La gestion de course en trail : travaux pratiques avec le maître Antoine Guillon

Ultra-Trail Harricana du Canada

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Le métronome Antoine Guillon et Cédric Chavet (au 2e plan) avant le départ de l'UTHC 125 - Photo : Ian Roberge

L’un bouclait son deuxième trail de plus 100 km en carrière. L’autre célébrait son 90e ultra. Dans la nuit du 8 au 9 septembre dernier, dans la Traversée de Charlevoix, Jean-Philippe Thibodeau, le Québécois, et Antoine Guillon, le Français, ont couru près de six heures ensemble avant de remporter le 125 km de l’Ultra-Trail Harricana du Canada, aux côtés d’un autre tricolore expérimenté, Cédric Chavet. Au lendemain de leur arrivée à trois, ils se sont retrouvés autour d’une table dans le chalet d’accueil de la station du Mont Grand-Fonds et sont revenus pour Distances+ sur leur gestion de course. Une façon de comprendre de l’intérieur ce qui s’est joué dans les sentiers de l’UTHC cette nuit-là et comment on peut gagner une course alors qu’on avait décidé de l’abandonner avant la mi-chemin. Interview croisée, les traits tirés.

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Les conseils sur la gestion de la chaleur prodigués par Antoine Guillon aux coureurs avant le départ de l’UTHC 125 – Photo : Ian Roberge

Distances+ : Antoine, que retiens-tu de ton expérience de course à l’UTHC ?

Antoine Guillon (frais, toujours aussi souriant et loquace) : C’était finalement une expérience assez particulière. Je suis parti plus tranquillement que les autres et, tout en maintenant mon rythme, j’ai rattrapé la tête de course dès le 30e km. Puis, je n’ai jamais été seul. Avec le Marocain Aziz Yachou (qui finira par abandonner, NDLR), puis avec Cédric (Chavet) et Aziz et, enfin, avec Cédric et Jean-Philippe. C’est chouette parce que, pour passer des obstacles aussi compliqués que ceux que l’on a eu sur ces 125 km de course, ça aide vraiment ! L’épreuve prend une autre dimension. Les obstacles sont toujours difficiles, mais ils ne sont plus rebutants. On les vit à trois et ça a un côté plus « aventure ». C’est donc devenu une évidence pour moi de finir à trois !

Qu’en penses-tu Cédric ?

Cédric Chavet : Je partage clairement la vision d’Antoine et je dirais même que courir à plusieurs participe à la performance. On prend des relais, on discute, ça fait passer le temps. Et ça permet de partager, d’apprendre à se connaitre. C’est ce qu’on aime aussi. À l’UTHC, on a eu l’impression de retrouver ces ambiances de course d’il y a 10 ans, c’était vraiment agréable.

Quelques kilomètres après le ravito de la mi-parcours, Antoine et Cédric se sont égarés et toi Jean-Philippe, tu es passé en tête sans le savoir. Qu’as-tu ressenti quand ils t’ont rattrapé ?

Jean-Philippe Thibodeau (encore éprouvé de sa performance de la veille) : C’était ma première course avec une période de nuit et j’étais dans un moment difficile (il avait envie d’abandonner, NDLR), alors quand ils m’ont repris, je me suis senti soulagé. Et je me suis dit qu’il fallait que je m’accroche à eux, car je ne me sentais pas d’être seul dans la nuit. C’est trop dur psychologiquement.

Est-ce que cette gestion de course à trois t’a aidé ?

JP Thibodeau : Le fait de ne plus être seul a changé radicalement la façon dont j’ai ressenti mon effort. Je n’ai plus eu de pensées négatives et tout s’est mieux passé. Même les jambes allaient mieux et cela a finalement été une nuit merveilleuse. J’ai aussi beaucoup appris sur la manière de gérer mon allure. Quand marcher, quand courir. Sur la nutrition aussi. J’ai vraiment grandi cette nuit, c’est très appréciable.

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Le co-vainqueur de l’UTHC 125 km, Jean-Philippe Thibodeau – Photo : Alexandra Côté-Durrer

Pourquoi est-ce qu’on t’appelle « le métronome », Antoine ?

Antoine Guillon : C’est un jeu de mot inventé par les Réunionnais, mais c’est aussi une référence au fait que je calcule précisément mes temps de passage et que je me trompe rarement. C’est vrai que je passe du temps à étudier les parcours en amont. Cela permet aussi à notre assistance de facilement s’organiser. Mais j’avoue qu’à l’UTHC, j’ai été très surpris par la technicité du terrain. L’objectif de départ était de finir en 14 heures si tout allait bien. Avec la boue et notre petite erreur de parcours qui nous a coûté 10 minutes, on a pris 1 h 30 de retard (alors qu’à mi-parcours, Antoine avait 2-3 min d’avance sur ses estimations).

