[REPORTAGE] Ultra-Trail Harricana du Canada : l’essence du trail dans l’immensité sauvage du Québec

UTHC 2023

Jean-Philippe Thibodeau
Jean-Philippe Thibodeau, un des trois vainqueurs du 125 km de l'UTHC 2023 dans l'ascension des Morios - Photo Ian Roberge / UTHC

MONT GRAND-FONDS (La Malbaie) – Derrière l’arche gonflable verte et blanche de l’Ultra-Trail Harricana du Canada (UTHC) posée sobrement près de la maison d’accueil de la ZEC des Martres au milieu des bois, point de départ de la mythique Traversée de Charlevoix au Québec et, en ce vendredi 8 septembre 2023, de l’épreuve reine de 125 km, les coureurs attendent le signal. Celui qui va les lancer, pour beaucoup, dans la grande aventure de leur saison. Devant eux : une immensité en dégradé de vert. Plusieurs centaines de kilomètres de conifères. Un horizon presque uniforme, à perte de vue.

« Ici, on a l’impression de revivre le trail d’il y a 15 ans (en Europe), mais avec les moyens et la technologie d’aujourd’hui, sourit Ludo Collet, « speaker » incontournable du trail running depuis près de deux décennies. L’an dernier, il avait eu un énorme coup de cœur en découvrant l’UTHC et sa communauté, alors il n’a pas hésité longtemps à revenir animer les départs et les arrivées de la 12e édition, même si c’était dans la foulée de son intense semaine à l’UTMB, qui célébrait son 20e anniversaire. Au contraire, il savait qu’enchaîner la grand-messe chamoniarde et le plus grand événement de trail au Canada aurait quelque chose de reposant et de réconfortant. « Là, vraiment, ça fait du bien d’être ici, de ressentir cet enthousiasme, cette décontraction, s’enthousiasme-t-il. C’est un peu l’essence de la discipline, je trouve qu’on l’oublie parfois. »

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David Jeker
Départ du 125 km de l’UTHC 2023 avec l’ancien vainqueur David Jeker en pointe – Photo Ian Roberge / UTHC

Un peu avant 13 h, 314 ultra-traileurs, en apparence détendus, écoutent « Ludo » les « crinquer ». Ils s’apprêtent à s’élancer sur un parcours linéaire à destination de la station du Mont Grand-Fonds à travers les petites montagnes de l’arrière-pays de Charlevoix. Tout débute par un grand chemin carrossable long de 4 km sans aucune technicité, ne laissant rien présumer de l’épique épreuve qui les attend pendant au moins 15 heures durant. Sur le tracé, il n’y a pas de réseau téléphonique, pas de village, aucune âme qui vive. C’est plus de 120 km de racines et de boue longeant d’innombrables sapins géants qui vous emprisonnent dans une forêt sans fin. Il faut aussi s’attendre à beaucoup de relances. 125 km pour 4200 m de dénivelé seulement, on est loin du ratio des courses alpines. Moralité : il va falloir courir pour passer la ligne avant la barrière horaire de 29 heures.

Comme chaque année, les novices qui n’ont jamais foulé ces sentiers sous-estiment la difficulté. Il faut reconnaître que le profil de la course n’a pas l’air bien méchant. « On entend souvent que l’UTHC est roulant, mais c’est faux, il ne l’est pas du tout. Les Français parlent tout le temps de la Diagonale des fous comme référence d’un trail technique, mais ils seraient surpris de nos sentiers ici au Québec », plaisante Jean-François Cauchon, qui va tenter dans quelques minutes d’aller remporter une troisième fois la grande épreuve du week-end. Le champion québécois, qui vient tout juste de gagner le TransCharlevoix, une course en trois étapes dans le même environnement, sait de quoi il parle, puisqu’il compte à son palmarès une 7e place au Grand Raid de La Réunion (2019). L’Ultra-Trail Harricana est d’ailleurs sa dernière course préparatoire avant la « Diag », tout comme les vieux briscards des trails techniques français Antoine Guillon et Cédric Chavet. Pour eux, en revanche, ce sera une toute nouvelle expérience. On leur a répété que ce n’était pas une course facile, mais ils pensent quand même que la deuxième partie de course sera roulante.

