrement, à parcourir une distance de 1 km sur du plat. Son effort reviendrait donc, approximativement, à courir 288 km en 24 h. Le calcul est fantasque, certes, mais il donne une idée du projet monstre qui attend le champion de Québec.
Le roi du mont Sainte-Anne
Celui qui été élu athlète masculin 2019 par Distances+ est en terrain connu et conquis. Le mont Sainte-Anne est son lieu d’entraînement privilégié et c’est ici qu’il avait battu, il y a pile un an, le record du nombre de montées et de descentes du MSA (605 m D+) en une journée complète. Il s’était arrêté après avoir réalisé 22 allers-retours en un peu plus de 23 h d’efforts cumulant 13 315 m de D+ pour un total de 129 km parcourus (le record précédent était de 15 montées-descentes).
En réussissant ce pari, Jean-François ignorait qu’il venait d’effleurer le record du monde du dénivelé en 24 h, soit 13 659 m D+, détenu alors par le Suisse Christophe Nonorgue, qu’il aurait assurément battu s’il s’était engagé dans une 23e ascension. Ce à quoi il avait renoncé, n’estimant pas être capable, en raison de son état de fatigue, de faire un dernier tour en moins de 57 min. « Je n’étais pas si loin de la marque », commente-t-il aujourd’hui.
L’automne dernier, c’est le Français Ugo Ferrari qui avait mis tout le monde d’accord en plaçant le record à 15 467 m D+ dans le Malpassant, en Savoie.
Jean-François, qui aime les calculs et qui se connaît bien, s’est dit qu’il était sans doute capable de faire un peu mieux. « J’avais 16 000 m de dénivelé dans la tête et j’étais assez confiant de pouvoir y arriver », se souvient celui qui a terminé 7e de la dernière Diagonale des fous.
Mais entre temps, plusieurs athlètes ont tenté d’améliorer la performance d’Ugo et deux d’entre eux y sont parvenus, plaçant la barre très haut. Le Finlandais Juha Jumisko, qui n’est pas un athlète élite, a franchi à la fin du printemps 16 054 m D+ puis l’Italien Luca Manfredi Negri a cumulé 17 000 m de D+ la semaine suivante, ce qui a fait écarquiller les yeux de Jean-François Cauchon, contraint désormais à un exploit hors norme en seulement 24 heures.
3000 km et 77 400 m D+ au compteur, mais très peu de repos
Jean-François Cauchon reste sur une deuxième victoire consécutive à la Transmartinique, dernier dossard qu’il a accroché en décembre dernier. Il s’est entraîné très fort tout l’hiver en vue de son premier objectif de la saison fin mars aux États-Unis, la Georgia Death Race, qu’il voulait remporter pour décrocher sa place à la Western States. Mais la pandémie est passée par là. Contraint au chômage technique, il a continué de courir avec rigueur et acharnement durant le confinement, profitant soudainement de beaucoup de temps libre. Au final, il a cumulé depuis le début de l’année plus de 3000 km et près de 77 400 m D+.
Il a conscience que ce nouveau défi, s’il n’est pas impossible à réaliser, sera extrêmement difficile. D’autant qu’il court moins depuis deux mois, et qu’il n’a pas été en mesure de le préparer pleinement, comme il se prépare avec minutie à chacun de ses gros objectifs.
« Je travaille depuis début juin 12 h par jour, 7 jours sur 7, explique-t-il, en précisant qu’il revient cycliquement quelques jours à Québec. Je réussis quand même à m’entraîner. Je ne fais pas autant de volume que je voudrais, c’est sûr, mais je cours une heure ou deux tous les soirs. »
Comme il fait jour en permanence à cette période dans le Nunavut, ça l’aide psychologiquement, estime-t-il, espérant que sa fraîcheur physique lui sera profitable.
S’il a devant les yeux des paysages superbes avec l’océan Arctique, les glaciers et de belles montagnes, c’est sur la seule bosse du coin, une côte d’une trentaine de mètres de dénivelé, qu’il fait des allers-retours régulièrement pour habituer et renforcer ses jambes.
Il devait reprendre l’avion pour rentrer à Québec mardi et s’élancer du MSA jeudi, mais un épais brouillard l’a contraint de reporter son vol et du même coup le début de son défi, fixé désormais à 10 h ce vendredi.
