François D’Haene lors de la Diagonale des fous 2018 – Photo : Facebook/courtoisie
Du haut de ses 6,3 pieds, il culmine au sommet de l’ultra depuis des années. François D’Haene vient de remporter sa quatrième Diagonale des fous. Son palmarès compte une douzaine d’ultras majeurs dont trois UTMB et des records dont celui du John Muir Trail, battu en octobre 2017. Ce vigneron participera pour la première fois à la Hardrock en 2019.
Deux billes bleues scintillantes dans un visage souriant surmonté de boucles rebelles. Des jambes interminables. Un corps de géant. François D’Haene n’a pas le physique d’un marathonien, mais cet athlète hors normes est sans discussion possible l’un des meilleurs ultra-traileurs de la planète. La preuve vivante que ce sport n’est pas qu’une affaire de physique, mais qu’il convoque d’autres valeurs, d’autres forces.
Le Français, venu à la course en sentier par amour de la montagne, s’est bâti un palmarès à sa mesure. Vertigineux. François D’Haene rêve de nouvelles conquêtes, de nouveaux territoires : « Des courses, des défis, il y en a sans arrêt et partout, autant d’aventures qui m’attendent. »
Celui qui a d’abord été physiothérapeute en Lozère, une région française « loin des grandes villes », est devenu vigneron en 2010 dans un petit village du Beaujolais. Avec sa femme Carline, il a repris une exploitation viticole de moins de 5 hectares de gamay, le Domaine du Germain. « Depuis huit ans, je parviens à concilier mon sport avec l’exploitation viticole, grâce notamment à mon épouse, [qui est] très présente sur le domaine. »
Né à Lille, dans le nord de la France, le petit François a grandi à Chambéry, dans les Alpes, où il a pratiqué le vélo, le basket, le ski, puis l’athlétisme. À 18 ans, il a choisi la montagne. Avec des amis, il pratique l’alpinisme, la randonnée et gravit le Mont-Blanc pour la première fois : « J’ai très vite ressenti un appel. »
En 2006, ce papa de deux enfants a couru sa première compétition de trail, le Tour des glaciers de la Vanoise en Savoie, un 73 km. « Je partais dans l’inconnu. À mi-parcours, je me sentais bien alors j’ai accéléré et j’ai fini par gagner », souligne le géant qui résume ainsi sa philosophie sportive : « on a une chance inouïe de pouvoir courir, alors autant en profiter. Il faut juste surveiller l’évolution de ce sport pour que le trail running reste une aventure. »
Plutôt discret depuis sa victoire partagée avec Benoit Girondel, un compatriote français avec qui il a franchi le fil d’arrivée main dans la main à la Diagonale des fous, François D’Haene, a accepté d’évoquer avec Distances+ sa saison, ses projets, ses envies. L’entrevue a été réalisée mi-décembre, au téléphone alors que François D’Haene se rendait vers les Alpes et sa première sortie de ski de fond.
François, environ six semaines après ta victoire à la Diagonale, comment te sens-tu?
Ça va pas trop mal. J’ai coupé un peu, mais j’avais un copain qui voulait faire le marathon du Beaujolais (le 17 novembre) donc j’ai repris un petit peu. J’ai couru sur la route des sessions d’une heure, une heure et demie, pas davantage pour ne pas me cramer. Je voulais juste habituer mon corps à plus de chocs que sur les sentiers. Mon ami voulait faire 2 h 55, on a mis 2 h 57. Après ça, il était vraiment temps de s’arrêter. Le corps en avait besoin. J’ai coupé quinze jours sans vraiment rien faire. Comme la neige est tombée, je vais pouvoir reprendre tranquillement sur les skis.
Tu débutes ta seconde saison sportive?
Le ski, ça me permet d’achever la récupération et de repartir sur des nouvelles bases. Le ski de fond c’est un sport porté qui permet de travailler différemment, de ressentir d’autres sensations, de travailler d’autres filières. C’est idéal. Après le ski de fond, je vais faire la transition petit à petit avec le ski de randonnée (ski alpinisme) quand les conditions seront plus stables en altitude. Ça m’emmènera doucement fin mars sur la Pierra Menta (une course internationale de ski alpinisme dans les Alpes françaises qui réunit chaque année les meilleurs spécialistes mondiaux dont Kilian Jornet) où j’essaie d’arriver en bonne forme pour ensuite enchaîner avec le trail.
Cette saison tu avais deux grandes courses, la Western States où tu finis deuxième derrière Jim Walmsley et la Diagonale que tu remportes avec Benoît Girondel. Quelle analyse fais-tu de ces deux expériences?
La Western, ça me tenait à coeur d’aller au bout de l’aventure, de la vivre, parce que ça faisait deux ou trois fois que j’essayais et que je n’arrivais pas à la faire correctement (14e en 2015, il a renoncé en 2016, blessé). J’aurais pu prendre plus de risques, j’aurais pu mettre moins de temps, mais je n’aurais jamais fait 14 h 30, le temps de Jim (Walmsley). En tout cas pour ma place je n’ai rien à regretter, le temps est finalement anecdotique en trail. J’ai tenté de donner le meilleur de moi-même sur un parcours dont je n’ai pas l’habitude et des conditions climatiques très stressantes pour moi (fortes chaleurs). Pour la Diagonale, je suis ravi d’y être retourné, d’avoir vécu cette quatrième belle aventure, mais je ne suis pas complètement satisfait.