Kilomètre 30. Les coureurs affrontent la terrible montée des Morios. Vue d’Europe, c’est un « petit mont très minéral », pour reprendre les mots d’Antoine Guillon. Mais la réalité est plus corsée. D’ailleurs, ils font peine à voir tous ces traileurs dégoulinants, complètement trempés de sueur. Le taux d’humidité dépasse les 80 % dans cette chaude journée de « l’été des Indiens ». Ils s’échinent à trouver la bonne façon d’aborder l’exigeante ascension de 600 m de dénivelé. Mais « exigeante », le mot est faible : on a bien du mal à tenir debout et il faut souvent mettre les mains, s’aider des arbres – ou de cordes fixes – pour se hisser jusqu’au sommet. Ceci dit, rien ne semble pouvoir entamer l’enthousiasme des coureurs de l’UTHC. Pas même ces innombrables racines enchevêtrées au sol de la sauvage nature québécoise. Les coureurs papotent et plaisantent, toujours. Mais où vont-ils donc chercher cette outrageuse allégresse en pareille circonstance ? La question est rhétorique.

Morios
L’athlète et podcasteur Yannick Vézina au sommet des Morios lors de l’UTHC 2023 – Photo Ian Roberge / UTHC

Leur bonne humeur communicative, en dépit de l’effort, est rapidement récompensée. De là-haut, l’immensité verte et vallonnée ne semble pas avoir de limite. « C’est l’une des plus belles vues du Québec », assure Alexandra Côté-Durrer, photographe et aventurière québécoise, enchantée de documenter cette édition 2023. Ce qui s’étend devant les coureurs est spectaculaire. Ils prennent le temps du coup d’œil et de la petite photo avant de plonger dans une descente tout aussi chaotique en direction de la base de vie des Hautes-Gorges, environ 30 km plus loin. En plaisantant, encore et toujours. De là-haut, une partie du peloton aura même droit au coucher de soleil sur les monts et les sapins géants. Le temps se fige. La beauté s’entremêle à la rudesse des sentiers qui auront raison de près de la moitié des partants qui disparaissent dans les profondeurs du bois.

Si la nuit est parfois impressionnante en trail, ici au coeur de la forêt boréale, loin de la civilisation, au milieu de nulle part, elle est crainte par certains participants. « C’est très sauvage ici. On ne passe pas dans des villages ou des hameaux comme en Europe. On s’enfonce dans la nature et on n’en ressort plus pendant de longues heures », explique Julien Harvey, le directeur de course de l’UTHC. Et c’est sans compter sur la possibilité de croiser un ours, un orignal ou un porc-épic qui ajoute à l’expérience immersive dans cette immensité boisée. C’est en partie ce que viennent chercher, le temps d’un week-end, les participants de l’Ultra-Trail Harricana. Les autres longues distances – le 80 km et le 65 km ainsi que les deux marathons au programme – offrent une expérience plus courte, mais similaire, uniquement de jour toutefois.

Les habitués des ultras en moyenne et haute montagne seront probablement dépaysés et peut-être décontenancés. Dans les monts de Charlevoix, il ne faut pas compter sur les alpages chaleureux avec de grandes vues panoramiques. « C’est la difficulté de partir en montagne ici. On a beau être au Canada, on est très vite dans des zones très reculées, avec la seule responsabilité de sa propre sécurité », fait remarquer Alexandra Côté-Durrer entre deux photos et trois encouragements. À voir ces coureurs hésiter à repartir de la base de vie des Hautes-Gorges dans la noirceur d’une nuit sans pollution lumineuse après un après-midi éprouvant, on prend la mesure de ce que cela implique de courir un ultra dans ce territoire sans fin. Les plus heureux sur ces ravitaillements, ce sont les nuées de moustiques québécois, les maringouins, qui se régalent de sang humain.