Motivé, mais…
« 17 000 m D+, ça va être dur franchement, c’est un gros chiffre, prévient l’intéressé. Je savais que je pouvais atteindre les 16 000 m D+, mais là, ça va être ardu, même si je me suis fait un nouveau parcours plus efficace (qui part du milieu de la montagne). Je comptais faire 48 loops, mais je dois maintenant en faire 52. Je vais essayer de partir fort comme l’an dernier et d’en faire le plus possible les 12 premières heures » pour pouvoir y croire.
La météo s’annonce plutôt clémente, avec un temps ensoleillé et 30 degrés en ressenti. « Ma crainte, c’est la chaleur, dit-il. Quand je suis revenu la première fois à Québec, il faisait chaud. Je suis allé faire le tour du lac Kénogami (Saguenay) et j’étais complètement cassé, je n’avais pas d’énergie. » Pareille situation est inconcevable pour espérer réussir son défi.
Jean-François pourra compter, comme toujours, sur sa famille pour l’assister et sur plusieurs coureurs de la région, comme Thomas Duhamel, Mike Néron, Johan Trimaille ou encore Julien Yamba qui viendront l’accompagner tout au long des 24 heures.
« Je ne me mets pas plus de pression que ça, mais je commence à être excité, ça va être vraiment le fun, s’enthousiasme sobrement Jean-François Cauchon. Je vais essayer de ne pas trop m’arrêter et d’aller à mon rythme. C’est ce que je fais le mieux. Ça va être une question de gestion d’énergie. J’appréhende la difficulté d’accrocher le record, mais qui ne tente rien n’a rien. »
Va-t-il réussir?
Ugo Ferrari, qui détenait le record du monde depuis l’automne dernier, promet de suivre la tentative de « ce jeune Canadien fougueux ». Toutefois, celui qui avait terminé 20 secondes devant Jean-François Cauchon à la Transgrancanaria 2019 (13e et 14e) est dubitatif quant aux chances de réussite du Québécois.
« C’est excellent ce challenge, mais sa bosse me semble trop longue et trop technique, développe l’athlète savoyard. Je serais déjà surpris qu’il batte mes 15 467 m D+. »
Ugo avait battu le record sur une bosse plus raide (429,64 m de D+) et plus courte (1,4 km). Il relativise par ailleurs les performances de Juha Jumisko et Luca Manfredi Negri, qui l’ont dépossédé du record (non homologué).
« Le Finlandais a pris une toute petite côte, et tout droit, sans virage, sans caillou, détaille-t-il. Pour Luca, il a été contrôlé positif aux amphétamines en 2010 et a été suspendu 2 ans (NDLR : il était alors cycliste), donc j’émets une réserve personnelle sur ses performances qui sont en dents de scie. Parfois hors norme et parfois nulles. C’est très caractéristique du dopage », déplore-t-il.
Bienveillant, il souhaite toutefois bonne chance et du plaisir à Jean-François Cauchon.
Le Franco-Québécois Johan Trimaille, troisième de l’Ultra-Trail Harricana du Canada 2019 et récent vainqueur de l’Ultra Trace de Guadeloupe main dans la main avec Pierre-Michel Arcand, compte aller donner un coup de main à son ami durant la nuit. « Je me tiens prêt à répondre à ses besoins, assure-t-il, impressionné par la difficulté du projet. Honnêtement, quand je regarde le 17 000 m de D+, je ne pense pas que ce soit possible, mais Jeff n’en est pas à son coup d’essai. Il n’a jamais abandonné une course, il est très rarement blessé et il livre toujours la marchandise. Je pense qu’il fera mieux que l’été dernier, mais s’il fait 17 000 m D+, je veux un poster de lui dans ma chambre! »
Quant à Élisabeth Cauchon, la grande sœur et supportrice numéro 1 de Jean-François, elle y croit. Elle restera au camp de base pour le soutenir, et fera peut-être quelques montées-descentes avec lui.
« Je crois que Jeff est en forme, même s’il n’a pas un été de training comme les autres en raison de sa job, a-t-elle dit à Distances+. Il a un mental de feu et je sais qu’il va être capable. Je crois toujours en Jeff et en ses défis! Je le crois focus et je pense qu’il a fait un bon entraînement ces deux dernières semaines dans le Nord. Et puis, il va avoir un crew de feu, c’est sûr que ça va l’aider. Peu importe le résultat final, ce sera un beau défi et un énorme effort. »
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