C’est-à-dire?
J’avais vraiment pris le temps de récupérer de la Western, à l’entraînement j’avais d’excellentes sensations. Je pense même que j’avais rarement été entraîné comme ça. Mais ç’a été une course bizarre. Je ne sais pas si c’est ma façon d’avoir voulu gérer la course, en décidant de courir avec les autres, d’être moins concentré sur moi, mais les sensations n’étaient pas bonnes. Je n’ai jamais réussi à retrouver celles de l’entraînement. D’habitude, c’est la fin qui est dure sur ultra. Cette fois, les 100 premiers km ont été très bizarres et très durs. J’ai souffert dès le début. C’est dur à exprimer quand tu gagnes la course et que tu mets 40 minutes au record, mais je suis un peu frustré. Après, le résultat me convient tout à fait. Je l’ai vécu différemment. J’ai fait connaissance avec Maxime Cazajous (il a fini troisième). J’ai vraiment apprécié sa philosophie, sa façon de courir, d’envisager ce sport. J’ai aussi rencontré Benoit (Girondel) avec qui j’ai fini.
Tu a été tiré au sort pour la Hardrock 2019, une course que tu n’as jamais courue.
Ça sera un des gros objectifs de la saison évidemment. Je vais faire en sorte que ça puisse l’être, j’organise mon calendrier pour ça. Je suis heureux d’aller découvrir une course que je ne connais pas, dont j’ai beaucoup entendu parler, et entreprendre quelque chose de différent. Ça me motive bien de la préparer.
La haute altitude ne t’inquiète pas?
Non. J’ai fait une dizaine de fois le Mont-Blanc (4807 m), j’ai grimpé de très hauts sommets en Chine, j’ai passé pas mal de temps en Amérique du Sud à des altitudes très élevées, lors de mon record sur le John Muir Trail, je suis passé à 4200 m… Je n’ai jamais eu trop de souci avec l’altitude, mais en revanche je sais que ça demande une grosse acclimatation. Je ferai pourtant le choix de ne pas y aller avec les mêmes armes que les autres quitte à la payer et être moins en forme. Je ne veux pas partir un mois et demi avant pour m’acclimater, parce que j’ai des enfants, une famille et que j’ai des contraintes au niveau de la vigne. Ma vision de l’ultra-trail, ce n’est pas ça, je refuse un entraînement spécifique en hypoxie (haute altitude). Je n’aurai pas les mêmes cartes que d’autres. Soit ça passe comme ça, soit je suis prêt à accepter le fait que je sois désavantagé.
Tu as d’autres objectifs cette saison?
Après la Pierra Menta fin mars, j’aimerais bien retourner à Madère fin avril (Madeira Island Ultra Trail). Il y a des similitudes avec la Hardrock, c’est une course que j’avais appréciée (victoire en 2017). Je ferai une autre course, plus courte avant la Hardrock (sans doute la Pastourelle, un 53 km en Auvergne, dans le centre de la France en mai). J’aimerais ensuite beaucoup qu’il y ait un nouveau projet à l’automne et une course de fin de saison à réfléchir.
Ton projet, un parcours en haute montagne j’imagine, ça pourrait être où?
J’ai plusieurs pistes, en Asie, en Amérique du sud… Il y a quatre-cinq possibilités que j’essaie de vraiment étudier.
Connais-tu le Canada, le Québec?
Je sais que quelques-unes de mes bouteilles y sont arrivées, mais moi je n’y suis pas allé. Pas encore.
Restons en Amérique du Nord. Quel est ton regard sur le trail aux États-Unis et les athlètes?
Les coureurs américains sont très très médiatiques. On en fait beaucoup sur eux. Ils ont le vent en poupe, tant mieux pour eux. Je vois une évolution. Je trouve que de plus en plus de coureurs passent du temps dans les montagnes quand on considérait qu’ils étaient des coureurs rapides, mais peu aguerris en altitude. Ils développent leur technicité. Des courses très techniques apparaissent aussi. Et puis, ils ont une chance incroyable, c’est la grandeur de leur territoire et la possibilité de vivre beaucoup à l’extérieur. J’ai eu la chance de faire un mois en camping-car autour du projet du John Muir Trail. Franchement s’il avait fallu faire trois mois de plus, aucun souci. En Europe, on tourne plus vite en rond et on n’est pas toujours très bien accueilli alors qu’aux États-Unis tout est fait pour ça. On vit dehors, c’est assez génial.
Tu es sur le circuit depuis plus de dix ans. Vois-tu arriver une nouvelle génération de coureurs en sentier?
J’aimerais bien, ça aiderait à se remettre en question, à booster les choses. Je vois l’émergence de nouveaux traileurs, surtout performants sur des distances de 40 à 80 km. Je ne le perçois pas du tout sur l’ultra. Ce sont des coureurs hyper-athlétisés, un peu aseptisés aussi. L’ultra, c’est beaucoup d’adaptation, d’expériences, d’apprentissage sur soi. Ce n’est pas parce qu’on est meilleur physiquement qu’on sera le premier à l’arrivée d’un ultra.
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