Tu as couru pendant près de 60 km aux côtés d’un traileur qui découvre encore les longues distances (JP Thibodeau est le meilleur athlète sur 50 et 80 km au Québec et le 3e athlète à l’échelle du Canada), est-ce que tu as constaté des erreurs de gestion de course chez lui ?

Je n’ai pas vu « Jipi » faire d’erreurs. J’ai été surpris de la façon dont il a été capable de se reprendre et de tenir le rythme qu’on a imprimé avec Cédric, c’est admirable. Dans sa carrière, il a augmenté les distances en respectant les étapes et sans faire de surenchère. Je me reconnais là-dedans. J’ai toujours mené ma carrière crescendo. C’est une réussite, je pense : j’ai 53 ans et je tourne encore bien. Je ne me suis jamais blessé et je n’ai encore jamais abandonné d’ultra. Explorer doucement, être raisonnable sont mes maîtres mots.

Cédric Chavet : J’ai un peu plus de mal à me contrôler qu’Antoine, mais il m’inspire beaucoup. Malgré mon expérience (plus de dix années en tête de peloton sur ultra, NDLR), je pars souvent trop vite (rires). Mais quand je trouve mon rythme, je deviens assez régulier. C’est pour cela qu’on s’entend bien avec Antoine et que l’on court souvent ensemble. On est aussi très complémentaires.

JP Thibodeau : Je me suis rendu compte à leur contact que je n’avais pas assez d’expérience pour bien gérer. Ce n’est que mon deuxième ultra et, le premier, j’étais parti vraiment trop lentement (5e de l’UTHC125 en 2019). J’avais très peu de stratégie.

Antoine, as-tu observé des coureurs qui ne prennent pas ces précautions ?

Antoine Guillon : J’ai énormément d’exemples en tête, malheureusement. Des athlètes élite ou non qui vont trop vite, qui grillent les étapes. On peut prendre l’exemple de Pau Capell qui a surgi dans le monde du trail (2013) et qui est monté très vite pour finalement se blesser sans arriver à revenir. Il y a plein de cas comme ça dans notre sport. J’en ai connu beaucoup en 20 ans et, notamment, chez les féminines qui ont plus rapidement des dérèglements hormonaux lorsqu’elles en font trop. On a vite fait d’être grisé par la réussite et de vouloir trop briller. Mais attention : on peut aussi très rapidement se griller avec des conséquences parfois graves pour la santé.

Qu’est-ce qu’une course bien gérée pour toi ?

Antoine Guillon : pour moi, bien gérer une course, c’est ne pas avoir de coups de mou. Ça passe beaucoup par la gestion alimentaire, mais pas seulement. C’est aussi être satisfait du résultat final, ne pas avoir la sensation d’en avoir encore sous le pied ou d’être allé trop loin.

Es-tu encore capable de faire des erreurs de gestion ?

Quelles erreurs, puis-je encore faire ? C’est bonne question. 

Cédric Chavet : te perdre… (rires)

Antoine Guillon : Je peux encore me perdre, oui, ça, ça m’arrive trop souvent (rires). Mais des erreurs de gestion ou alimentaires, non, je n’en fais plus. Je n’ai pas de protocole strict d’alimentation. J’ai un grand choix de nourriture avec moi ou durant les assistances. Il y a beaucoup de choses qui sont bonnes dans l’effort, finalement. Mais il y a aussi des choses à ne pas faire et, malheureusement, sur les ravitaillements, il y a souvent beaucoup de choses qu’il ne faudrait pas manger. Le riz, les pommes de terre, par exemple, c’est parfait. Mais la charcuterie, le fromage, les soupes grasses, c’est vraiment à éviter. Tout comme les aliments trop acidifiants comme les oranges par exemple. Je n’ai pas toujours une assistance avec moi, et dans ces cas-là je mange au ravitaillement, mais je fais attention à ce que je prends. Si j’ai des doutes en amont, je prends plus de choses avec moi. C’est important de manger « plaisir », aussi. Par exemple, sur le Grand Raid de La Réunion, je mange parfois de la semoule au chocolat, c’est très bon et ça marche très bien pour les épreuves d’endurance.

Cédric Chavet : Moi, c’est le gâteau patate douce chocolat mon secret, j’adore !

Antoine Guillon : C’est vrai qu’il faut se faire plaisir en course, tout en restant dans le sujet. On reste là pour courir, la fête c’est après !

Antoine Guillon et Cédric Chavet seront au départ de la 31e édition de la Diagonale des fous (160 km, 10 000 m D+)  le 19 octobre à Saint-Pierre de La Réunion. Il avait choisi le 125 km de l’Ultra-Trail Harricana du Canada comme course préparatoire à leur principal objectif de la saison.


Distances+ est média partenaire de l’Ultra-Trail Harricana du Canada.


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