Aux alentours de 3 h 30 du matin, après 15 h 30 de courses, trois hommes débarquent ensemble main dans la main sur la ligne d’arrivée de cet UTHC au pied du Mont Grand-Fonds. « Antoine (Guillon) et Cédric (Chavet) m’ont rattrapé après s’être trompés de chemin en début de nuit alors que je venais de passer un moment terrible avec de très mauvaises sensations. Honnêtement, je n’avais pas envie de passer la nuit seul, alors, je me suis accroché à leur foulée », raconte Jean-Philippe Thibodeau, dit « JiPi », l’un des meilleurs traileurs canadiens sur les épreuves de 50 et 80 km, mais peu expérimenté sur les plus grandes distances (5e de l’UTHC 125 en 2019). Sa « blonde », l’athlète olympique Anne-Marie Comeau qui l’a « pacé » du pied des Morios jusqu’aux Hautes-Gorges puis sur la toute fin du 125 km, raconte qu’il avait très envie d’abandonner avant la mi-parcours, mais que son comité d’accueil au ravito l’avait fait changé d’avis. L’erreur de parcours de Guillon et Chavet aura été providentielle pour le Québécois puisque les deux Français l’ont aidé à s’accrocher et à partager la fin de cette course coriace. Deux phares dans la nuit. Et le tragédie se mue en conte qui se termine bien.

L’arrivée des vainqueurs à la belle étoile se fait dans l’intimité, mais l’émotion, elle, galvanisée par la voix de Ludovic Collet, est au rendez-vous. Antoine Guillon et Cédric Chavet sont super souriants. Ils ont tous les deux l’impression d’avoir bouclé un ultra en Martinique ou en Guadeloupe et ont trouvé ce qu’ils étaient venus chercher en vue du Grand Raid de La Réunion dans un peu plus d’un mois. Quant à Jean-Philippe, il semble harassé, sans énergie pour s’enthousiasmer, mais plein de gratitude pour les 60 km d’apprentissages passés aux côtés de ces deux vétérans bienveillants auprès desquels il a beaucoup appris, en plus d’atteindre son objectif. Comme le précédent vainqueur, Elliot Cardin, il ne veut plus jamais entendre que ce 125 km est roulant.

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Le 125 km de l’UTHC est technique presque d’un bout à l’autre – Photo Ian Roberge / UTHC

Autour d’un feu de bois où ont pris place les trois vainqueurs de l’UTHC 2023, Antoine Guillon, grande figure intemporelle de l’ultra-trail, avec plus de 90 ultras à son actif, sans jamais en abandonner aucun, ne semble pas plus éprouvé que ça. Il est ravi de l’issue de cette énième aventure, sa première en terres québécoises, même s’il a fallu à celui que tout le monde surnomme « le métronome » une heure et demie de plus que ses prévisions pour se rendre au bout de ce défi, preuve que ce 125 km pour 4200 m de dénivelé se respecte. Son nouvel ami « JiPi s’est bien accroché au rythme qui était le nôtre avec Cédric. Nous avons passé plusieurs heures ensemble, nous avons pas mal échangé, alors je ne nous voyais pas sprinter pour une éventuelle victoire. Nous sommes tous les trois tombés d’accord sur l’idée d’une arrivée ensemble. Et puis, le thème de cette 12e édition de l’Ultra-Trail Harricana était l’harmonie alors une arrivée franco-québécoise main dans la main était un beau symbole. »

Une heure et 50 minutes plus tard, c’est la Québécoise Geneviève Asselin-Demers qui passe la ligne en sixième position au classement général. Encore jeune dans le monde de la course en sentier, celle qui avait remporté le Marathon de Montréal en 2015 signe là, avec éclat, sa plus prestigieuse victoire en ultra-trail. Sur le parcours, elle paraissait aussi heureuse et détendue que déterminée. Elle marque les esprits et entre de belle manière dans l’histoire de l’Ultra-Trail Harricana en gagnant de la tête et des épaules cette course « fucking technique ».

Pierre Guégan, l’ultime et 163e finisseur, passera la ligne flanquée de deux gigantesques loups 11 heures et 24 minutes plus tard. Un exploit au regard des 151 abandons enregistrés cette année, parmi lesquels de nombreux athlètes qui étaient venus avec l’envie de monter sur le podium, à l’image des trois anciens vainqueurs de l’épreuve, Jean-François Cauchon, David Savard-Gagnon et David Jeker. Ne sort pas qui veut de l’immensité de ce bois-là.


Distances+ est média partenaire de l’Ultra-Trail Harricana du Canada.


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